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Aladdin Charni, créateur de Freegan Pony, squatteur d'espaces et ambianceur d'assiettes.

Écrit par
Zazie Tavitian
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Porte de la Villette, dimanche 20h, longer le périph, trouver la porte en fer au logo discret du Freegan Pony, entrer et être propulsé dans un monde parallèle de 500 m2. Une sorte d’immense loft industriel peu éclairé, pas très chauffé et pourtant plutôt chaleureux dans lequel dînent, sur des tables dépareillées, des jeunes à bonnet, des couples amoureux et des vieilles dames du quartier. Derrière une cuisine ouverte, s’activent une quinzaine de personnes. Ils coupent, assemblent, font la plonge et appellent les clients qui viennent chercher leurs plats au comptoir. Ici, on sert un menu végétarien unique, quatre soirs par semaine, préparé avec des invendus donnés par des producteurs de Rungis, les clients paient ce qu’ils veulent.

Avec sa queue de cheval, ses cheveux noirs, sa barbe fournie et sa bouille arrondie, Aladdin (« mon vrai prénom », nous confirme-t-il) accueille les arrivants, goûte une assiette, se sert une bière, replace la guirlande lumineuse : « Ca va pas cette lumière. » Puis s’installe enfin. « J’ai hâte de faire la fête, ça fait longtemps, je travaille trop. »

Freegan Pony ©ZT

« On vient d’ouvrir un squat, débarque ! »

Ici on est chez lui. Enfin, façon de parler. Aladdin, 32 ans, n’est pas à proprement parler le genre de garçon à avoir un chez lui. Son mode de vie ? Le squat. Arpenter la ville, trouver des lieux, les investir, les faire vivre, tenter d’y rester le plus longtemps possible avant de s’en faire déloger. Pourquoi devient-on squatteur ? Pas forcément par nécessité, plutôt par envie de vivre autrement, « plus vite » dirait-il.

A Lyon, au début des années 2000, le jeune homme, alors étudiant, s'ennuie et décide de partir à Paris. « J’avais une vie cadrée, trop simple, j’avais besoin de danger, de me mettre dans la merde, pour avancer, ne pas m’endormir. » Dans son studio de Jules Joffrin, il discute lors d’une soirée avec un ami d’ami qui cherche à vivre dans un squat, lui dit qu’il serait intéressé. Quelques mois plus tard, le type l’appelle : « On vient d’ouvrir un squat, débarque ! » Deux heures après son arrivée, les CRS les délogent. Le nouveau squatteur qu'il est résiste, s’accroche à la rambarde. Ce sera son baptême du feu, sa carte d’entrée qui lui permettra de s’intégrer au monde, très fermé, des squatteurs.

« Dans ce premier squat, il n’y avait que des hétéros qui bouffaient des pâtes au beurre, je leur ai fait découvrir le plaisir des bricks. »

Six mois plus tard, il investit un loft en face du parc Monceau, « un truc immense qui appartenait à Moubarak. J’avais une chambre de 70 m2 et un balcon filant. » Là, il a l’impression de « vivre sa vie en accéléré », rencontre des gens « très différents, des artistes, des gens politisés, qui ont envie de faire des choses ». Il apprend, entre autres, à comprendre comment fonctionne un squat, comment en ouvrir un « mais ce n’est pas une science exacte même avec les meilleurs tips, il y a toujours moyen de se foirer. »

Son ouverture au monde via la nourriture est moins évidente. Aladdin cuisine pour les autres, « que des hétéros qui bouffaient des pâtes au beurre ». Ce sera donc des bricks pour douze personnes : « Chez les Rebeus, on ne compte pas quand il s’agit de bouffe. »

Il deviendra par la suite « freeganiste » grâce à des Anglais rencontrés dans un squat à Boulogne, adeptes du mouvement. Le concept ? Se nourrir gratuitement, en récupérant, par exemple, de la nourriture dans des poubelles de supermarchés et grâce à une communauté active qui se refile les bons plans.

