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Gonzaï, putain 10 ans déjà ! Rencontre avec Bester Langs et Thomas E. Florin

Rémi Morvan
Écrit par
Rémi Morvan
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Depuis 10 ans, Gonzaï, c’est : un site Internet pionnier, un magazine papier aujourd’hui en kiosques, un label et des soirées qui cartonnent. Et surtout un activisme de tous les instants et une sacrée réputation. Interview fleuve avec ses fondateurs.

Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Et pourquoi la peur pointe-elle le bout de son nez à la simple évocation de son nom ? GONZAÏ ! Ou l'intransigeance faite site et magazine. Derrière ce nom, deux apprentis journalistes peu conscients de leurs talents, devenus chefs de clan. Et surtout, l'idée d'une blague qui dure depuis 10 ans maintenant.

10 ans d'influence. Car oui, qu'on l'aime ou pas, qu'on le porte aux nues ou qu'on en ait peur, on est obligé de reconnaître que Gonzaï a ce petit côté poil à gratter qu'on ne trouve que chez les vrais prescripteurs. Alors que le site est le lieu de rencontre des mélomanes énervés de tout un pays – et même au-delà –, le format papier fait partie des rares titres de la presse musicale où l'on apprend encore des choses, tout en se fendant la poire. 

Pendant une heure et alors que le numéro 21 de Gonzaï partait à l’imprimerie, Bester Langs et Thomas E. Florin, les deux fondateurs du titre, se sont adonnés avec plaisir à l'auscultation de leur enfant adultérin. Et contrairement à ce que la légende noire laissait présager, ils ont partagé leurs souvenirs avec plaisir, moult sourires et laissé transparaître quelques envies : voir Gonzaï s'épanouir, résoudre les plus belles énigmes pop et découvrir les plus beaux freaks. 

Voici donc une interview en forme d'amuse-bouche avant la parution de ‘La Gaule Underground’, le numéro spécial été de Gonzaï dont vous découvrirez la Une en exclusivité à la fin de cet article. LE magazine de VOTRE été.

© Bester Langs

  

Time Out Paris : Il y a 10 ans, vous en étiez où quand vous avez lancé Gonzaï ?

Bester Langs : Il faisait nuit, il pleuvait.

Thomas E. Florin : Y’a 10 ans, il faisait nuit en permanence.

BL : Je vais raconter la grande histoire, celle que tu connais par cœur.

TF : Que je vais pouvoir corriger surtout.

BL : A vrai dire, on était un peu nulle part. J’avais un boulot de merde en CDI, j’étais responsable logistique chez Zara. On s’est rencontrés sur un site qui existe toujours, Froggy’s Delight. Avant ça, je n’avais jamais écrit pour personne et j’étais convaincu que je ne pourrais jamais bosser dans la musique. Il y a eu la création d’un magazine qui s’appelait One Shot, qui portait bien son nom d’ailleurs puisqu’il a duré cinq numéro et demi. Vu qu’on avait pas la main sur tout, on s’est dit « tant qu’à perdre, autant le faire en ayant toutes les armes dans nos mains ». Avec plusieurs personnes, on devait se retrouver un été chez moi pour réfléchir à quelque chose.

TF : L’anecdote est amusante. One Shot s’est arrêté parce qu’il n’y avait pas de publicité. Tu m’avais dit : « On va faire un truc sur Internet. » C’était en août, je reviens exprès de Rouen pour la grande réunion, j’arrive à Brochant et bim, on est tous les deux ! On réfléchit à un autre projet, on le monte et au moment de trouver un nom, on s’arrête sur Gonzo Magazine. Sauf que notre webmaster nous disait, « Gonzo Magazine, c’est vraiment de la merde ». J’ai dit Gonzaï ? Bester a dit « on dirait un maki au saumon, c’est dégueulasse » pendant que notre webmaster disait « non non j’aime bien, on garde ». On a gardé !

BL : Ça collait avec la mode des blogs. C’était l’affirmation du subjectif qui était intéressante. Myspace s’est lancé, les gens ont tenu des blogs mais très vite, ils se sont rendu compte que pour tenir un blog, il fallait écrire, donc prendre du temps, donc c’est chiant.

