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Entretien tiré par les cheveux avec la Moustache Academy : un spectacle de rap pour enfants

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Ils n'ont pas attendu la soi-disant tendance du poil pour porter la moustache. Astien, Mathurin et Ed Wood arborent fièrement et depuis de longues années leurs bacchantes, étendard pileux de leur dandysme poétique. Alors qu'ils slamaient, déclamaient et versifiaient pour un public adulte, les trois copains ont ajouté une corde à leur arc en lançant un premier spectacle pour enfants l'an dernier. Ils remettent le couvert avec un concert de rap original et intelligent sur l'école, une véritable alternative aux niaiseries de Maître Gims qui font des millions de vues sur YouTube. A voir comment la salle bondée d'enfants reprend en chœur les paroles et réagit aux chansons, ça fonctionne. Alors qu'est-ce qui a poussé ces artistes à s'habiller de toutes les couleurs et chanter du hip-hop ? Pourquoi la moustache ? Autant de questions que nous leur avons posées.

Pourquoi avoir choisi le créneau du spectacle pour enfants ?

Mathurin : On anime depuis quelques années des ateliers d’écriture dans des classes, au collège et au lycée. C'était la suite logique.

Ed Wood : En fait, nos textes habituels sont trop adultes pour qu’on les étudie avec les enfants. On voulait trouver des exemples plus adaptés, alors on s’est mis à rédiger des textes pour eux. De les côtoyer, ça nous a pas mal inspirés, aussi. Quand on s’est décidés à écrire le premier spectacle, on a voulu créer la surprise, faire un spectacle pour enfants agréable à jouer pour nous, quelque chose qui nous ressemble. A la fin, il y avait un morceau de rap qui cartonnait, du coup on s’est dit : « Allez, on fait un concert de rap pour enfants ! »

Quelle est la différence entre un public d'adultes et un public d’enfants ?

Astien : L’âge ! Non, en fait chaque public est différent. Mais les enfants nous suivent plus dans nos délires que les adultes. Avec eux, tu ne peux pas faire un mauvais spectacle, sinon ils s’en rendent compte. T’es obligé d’être bon, autrement ça ne passe pas.

Ils sont peut-être moins polis ?

Mathurin : Tout à fait, mais ça c’est bien ! Ils sont intraitables, dès qu’il y a une injustice sur scène, ils gueulent et tout !

Ed Wood : Oui, ça les révolte ! Mais on adore ça, on veut qu’ils participent justement. On voulait vraiment un concert pour les enfants.

Astien : Les enfants écoutent vachement de rap, mais plutôt des trucs comme Black M et Maître Gims, alors que nos références sont old school : on voulait quelque chose de plus exigeant au niveau des paroles, un truc assumé pour les enfants, qui parle de leur univers. On ne critique pas Black M, mais on ne fait pas du tout la même chose.

Vos textes sont très bien écrits : ça doit réclamer un certain soin de concilier l'exigence de qualité et le fait que les enfants puissent tout comprendre assez vite.

Ed Wood : Bien sûr ! On est justement en phase de rodage, on essaye de moduler une fois sur l’autre pour rendre le texte le plus intelligible possible. On fait presque pareil que nos spectacles pour adultes, sauf qu’on retire les éléments les plus trash, mais on garde les mêmes conneries, les mêmes personnages… On essaye de s’adresser à eux comme à des adultes.

Mathurin : Oui, on a surtout essayé de faire un spectacle qu’on aurait aimé voir quand on était enfant, ou qu’on aimerait voir si on était gosse aujourd’hui.

© Xavier Hulot

Enfants, vous écoutiez quoi ?

Mathurin : Moi j’écoutais Renaud, ça me faisait rire, il disait des gros mots alors j’aimais bien. Et puis Dutronc.

Ed Wood : Moi j’adorais Gainsbourg, pareil, parce qu’il disait des gros mots !

Mathurin : MC Solaar, à fond, j’avais 10 ans. I AM, NTM, plein de groupes de rap pas forcément destinés aux enfants.

Pourtant, vous ne dites pas beaucoup de gros mots dans le spectacle ?

Astien : Non, parce que dans le rap, ça serait un cliché d’en rajouter. On ne s’autocensure pas non plus, c’est juste que ce n’est pas nécessaire la plupart du temps.

Ed Wood : C’est ce qu’on défend dans les ateliers d’écriture : les enfants ont le droit d’en utiliser, en sachant que c’est un pouvoir, une responsabilité, et que ça ne doit pas être gratuit. Si ça claque dans le texte et que ça donne une impression de colère, d’humour, d’accord, mais si c’est juste pour provoquer une réaction chez nous, voir si ça nous fait rire, non. On fait pareil avec eux, on ne dit pas de gros mots pour les provoquer, il faut que ce soit justifié.

Votre metteuse en scène Julie Chaize vous a suggéré de porter des costumes de couleur. Du coup, vous en jouez pas mal, notamment avec le rose.

Ed Wood : Oui, moi j’avais envie de porter du rose. Il n’y a pas si longtemps, c’était la couleur des garçons et le bleu celle des filles, ça s’est inversé au XX e siècle.

Astien : C’est un vrai truc qu’on veut défendre sans trop le revendiquer : un garçon peut porter du rose et ce n’est pas ridicule, loin de là. On aime bien aller à contre-courant des idées reçues. Par exemple, on a un morceau sur les chouchous, et pour les enfants, c’est la honte d’être le préféré du prof, mais nous on dit le contraire : c’est mortel d’être le chouchou ! Pareil avec la chanson sur les justiciers, les gens disent qu’il ne faut pas se venger, on dit l’inverse : si, il faut se venger, mais avec des blagues. Avec le titre qui se moque des princesses, on veut leur montrer qu’une fille peut avoir d’autres envies que celle-ci. A chaque fois, on fait le pas de côté.

