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Après le 13 novembre : rencontre avec ceux qui font la musique à Paris

Écrit par
Matthieu Petit
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Aujourd'hui, les Parisiens s'enjoignent à sortir, à boire des verres, à voir des concerts, à écouter de la musique, et ils ont raison. Une toute récente étude du syndicat national des producteurs déclare que les ventes de billets de concert ont chuté de 80 % à Paris. Un chiffre à relativiser avec le temps, mais qui nous invite à poser quelques questions à ceux qui ont été frappés de plein fouet par les attentats, qui ont perdu des amis, des collègues, des gens qui aimaient la même musique qu'eux, qui fréquentaient les mêmes salles. Entretien avec Julien Catala, fondateur de l'agence Super et programmateur du Trabendo, et Jean-Sébastien Nicolet, directeur artistique du Point Ephémère et programmateur du festival BBMIX à Boulogne-Billancourt.

Time Out Paris : Quelle est l’ambiance de travail depuis le 13 novembre ?

Julien Catala : Très dure, on est tous assez tristes. On travaille dans le 11e, c’est notre quartier et on allait souvent boire des coups du côté de la Belle Equipe. J’habite également à côté du Bataclan, ça va donc bien au-delà du travail. Tous les habitants du quartier ont été touchés, et c’est très difficile.

Selon le Prodiss (syndicat national des producteurs), les ventes de places de concert ont chuté de 80 % les semaines qui ont suivi les attentats. Avez-vous ressenti cette baisse ?

Oui, beaucoup de concerts ont été annulés la semaine qui a suivi les attentats, mais également la semaine d’après. Au départ, nous les annulions nous-mêmes par respect pour plein de gens qui étaient touchés de près ou de loin et que nous connaissions. On ne se sentait pas de continuer tout de suite à organiser des concerts. On a annulé des grosses dates comme celles de José Gonzalez et Yeah and Years. Mais très vite, les managers et les artistes ont émis le souhait de reprogrammer les concerts, ce qui a été fait depuis.

Avez-vous réussi à reprogrammer tout le monde ?

Non, loin de là ! Il nous reste beaucoup de groupes à reprogrammer, notamment Fidlar, des Américains qui ont carrément annulé leur tournée. D’ailleurs, on s’est rendu compte que la plupart des groupes qui avaient tout annulé étaient américains : ils avaient peur de venir en Europe ou à Paris. En plus, le cloisonnement de Bruxelles dans la semaine qui a suivi a fait également annuler beaucoup de dates. Bruxelles plus Paris, ça faisait beaucoup pour les groupes. Ces deux semaines ont été difficiles à gérer.

Certains artistes que vous faites jouer ont-il refusé de se produire à Paris ? Certains vous ont-il témoigné leur soutien ?

En dehors des annulations, on n’a pas eu de refus purs et durs. On s’occupe de beaucoup d’artistes indépendants, et nos concerts sont petits : on ne fait pas de Bercy ou de Stade de France. Ces groupes ont un public de fans et on sent que ces publics, qui s’intéressent de façon pointue à la musique, veulent vraiment retourner à des concerts. On a beaucoup de messages de ce type sur les réseaux sociaux, le public est désormais très demandeur. Jusqu’à décembre, c’est vrai que les groupes avaient un peu peur mais à partir de janvier, tous les concerts ont été confirmés. Les artistes reviennent, les gens recommencent à sortir. On a eu énormément d’emails de soutien de leur part, des personnes avec qui on travaille, d’agents, de managers. On s’est rendu compte que le monde entier voyait ce qu’il se passait et nous soutenait beaucoup.

Etes-vous confiant sur le long terme quant à votre métier ? 

Plutôt très confiant. Après, tout ça va mettre un peu de temps à redevenir normal, évidemment. Les trois prochains mois seront un peu plus durs ; le temps que tout redémarre. Mais je suis sûr qu’en mars, dès qu’il fera un peu meilleur, tout reviendra comme avant : même nombre de concerts et même nombre de spectateurs. Paris est une ville forte et possède un important réseau de musique indépendante. J’ai l’impression que ça va vraiment repartir. En tout cas, de notre côté, chez Super et au Trabendo, on pense que les gens retourneront voir des concerts. 

Jean-Sébastien Nicolet, quel est votre métier exactement ?

Jean-Sébastien Nicolet : Il est multi-casquette ! D'un côté, je suis cofondateur de l'agence artistique My Favorite avec Marion Gabbaï, et dans ce cadre je suis donc producteur, tourneur de concerts et d'événements musicaux. De l'autre côté, je suis programmateur au Point Ephémère (mission que je quitte en cette fin d'année) et programmateur de festivals (BBMIX, Musiques Volantes, Limbo, etc.). Bref, mon métier consiste à organiser des concerts, faire découvrir des artistes par le biais du live et dans un espace esthétique assez large, celui qu'on appelle généralement « indie rock ». En tant que bookeur/tourneur, je peux faire des cessions d'artistes (vendre des concerts), produire des concerts, monter des projets (des jeunes groupes ou des moins jeunes que l'on aide à (re)venir sur scène), suivre et développer la carrière d'un artiste sur son versant live.