TF : 2007, c’est le lancement de Gonzaï mais c’est aussi le lancement de Vice en France. Deux semaines après le lancement de Gonzaï, Technikart a fait un spécial branchés et ils ont fait une interview. En terme de pub, y’a pire…

Technikart "L'histoire secrète des branchés", n° 113 - Juin 2007

BL : Ce qui est drôle, c’est que pendant très longtemps, j’avais voulu bosser à Technikart, j’avais envoyé des mails, je n’avais pas eu de réponse. Et par la suite j'ai bossé pendant cinq ans à Technikart. Par ailleurs, de l'équipe prise en photo pour l'article Technikart, plus de la moitié est encore là. 

Lancer un magazine papier en 2013, un label en 2014 : vous êtes pas un peu masos ?

TF : On a lancé un magazine au moment où les ventes de la presse papier diminuaient et on s’est lancés en kiosques au moment où les revenus publicitaires diminuaient. En fait, on arrive toujours au moins bon moment. Mais on s’en fout.

Qu’est-ce qui préside à la décision ?

TF : L’envie de le faire. Ça n’a jamais été plus que ça. On a voulu lancer un magazine papier, on a fait un numéro zéro vraiment marrant. Après, on a même été demander du fric à Lagardère et compagnie. Les mecs disaient : « Ah mais vous êtes complètement tarés, continuez et on se verra dans quelques années. » On en avait tellement marre, on s’est dit qu’on allait le faire tout seul.

C’est important pour vous le papier ?

TF : Bien sûr ! On aime ça. Je suis abonné à des magazines depuis que j’ai 3 ans. Le magazine est un média merveilleux. La maquette est un art qui a été inventé par le magazine. T’as des mecs du Bauhaus qui ont fait des maquettes. Tu ne peux pas enlever le romantisme du magazine.

BL : Et tu as la mise en danger que tu n’as pas sur Internet.

TF : Et ça restera. Le magazine c’est pareil. Si tu veux que quelque chose reste, il faut qu’il soit physique. Le digital nous amène dans une société un peu particulière.

Bester, en 10 ans tu as dû écrire 1 000 articles pour Gonzaï950 sont apologiques. Pourtant ce sont les 50 « taquins » que l’on retient. Pourquoi les gens sont si injustes avec vous ?

BL : Quand Macron fait une annonce pour dire une bonne nouvelle et que le lendemain, il en annonce une mauvaise, qu’est-ce que les médias vont retenir ? La mauvaise. C’est le problème d’Internet. Et tu as beau faire 950 papiers pour soutenir une scène, une démarche, une esthétique, un mouvement, les gens ne retiendront que les papiers négatifs… Au fond, les gens gardent cette image de Gonzaï comme un truc très hargneux, et c’est très bien.

TF : C’est normal parce que quand tu fais un papier définitif sur quelque chose qui est beau, les gens vont venir te dire « il est super ton article », et fin de la conversation. Alors que si tu as écrit une saloperie sur quelqu’un, là ça fait débat. 

Est-ce qu’au fond, le fait que les gens relèvent bien plus souvent vos articles hargneux, ça ne légitime pas votre slogan « Seul le détail compte » ?

TF : « Seul le détail compte », c’est être tatillon, aussi bien pour ce que tu écris que pour les autres. Un disque, un bouquin, tu vas le regarder précisément, tu t’investis. Qui a produit, etc., etc. C’est ouvrir le moteur et voir comment ça se passe. Comme disait Michel Houellebecq, « la critique est une forme de littérature ». C’est comme quand tu écris un essai, un roman, il faut bien faire son travail. Te renseigner, te cultiver et être curieux.

BL : Les rédacteurs ont cette obsession de l’intégralité de l’interview, sans coupe et sans se dire que la dernière question, elle serait mieux en première [Cette question a été déplacée, NdA]. Sans déformer, mais il faut raconter une histoire. « Seul le détail compte », c’est aussi de réagencer, éditer et ce boulot-là est mieux fait qu’au départ.