« Les bâtiments t’accueillent, toi tu dois leur offrir la vie. »

Puis ce sera à son tour de monter des squats. Comme le 13 rue d’Enghien, immeuble sur plusieurs étages, qu’il squatte six mois avant la reprise du bail par Greenpeace. Pour clôturer l’expérience, il organise une énorme fête, « une scène d’orgie, je pensais qu’il n’y aurait personne, à 11h c’était blindé. Quand les CRS sont venus, tous les gens se sont assis et ont chanté la Marseillaise. J’ai encore fini au poste ce soir-là. » 

Il se fait connaître dans le monde de la teuf parisienne, lui qui dit ne pas aimer faire la fête. Il ouvrira le Mont C, rue Mont Cenis dans le 18e, squat qui accueille des teufs interminables avec line up et DJ de folie « qu’on payait en bière », ou le Pipikaka, lieu de fêtes et d’expos dans des toilettes publiques de Bonne Nouvelle. Avec, à chaque fois, le même leitmotiv : faire vivre des lieux abandonnés. « Les bâtiments t’accueillent, toi tu dois leur offrir la vie. » Au même moment, il ouvre la première mouture de son Freegan Pony, dans le Marais, où il sert des plats préparés avec des légumes invendus de Rungis, lors de buffets gratuits à volonté. Trop de monde, pas assez organisé, trop de projets en parallèle, il attendra un peu avant de le ré-ouvrir dans une version plus optimisée.

Freegan Pony ©ZT

  

« Je suis rentré là-dedans, je me suis dit : "Y a rien à faire, c’est trop dégeu." »

C’est en passant en camion Porte de la Chapelle qu’Aladdin se dit qu’il doit y avoir moyen d’y faire quelque chose. « Je suis habitué à repérer des lieux inhabités, j’ai vu qu’il y avait du volume, j’ai pensé que ça cachait un truc. » Du volume, il y en a en effet dans cet ancien hangar de matériel de voirie appartenant à la mairie de Paris, mais il est très encombré : « Quand, je suis rentré là-dedans, je me suis dit : "Y a rien à faire, c’est trop dégeu." » Finalement, on a mis deux mois à tout nettoyer, mes amis qui sont venus aider une première fois ne sont pas revenus une deuxième, et on a cassé cinq aspirateurs tellement il y avait de poussière. »

Pour pouvoir faire vivre ce lieu qui tourne quasiment sans argent, Aladdin a dû d’abord convaincre les producteurs de Rungis de lui confier leurs invendus : « Même si leurs légumes partent à la poubelle, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un don. » Deux fois par week-end, il vient avec ses acolytes, au petit matin, remplir son camion de légumes invendus. Ce sont ensuite des chefs qui les cuisinent à l’aide de commis bénévoles. Les clients réservent sur la page Facebook du restaurant et donnent ce qu’ils veulent à la fin du repas.

Le resto, ouvert il y a deux mois, affiche vite complet. Il faut dire qu’avec le discours de plus en plus présent sur le gaspillage alimentaire, le concept interpelle. Il faut dire aussi que grâce à son background d’agitateur en série, Aladdin sait susciter l’intérêt de la presse. Un peu trop même à son goût. La « clientèle » visée n’étant pas les hipsters parisiens, « même si tout le monde est le bienvenu bien sûr », mais surtout les SDF, les prostitués, les gens du quartier : « Disons qu’on a une clientèle CSP + alors qu’on aimerait une clientèle CSP ---. » 
Le lieu accueille aussi trente migrants qui dorment ici la nuit et qui bientôt participeront à la conception des repas. Ici, on défend un esprit d'ouverture tous azimuts.

« Ah ça fait du bien de voir des PD, on n'en a presque pas ici », s’exclame Aladdin quand deux amis à nous arrivent pour le dîner. Sur ce, il nous salue : « Je vais faire la fête, j’en ai besoin, j’ai fait que bosser ces derniers temps. » Et cette nuit où dormira-t-il ? « Chez une copine qui habite à côté. Ca fait trois mois que je dois ouvrir un squat, mais je n’ai pas eu une minute avec Freegan Pony. »

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