Quelle est l'ambiance de travail depuis le 13 novembre ?

Triste et lourde. Mais que dire qui ne soit pas un pavé de plus dans une mare de larmes et de colère ? Personnellement, je ne veux/sais faire que ce métier et c'est le cas de beaucoup de collègues dans cette profession. Nous n'avons pas tellement d'autres choix que d'aller de l'avant, de ne pas oublier mais surtout ne pas sombrer dans la paranoïa, sinon ces fous auront définitivement gagné. Beaucoup de gens de la profession ont cependant perdu des amis, des collaborateurs, des fans de musique... et c'est aussi mon cas. Le sujet a tourné en boucle dans les discussions professionnelles lors de festivals récents comme les Transmusicales ou le BBMIX. A chaque début d'e-mail pendant un mois, je lisais souvent : « Bonjour à toi, J'espère que tout va pour le mieux malgré les terribles événements », une précaution qui à force de répétition est forcément plombante. On a tous été abasourdis et je pense que certains sont restés bloqués un peu dans une ambiance pathos, d'autres songent même aujourd'hui à quitter le métier. Il faut savoir se faire aider, en parler, évacuer. Beaucoup l'ignorent, mais des cellules psychologiques existent, notamment mises en place par les mairies des arrondissements à Paris et il n'y a aucune honte à aller cracher sa valda une bonne fois pour avancer. C'est humain.

Avez-vous ressenti une baisse de fréquentation depuis les attentats ?

Oui, elle fut réellement visible pendant au moins quinze jours, pour autant deux remarques me viennent en tête : d'abord, la crise économique avait déjà auparavant touché diverses salles de spectacles/concerts, lieux de vie et de culture avant les attentats. Ensuite, cela dépend des esthétiques musicales, des publics, des cadres de diffusion : les musiques indépendantes sont souvent vues en live par de grands consommateurs culturels, qui vont plusieurs fois par mois (ou par semaine) aux concerts. Ces publics sont toujours présents, même s'ils ont pris aussi leur temps pour revenir. Il y a une forme de militantisme vraiment remarquable dans certaines franges de la culture musicale et une solidarité face aux événements qui ont joué en notre faveur. Je pense que ce sont surtout les consommateurs de concerts occasionnels, aux goûts plus généralistes, à l'engagement moins affirmé, qui ont préféré ne pas venir ces dernières semaines ou se faire rembourser leur place.

Etes-vous confiant sur le long terme quant à votre métier ? 

Si la question est liée directement aux attentats alors je dirai un grand OUI volontariste et engagé, il est hors de question que les choses s'arrêtent à cause d'une hypothétique menace, c'est cette paranoïa qu'il faut évacuer rapidement. Et notre métier a du sens pourvu qu'on y mette quelque chose de plus que des questions d'argent. Il faut toutefois être pragmatique et je brandis un drapeau d'alerte, car il y aura des seconds effets « kiss cool » à ces événements sur le plan économique, de la fréquentation, de l'alourdissement des coûts de production et pas seulement sur les quinze jours d'activité qui ont suivi le 13 novembre. Comme je le suggérais plus haut, le mal réside dans la crise économique globale et donc a fortiori dans les poches de nos publics. La crise du porte-monnaie est bien là depuis de nombreux mois et c'est sans doute ce nuage sombre qu'il faut chercher à dissiper encore et encore. Beaucoup de nos structures sont fragiles économiquement et tiennent pour beaucoup sur le volontarisme des gens qui les composent, alors si les conditions économiques ne se redressent pas dans notre secteur professionnel, il risque d'y avoir des déconvenues, des fermetures de boîtes, de salles, des abandons…

J'en profite aussi pour dire que le rôle et les responsabilités des équipes de production et des lieux au quotidien sont parfois trop méconnus du grand public. Je suis absolument admiratif de ce que les équipes du Bataclan (sécu, régie) ont réalisé sur la gestion du public ce soir-là, et ce au péril de leur vie. Ils sont pour moi des sortes de héros même si le terme est sans doute mal choisi, comme ont pu l'être les forces de l'ordre, les infirmiers, les pompiers et les nombreux anonymes qui à leur échelle ont participé à sauver des vies. Concernant mon secteur professionnel, je voudrais également saluer la réactivité des structures comme les Syndicats, le CNV, le ministère, les mairies, les préfectures qui ont mis en place des cellules de crise et débloqué des fonds exceptionnels. Enfin, l'ensemble de la profession pour avoir fait montre d'une réelle, franche et sincère solidarité.

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