Mathurin : On n’est ni leurs copains, ni leurs parents, ni leurs profs. On est les oncles d’Amérique, on essaye de leur apporter une autre vision.

Riad Sattouf a écrit 'Retour au collège' pour tromper son traumatisme d'enfance de l'école. Vous gardez un bon souvenir de cette époque ?

Ed Wood : C’est contrasté, on a tous eu des bons et des mauvais moments. Dans les ateliers, on le vit par procuration : on revient au CM2 pendant deux ou trois heures, on va dans la classe avec eux, on va à la cantine, on mange du poisson pané, on lit notre âge dans les verres, on fait des blagues avec eux…

Astien : Souvent un enfant, si tu lui demandes s’il aime l’école, il va te répondre tout de suite : « Noooon ! C’est nul, c’est chiant », mais on ne voulait pas aller dans leur sens, au contraire. Sinon, ce serait trop facile de jouer leur jeu en crachant sur les profs et sur l'école. On essaye de mettre un peu de distance avec tout ça.

Pour la musique, comment vous bossez ?

Ed Wood : On a un compositeur, Jonathan Oberlander, qui était beatmaker dans mon groupe de rap. On aimait tous son boulot, alors on est partis sur une instru qui était prévue pour autre chose à l’origine, celle qui sert au morceau dans l’espace, "Vers l’infini". Ca nous a vraiment inspirés, donc on lui en a demandé d’autres, on lui a envoyé quelques samples et il nous a fait des propositions originales aussi. On est partis autant du texte que des instrus qu’il composait à partir des ambiances qu’on lui soumettait. On écrivait des dizaines de punchlines, et dès qu’on avait le morceau, on les restructurait pour que ça rentre dans la chanson.

C'est le moment de notre questionnaire pilosité : Vous bossez beaucoup ou vous avez un poil dans la main ?

Ed Wood : On est très créatifs, c’est-à-dire qu’on travaille à la dernière minute. Il y a une longue phase de maturation qui peut paraître de la paresse vue de l’extérieur, mais on bosse beaucoup. Après, l’écriture, on aime bien faire ça dans l’urgence. Désolé, j’ai été sérieux.

Vous vous êtes déjà faits les moustaches par vos proches ou votre public ?

Ed Wood : On se fait tirer les moustaches par les enfants qui veulent voir si ce sont des vraies !

Astien : Même les adultes le font ! Les femmes, elles, veulent nous embrasser pour savoir si c’est une vraie moustache.

Certaines de vos rimes sont-elles tirées par les cheveux ?

Ed Wood : Ça peut arriver... pour faire des rimes de nouveaux riches.

Mathurin : Il y a celle sur les « frites au four » ! Dans la chanson "Big Cheese", Ed Wood dit : « salade, tomates, oignons, cornichons et frites au four / Si je compte, ça fait cinq fruits et légumes par jour » : on a rajouté « au four » pour que ça rime avec « par jour », mais les frites ne se font pas vraiment au four.

Astien : Mais si ! Les frites McCain, par exemple. Toi, ça te choque parce que tu le fais dans une friteuse à l’ancienne, mais moi je les fais au four.

Qu’est-ce qui vous hérisse le poil en ce moment ?

Astien : C’est terrible, j’ai tellement de choses à dire. Le truc qui m’agace en ce moment, c’est que les gens qui ont plus de 40 ans, quand ils apprennent que c’est un spectacle de rap, ils se disent : « ha non, c’est du rap… J’emmènerai pas mes enfants. » Comme si c’était une musique impie. Autant le rock, c’est maintenant accepté, autant le rap continue d’avoir une sale image, avec les clichés ghetto et cité.

Ed Wood : l’autre fois, une grand-mère est venue nous voir, elle nous a dit : « j’ai adoré ! Mais si j’avais su que c’était du rap, je ne serais pas venue. D’ailleurs, il y a trop de rap dans votre spectacle et il faudrait plus de mimes. »

Astien : Pourtant, il y en a partout, du rap, dans toutes les musiques, à la radio, etc. Les gens ont juste Booba en tête et tous les clichés qui suivent. C’est dommage, parce que c’est tellement un style musical riche et varié, au niveau des textes autant que musicalement. Aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus mainstream, on voit toutes les générations rassemblées pendant les concerts. Il faut arrêter avec les clichés, les gens s’imaginent qu’on va dire « yo » toutes les dix secondes et qu’on porte des casquettes à l’envers.

Ed Wood : Ils s’attendent à ce qu’on porte des sweats à capuche, les mecs ! Ha, merde… [Il regarde son sweat à capuche]

Qui est le moustachu le plus classe du monde ?

Ed Wood : Georges Brassens !

Astien : Jean Rochefort.

Mathurin : David Niven.

Ed Wood : Frida Kahlo la porte très bien.

Astien : C’est dans la tête, la moustache... Même si franchement, Brad Pitt la porte super bien.

Mathurin : Dans quoi ?

Ed Wood : Dans sa tête !

Astien : Dans 'Inglorious Bastards'.

Mathurin : Lui, un rien l’habille.

Astien : Vincent Cassel.

Ed Wood : George Clooney dans ‘O’Brothers’.

Quoi ? • La Moustache Academy, concert de rap pour enfants à partir de 7 ans.
Quand ? • Tous les mercredis et samedis, à 15h30. Jusqu'au 2 décembre. Durée : 1h.
Où ? • A la Nouvelle Seine, 3 quai de Montebello, Paris 5e.

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