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Entretien avec ceux qui veulent se baigner à Paris

Écrit par
Emmanuel Chirache
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La canicule a chaque année ce mérite : remettre l'eau au centre des préoccupations des Parisiens. Chaque fois, on a vu le débat se focaliser soudainement sur les plans d'eau de Paris, que ce soit via une déclaration fracassante d'Anne Hidalgo, qui souhaite que les Parisiens puissent « se baigner dans la Seine après 2024 », ou à travers les polémiques entourant l'état de pollution du canal Saint-Martin, souillé par les déchets des pique-niques que laissent les fêtards. Mais avant tout cela, il y eut la baignade sauvage du 2 juillet 2015 au bassin de la Villette, plus ou moins organisée par le Laboratoire des baignades expérimentales.

Créé en 2012, ce collectif informel vise à réhabiliter la baignade en milieu urbain et vient de faire une proposition en ce sens pour le budget participatif de la ville de Paris. Quand le baromètre grimpe en flèche, il appelle régulièrement les gens à faire trempette à Paris, dans les fontaines ou le canal de l'Ourcq. Piqués par la curiosité, nous avons décidé d'en savoir davantage sur ce projet bien dans l'air du temps en posant quelques questions à Martin, membre du collectif.

Time Out Paris : D’où vient cette idée de Laboratoire des baignades expérimentales ?

Martin : Au départ, c’est « l’urbanité pour les nuls », ou comment se réapproprier la ville via le prisme de la baignade. La baignade n’est pas forcément le but à atteindre, c’est un moyen pour que la ville redevienne un lieu d’expériences. Nous sommes d’abord un mouvement urbain. Sur notre page Facebook, on fait de la veille sur tout ce qui concerne le sujet dans le monde, comment se réapproprier l’espace urbain. On fait du « Lol » aussi, on n’est pas que sérieux !

Est-ce que le collectif a des contacts avec la mairie de Paris ? Vous savez ce qu'ils pensent de vos actions ?

On n’a jamais eu l’occasion de parler avec la mairie, mais nous ne sommes pas en conflit avec eux, au contraire ! On sait qu’ils sont intéressés par ce qu’on fait, ils espèrent trouver un peu d’inspiration sur comment aménager les canaux à Paris.

Quand Time Out a publié un article sur la baignade du 2 juillet, beaucoup de gens ont été choqués. C'est étonnant, comment tu expliques ces réactions ?

C’est une réaction hygiéniste. S’ils avaient l’assurance que l’eau est propre, les gens n’hésiteraient pas à y aller. Mais les infrastructures doivent suivre, tu ne peux pas te baigner juste parce que c’est propre. Pour l’instant, c’est vrai que le canal de l’Ourcq et le canal Saint-Martin ne sont pas totalement clean, il y a des déchets, des gens qui urinent dedans. Mais dans les piscines aussi, les gens urinent ! Je pense que les gens ont peur parce que c’est inhabituel pour eux, de se baigner en ville. C’est une question de changement des pratiques, un jour ce sera différent. D’ailleurs, on constate une rupture générationnelle : ceux qui nous suivent ont entre 20 et 30 ans, en général les personnes plus âgées n’aiment pas le concept. Certains viennent même nous apostropher en parlant de « savoir-vivre civique », mais qu’est-ce que ça veut dire ? En réalité, il n’y a pas de véritable risque, on le sait.

Justement, parlons-en : que risque-t-on quand on se baigne dans le bassin de la Villette ?

Certains dermatologues vont te dire « tu prends une douche après, et c’est bon, pas de souci ». D’autres pensent que c’est dégueu. A la police fluviale, ils nous racontent qu’il leur faut 15 vaccins et une combinaison pour se baigner, mais c’est leur boulot, ils passent parfois une journée entière dans le canal ! Nous savons qu’il y a eu des batteries de tests réalisés sur la propreté de l’eau et que le risque est minime. La véritable question est : quelle est la norme qui dit que l’eau est bonne pour se baigner ? Quels sont les critères, est-ce que la norme peut bouger ? Après, chacun est responsable de ses actes, évidemment. La baignade est interdite et tout contrevenant est passible d’une amende de 38 euros, et non pas 15 comme tout les médias l’ont répété.

Est-ce qu’il y a d’autres endroits que le canal de l’Ourcq où vous aimez vous baigner en ville ?

A Ris-Orangis, il existe un ancien plan d’eau. La Baignade des Anglais à Ivry et Vitry, c’est un vieil endroit cool pour ça. Tu as l’île Seguin aussi. Paris intra-muros, c’est pas génial. C’est surtout le canal de l’Ourcq en fait, l’eau est bien, peu de bateaux passent par là… En revanche, sauter du pont n’est pas forcément la meilleure idée. Ça fait des photos spectaculaires, mais tu touches la vase à tous les coups, donc pas de plongeon à pic ! Idem au niveau de la passerelle, il faut faire gaffe. Nous ne sommes pas des irresponsables qui font n’importe quoi, nous sommes juste des gens normaux qui aiment se baigner quand il fait chaud.

A Rome, un concours de plongeon dans le Tibre a lieu chaque Nouvel an.



Tu parlais d’une « veille » sur toutes les baignades urbaines dans le monde, tu as des exemples à nous donner ?

A Bâle, en Suisse, les gens rentrent du taf en nageant ! La mairie a nettoyé le fleuve, et c’est baignable. A Londres, ils viennent de construire une mare dans un parc, ça s’appelle la King’s Cross Pond [Lire l'article de Time Out London sur le sujet, nda]. Les gens peuvent se baigner à Berlin, à Munich, aux Pays-Bas et en Belgique. Ce sont souvent des villes portuaires, du coup c’est sans doute un rapport à l’eau qui est différent du nôtre. Ici, il y a encore du boulot à faire pour changer les mentalités, pour repenser la ville et l’espace public, mais ça va venir.

Oui, quand on pense que le Conseil de Paris a voulu transformer le canal Saint-Martin en autoroute urbaine dans les années 1970, on se dit que les mentalités ont quand même bien évolué.

Exactement ! Depuis les années 1990, les urbanistes et les institutions font des efforts pour repenser le rapport entre les individus, l'environnement et la ville. Pourquoi tout le monde vient se caler au bord du canal ou de la Seine quand il fait chaud ? Il n’y a pas de hasard, les urbains veulent se réapproprier Paris, et ça passe par l’élément aquatique, les fleuves, les canaux et les fontaines.

Quelques photos glanées ici et là sur les baignades en ville :

Une piscine découverte à Moscou

Notre collègue de Time Out London teste le King's Cross Pond

Baignade de pères Noël à Barcelone

Baignade dans la Seine durant les années 1940

A Paris, en 1930.

Aux Etats-Unis avec une bouche d'incendie

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