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'Aquarius' : magnifique symphonie du cinéma brésilien

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Portrait de femme, mais aussi constat lucide sur le vieillissement, le Brésil, la corruption, la famille ou la sexualité, le deuxième long métrage de Kleber Mendonça Filho (après ‘Les Bruits de Recife’ en 2012) est un véritable tourbillon de vie, embrassant le quotidien dans toute sa densité, avec une ampleur inouïe.

Un superbe portrait de femme

C’est en 1980 que le film s’ouvre sur Clara, sympathique trentenaire brésilienne, jeune mère de famille qui se remet tout juste d’un cancer. Anniversaire d’une grand-tante, 'Another One Bites the Dust' en voiture, sur la plage. Une vie en cours.

Et puis, au bout de quelques minutes, ‘Aquarius’ bascule vers le Brésil d’aujourd’hui, où la fabuleuse Sonia Braga prête ses traits à l’héroïne vieillissante, devenue veuve, dandy au féminin habitant seule dans un bâtiment vide.

Ce premier aspect d''Aquarius' fascine par son originalité et sa précision. D'abord parce qu'une héroïne sexagénaire, ce n'est pas fréquent au cinéma ; mais surtout parce que Sonia Braga en livre une interprétation tout en nuances, entre la distance blasée ou amusée, les moments de colère, de doutes ou de grâce... 

Avec une délicatesse incroyable, Sonia Braga (dont on se souvient notamment du rôle dans 'Le Baiser de la femme-araignée' d'Hector Babenco, d'après le génial roman de Manuel Puig, en 1985) parvient, parfois à travers des mouvements très simples, limpides, à exprimer la féminité et la vieillesse, la sagesse et le désir, la délicatesse et l'insoumission.

Un constat lucide sur le monde contemporain

Toutefois, 'Aquarius' est encore plus que ça. Car à travers le conflit auquel Clara doit faire face contre des promoteurs immobiliers souhaitant la déloger pour construire une résidence haut standing, le film aborde un grand nombre de questions sociales.

Corruption, pouvoir de l'argent, situation déplorable de la presse, intimidation et jeux d'influence... Le constat, à la fois juste et sans concession, renvoie à des thèmes qui dépassent la seule situation du Brésil. Pourtant, après son succès à Cannes (dont le film partit injustement bredouille) et les protestations de son réalisateur contre la destitution de Dilma Rousseff, 'Aquarius' s'est vu interdit aux moins de 18 ans dans son pays, pourtant sans raison apparente. 

Au-delà d'être un très beau film, 'Aquarius' est donc, aussi, un film qui dérange. Parce qu'il met des mots et des images sur la violence du néo-capitalisme, mais encore parce qu'il refuse les idées toutes faites, les narrations linéaires, les simplifications banales.

Prenant la tangente, racontant la vie, le vertige de l'existence et du temps, à travers des objets plutôt que par des recours trop faciles à la psychologie, Kleber Mendonça Filho déjoue les attentes. Et réussit, au bout du compte, à livrer un film résolument ouvert, film-fleuve de deux heures et demie et film-monde qui continue de courir dans la mémoire de spectateur bien après la projection. Un chef-d'œuvre aussi humble qu'ambitieux. A ne clairement pas manquer.

>>>> 'Aquarius' de Kleber Mendonça Filho, avec Sonia Braga, Maeve Jinkings et Irandhir Santos (SBS Distribution). Actuellement en salles.

'Aquarius' : bande-annonce VOST

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