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Extension du domaine de Houellebecq avec la nouvelle monographie des Cahiers de l'Herne

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Les fameuses monographies d'auteurs, de philosophes et d'écrivains publiées par les Cahiers de l'Herne consacrent rarement les hommes et les femmes de leur vivant. Après Patrick Modiano ou Edgar Morin, Michel Houellebecq fait donc partie des rares chanceux à entrer au Panthéon de l'éditeur parisien depuis quelques jours. Et c'est peu dire que ceux qui aiment les livres ou les poèmes de l'auteur des 'Particules élémentaires' doivent se ruer sur l'ouvrage. Réputés pour la singularité de leur approche, entre sérieux presque universitaire, verve critique et subjectivité assumée, les Cahiers de l'Herne produisent ici un contenu finalement à l'image de Houellebecq : drôle, surprenant, intelligent, de mauvaise foi et irrévérencieux. 

Comme tous les autres, ce Cahier de l'Herne se picore par granules et le lecteur passera avec ravissement d'un texte de Houellebecq à une interview, une préface, une revue de presse critique de ses livres ou les souvenirs d'un ami, d'une connaissance. On découvre un Houellebecq étudiant timide à l'Agro sur le campus de Grignon, plus préoccupé de cinéma et de littérature que d'agronomie. On le suit peu après poète d'un cercle disparu, enfin écrivain célèbre dès 'Extension du domaine de la lutte', dont la sortie s'accompagne d'un concert de louanges presque unanimes. On lit avec plaisir ses confessions infantiles, comme cette déclaration d'amour nostalgique au Pif Gadget période communiste. On apprend les dessous d'une photo célèbre, celle de Michel en train de fumer pendant qu'il tient son sac de courses Monoprix.

« Toujours prévoir qu'on rentrera seul, et en taxi. »

On aperçoit aussi le Houellebecq gentiment polémiste à la Philippe Muray, apôtre du conservatisme, contempteur du traité de Maastricht au nom déjà de l'identité nationale, mais aussi d'une forme d'anti-libéralisme. Ici, sa mauvaise foi apparaît dans toute sa splendeur (le pire étant certaines saillies en interview, telles que « il ne s'est rien passé depuis le Moyen-Age »), même si l'écrivain conserve un merveilleux brio pour l'art de trouver une formule qui parlera au lecteur avec la beauté de l'évidence. Ainsi dans son éloge du conservatisme, il dresse avec humour le portrait de son propre flegme politique : « Contrairement au réactionnaire, le conservateur n'aura ni héros ni martyrs ; s'il ne sauve personne, il ne fera non plus aucune victime. Il n'aura, en résumé, rien de particulièrement héroïque ; mais il sera, c'est l'un de ses charmes, un individu très peu dangereux. » 

Le lecteur apprendra également dans une passionnante étude que Michel Houellebecq a provoqué suffisamment de passions, notamment féminines, pour disposer d'un fan-club d'amoureux transis, prêts à s'étriper sur la signification d'un vers ou sur son meilleur roman dans des forums de débat parfois houleux, toujours cordiaux. Houellebecq a en effet ce talent d'analyser les détails les plus triviaux de la vie quotidienne de manière si aiguë et dépaysante que n'importe qui pourra aisément se projeter à corps perdu dans son œuvre. C'est dans ses moments de dérision totale qu'il donne le meilleur de sa plume, par exemple lorsqu'il prodigue des conseils façon blog pseudo-psychologique pour réussir une fête : « - Toujours prévoir qu'on rentrera seul, et en taxi. - Avant la fête, boire. - Pendant la fête, boire mais diminuer les doses (le cocktail alcool plus érotisme ambiant conduit rapidement à la violence, au suicide et au meurtre. »

On rit souvent en lisant Houellebecq. Et si cet écrivain n'était finalement là que pour nous remonter le moral, et s'il était notre portrait de Dorian Gray, s'abimant pour mieux nous entretenir ? A la fin d'un article rédigé dans Les Inrocks, Houellebecq avoue simplement : « Oui, je lis pour éprouver du plaisir. Et j'écris pour en donner. »

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