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Cinq conseils pour ne pas (complètement) foirer son biopic

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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On ne vous apprend rien, la biographie est un genre littéraire à part entière. Avec ses spécificités, ses variations, ses sous-catégories : autobiographies ou auto-fictions, essais, témoignages… Avec, aussi, ses réussites éclairées (citons les incontournables études sur ‘Baudelaire’ par Walter Benjamin, sur ‘Kafka’ par Deleuze et Guattari, l'‘Histoire de ma vie’ de Casanova ou tout Proust ; bref, la liste est sans fin…) et ses échecs retentissants – là aussi, l’énumération serait longue et, pour le coup, fastidieuse. Disons que la moindre biographie de vedette de télé-réalité trouvée dans un supermarché fera l'affaire.

Eh bien, au cinéma c’est pareil. En pire. Car là où un livre se contentera généralement de vous tomber des mains, un mauvais biopic ne manquera pas de vous assommer de clichés – type « grandeur et décadence », mythe du génie incompris ou idéologie bon marché – à grands renforts de pathos et de chantilly visuelle. A cet égard, la sortie de ‘NWA – Straight outta Compton’ fournit un bon exemple de mélange des genres tranquillement complaisant : co-produit par ceux-là mêmes dont il narre la carrière et les exploits (en particulier Ice Cube et Dr. Dre), le film a évidemment du mal à ne pas sombrer dans l’autopromo bling-bling décomplexée – ce qui, me direz-vous, reste finalement assez proche de l’esprit gangsta rap... Et que Woody Allen pourrait résumer par « prends l’oseille et tire-toi » (et du coup, on se mettrait presque à rêver d'un biopic sur les Balkany avec Jean Reno et Marie-Anne Chazel). D'où ces cinq conseils pour éviter de complètement planter un biopic.

1/ Eviter l’hagiographie

La première leçon à retenir, ce serait déjà d’éviter le film de fan, l’admiration pontifiante ou aveuglée. Ce qu’on appelle communément une hagiographie, dont l’étymologie renvoie aux fameuses « vies des saints » du christianisme. Un écueil qu’évitent rarement, par exemple, les nombreux biopics dédiés à des artistes. D’Edith Piaf à Ray Charles, le parcours est balisé, à peu près toujours le même, et les performances mimétiques des acteurs semblent surtout destinées à les envoyer directement sur le tapis rouge d’une cérémonie des Oscars.

Une stratégie plus subtile consisterait alors à montrer la complexité d’un personnage en partant de ses aspects négatifs. Autrement dit, l'idéal serait peut-être de se tourner vers une figure plus ou moins détestable. Ou a priori antipathique. Inutile toutefois d’aller jusqu’à creuser du côté du troisième Reich, comme ont pu le faire ‘Moloch’ d’Alexandre Sokourov ou ‘La Chute’ d’Oliver Hirschbiegel – ce dernier étant sans doute le plus réussi sur le sujet. Un juste milieu comme les biographies de Carlos (par Olivier Assayas) ou de Mesrine (‘L’Instinct de mort’ de Jean-François Richet) peuvent en effet suffire à établir, d’emblée, une certaine complexité du regard du spectateur, vis-à-vis de figures controversées et socialement problématiques.

Ou encore, pour en revenir aux systématiques biopics d'artistes (façon N.W.A), mieux vaudrait lorgner vers leur indélébile noirceur, leur fragilité, leurs échecs ou leur côté « à côté de la plaque » (comme sut le faire, avec une certaine justesse, le ‘Saint-Laurent’ de Bertrand Bonello). Ou alors montrer, comme Milos Forman avec ‘Amadeus’, qu’un authentique génie comme Mozart fut aussi un petit bonhomme assez vulgaire et au rire hystérique. Bref, déconstruire les mythes.

2/ Se méfier du premier degré

Mais attention : tenter d’être objectif, ça ne veut pas non plus dire recopier une fiche Wikipédia sans y mettre un peu du sien. Un bon exemple pourrait ici être le film (mi-figue mi-raisin) de Joann Sfar sur Serge Gainsbourg, ‘Gainsbourg : vie héroïque’. En effet, le début du film, très fictionnalisé, voire parfois complètement fantaisiste, réussit à communiquer une image originale et subjective du futur homme à tête de chou, tenant autant – si ce n’est davantage – de l’imagination de Sfar que de la véritable biographie de Gainsbourg. Hélas, la seconde partie du film, n’hésitant pas à faire rejouer aux acteurs des documents d’archives vus et revus (tels celui-ci), ne manque pas de plomber cette originalité initiale, pourtant bien sentie.

Autre exemple assez malin, celui de ‘I’m not there’ de Todd Haynes, qui faisait apparaître Bob Dylan sous les traits de six acteurs différents – dont Christian Bale, Cate Blanchett ou Heath Ledger. Ici, la ré-interprétation d’archives prend en effet un tout autre sens : celui de l’impossibilité à fixer un personnage historique et culturel aussi riche que Dylan sous une forme unique, définitive. Le stratagème a beau être un tantinet poseur, il n’en reste pas moins assez juste, élégant et ouvert.

3/ Savoir prendre ses distances avec la réalité

Billy the Kid, Caligula, Cléopâtre, Abraham Lincoln ou Jesse James (une centaine de films au compteur pour ces deux derniers) : le cinéma s’est toujours inspiré de personnages historiques aux dimensions mythiques, mais que leur distance rendaient suffisamment malléables pour accoucher d’œuvres singulières. Qu’on songe au prodigieux ‘Napoléon’ d’Abel Gance et à son impressionnante inventivité technique : on n’ose à peine imaginer ce qu’en aurait fait Kubrick, dont l’un des plus chers projets était également une biographie de Bonaparte. Ceci dit, ça ne marche évidemment pas à tous les coups – et ‘Alexandre’ reste un film franchement médiocre. Bref, prendre ses distances avec la biographie pour toucher à la sphère du mythe, voilà qui peut paraître une approche assez féconde. Mais difficilement applicable lorsque le sujet reste contemporain ou d'actualité.

Heureusement, un beau contre-exemple, dans le domaine historique, nous est fourni par le long métrage de Robert Guédiguian, ‘Le Promeneur du Champ-de-Mars’, parvenant à établir un équilibre original et personnel entre portrait d’un Mitterrand vieillissant et réflexions profondes sur la politique française. Surtout, en laissant Michel Bouquet libre d’évacuer tout mimétisme avec l’ancien chef de l’Etat, le film sut renvoyer l’image de tout un pan de l’histoire française, duquel le promeneur crépusculaire devenait le symbole.

Dans un registre différent, saluons également deux films qui, au début des années 2000, ont réussi, de façon analogue, à jouer avec finesse de la frontière poreuse entre histoire réelle et imaginaire collectif. Le premier, c’est assurément ‘8 Mile’ de Curtis Hanson, qui, en 2002, réussit à retracer le parcours d’Eminem (interprété par le rappeur lui-même), sans verser dans la moindre grandiloquence ou tendance à l’autopromo – l’inverse du récent film sur N.W.A, en somme. Comment ? Tout simplement en changeant le nom de son héros, en créant un double de Marshall Mathers qui ne serait ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Aussi, en relevant plus franchement de la fiction, le long métrage parvenait-il à exprimer avec plus de justesse la jeunesse du rappeur que n’aurait su le faire un biopic classique. Comme quoi, mentir permet parfois de s’approcher davantage de la « vérité ».

Enfin, il faut aussi signaler le 'Last Days' de Gus van Sant, inspiré des ultimes jours de Kurt Cobain, mais dont le héros ne trouve rebaptisé Drake (comme Nick, autre sombre romantique de la pop-culture). Aucune chanson de Nirvana dans le film, d'ailleurs, mais des improvisations bruitistes de son acteur principal, le mutique Michael Pitt. Là encore, en s'éloignant par la fiction de la réalité biographique, le film de Gus van Sant restituait une atmosphère sans doute bien plus proche de l'univers âpre, narcotique et nihiliste du musicien, que n'aurait pu le faire un biopic classique en mode « sexe, drogue et rock'n'roll ».

4/ Eviter le connu et reconnu

Mais il existe d'autres moyens, plus détournés, de se frotter au genre du biopic. Par exemple, en déterrant une figure historique méconnue du grand public, afin que son aura ne vienne pas parasiter la narration et la découverte du film. Un exemple parmi d'autres, mais particulièrement éloquent : celui d''Elephant Man' de David Lynch. Directement inspiré de la vie de Joseph Merrick, « l'homme-éléphant » atteint d'une maladie génétique qui le rendait difforme (le syndrome de Protée), le film de Lynch parvient à la fois à nous faire suivre son douloureux parcours et à développer une réflexion sur l'altérité, la différence et la cruauté. Ou comment rester proche du particulier (la biographie d'un homme d'exception), tout en touchant à l'universel.

Enfin, l'argument du dernier long métrage de Béla Tarr, 'Le Cheval de Turin', semble renvoyer à une biographie pour la détourner tout à fait, et ne l'évoquer qu'en filigrane, de façon si distante qu'elle en devient presque imperceptible. Rappelons donc son synopsis : « A Turin, en 1889, Nietzsche enlaça un cheval d'attelage épuisé, puis perdit la raison. Quelque part, dans la campagne : un fermier, sa fille, une charrette et le vieux cheval. Dehors le vent se lève. » Sauf qu'en fait, malgré sa mention, Nietzsche n'apparaît jamais dans le film. Ce n'est que par procuration qu'il s'y rattacherait (et encore !), à travers le quotidien de ce cheval fourbu, sorte de cousin de l'âne Balthazar de Robert Bresson ('Au hasard, Balthazar'). Pourtant, le désespoir et l'accablement qui suintent du film ne sont pas sans entrer en résonance avec la philosophie de Nietzsche - tout en semblant la nier. Certes, le lien avec le biopic n'est plus franchement évident, mais Béla Tarr réussit à nous rendre la vie de ce cheval aussi poignante qu'aurait pu être le récit de celle de l'auteur de 'Par-delà le Bien et le Mal'.

5/ Et pourquoi pas plutôt envisager un documentaire ?

Depuis le succès assez inattendu, en 2012, du 'Sugar Man' de Malik Bendjelloul, on a pu noter une jolie vogue de documentaires musicaux, souvent réussis. Récemment, on a ainsi largement apprécié 'Cobain : Montage of Heck' ou 'Amy', basés l'un comme l'autre sur des images d'archives personnelles de Kurt Cobain ou Amy Winehouse. Face à ces témoignages bruts, intimistes et démystifiants, on pourrait presque en venir à envisager le biopic comme un genre fondamentalement superficiel, en décalage, incapable de trouver l'équilibre entre le récit et le réel. Le beau documentaire de Laetitia Carton, 'Edmond, un portrait de Baudoin', autour du formidable dessinateur de BD (sortie le 30 septembre) pourrait d'ailleurs achever de nous faire opter, par sa sincérité et sa justesse, pour le documentaire - et le rejet du biopic.

Mais quand même, ce serait dommage de jeter le bébé avec l'eau du bain, non ? On se contentera donc pour le moment de passer notre tour sur le décevant 'N.W.A - Straight outta Compton', en attendant les projets de films biographiques prévus pour 2016, où l'on devrait à la fois croiser Bruce Lee, Mike Tyson, Peggy Lee, Barack Obama, les Ramones et Mike Brant. Mais alors... à quand les Balkany ?

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