TF : C’est ce qu’on appelle angler. En 10 ans, si on a appris quelque chose c’est ça.

« A 15-16 ans, je jouais au basket et j’écoutais Coolio. Je n’avais aucune notion de la musique. Un jour, après une partie de basket, je tombe dans un Auchan sur un album live de Polnareff et je me dis "c’est drôlement bien !" »

Depuis 10 ans, tous les styles musicaux ont été traités dans Gonzaï, mais vous, c’est quoi vos styles les cocos ?

TF : Bester a toujours été obsédé par les synthétiseurs et moi par les guitares électriques.

BL : J’ai une tendance au mauvais goût.

Et cette passion synthé, comment elle est venue ?

BL : Je suis arrivé à la musique très tardivement. A 15-16 ans, je jouais au basket et j’écoutais Coolio. Je n’avais aucune notion de la musique. Un jour, après une partie de basket, je tombe dans un Auchan sur un album live de Polnareff et je me dis « c’est drôlement bien ! ». Je découvre qu’il a travaillé avec Jimmy Page, j’écoute Led Zeppelin et je me suis fait ma culture musicale comme ça.

Tu as récemment écrit un article sur la période électrique de Miles Davis. Je l’avais partagé à un journaliste de Jazz Magazine, qui m’a dit : « Ca c’est de la rock critic. » Quels sont les secrets d’une bonne critique ?

TF : [En imitant parfaitement Philippe Manoeuvre] Alors les 5 secrets pour écrire une rock critic !

Il faut mettre une partie de toi. L ‘art, c’est une part d’amour. C’est con à dire mais l’œuvre a une interaction avec ta vie. Il faut raconter cette interaction. Ce qu’elle a de personnelle et pourquoi elle résonne en toi. C’est ça la rock critic. Bester, il vit avec Miles Davis depuis que je le connais.

« C’est ça qui est fascinant dans l’écriture. C’est presque de l’ordre synaptique : comment, à un moment donné, quelque chose se débloque dans ton cerveau ? »

BL : Ce qui est marrant, c’est que ce papier (à lire ici), quand je le publie, j’ai un doute. Je trouve ça intéressant parce qu’après dix ans, t’es encore capable de te dire que t’as peut-être écrit un papier pourri. Tu n’es pas dans le contentement de toi. Mais ce papier, ça fait trois ans que j’y pense mais il ne venait pas. Pourquoi ? Quel est le cheminement ? Ce papier j’avais des doutes alors que celui sur la FNAC, très long, c'était fluide, il est venu tout de suite, comme un revers de jean qui tombe bien.

Le moment de l’écriture est très important. Notamment quand tu es trop absorbé par ton sujet, il y a un besoin de mise à distance avec ton sujet.

TF : Moi, je n’écoute jamais le disque sur lequel je suis en train d’écrire. Tu vis avec ce truc, tu essayes de comprendre ce que ça te fait, pourquoi c’est important pour toi et après tu écris. Des fois, tu bloques parce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pigé.

BL : C’est ça qui est fascinant dans l’écriture. C’est presque de l’ordre synaptique : comment, à un moment donné, quelque chose se débloque dans ton cerveau ? Comment trouves-tu le bon titre, la bonne accroche ? Ça m’obsède au quotidien ! Pour moi, c’est de la magie. Et l'article sur Miles Davis, je l’ai écrit en deux heures d'affilée alors que pendant trois ans, ça bloquait.

TF : La magie, c’est le changement de la conscience. Comment est-ce que tu vas faire changer la perspective de conscience des gens. Quand t’es auteur, c’est ce qui se passe. 

BL : Pour revenir à Miles Davis, ça s’est débloqué parce que j’ai trouvé le titre. Si tu n’arrives pas à synthétiser ton idée principale en une phrase, c’est dur. Je vais pas voir un film avec un mauvais titre. Il faut choper les gens tout de suite, surtout sur Internet.

« Il y a une règle tacite qui dit : "Si tu veux t’entretuer, fais-le en famille. Dehors, tu soutiens tout le monde" »

Il y a aussi les titres à la Noisey, vendeurs au possible.  

BL : Ils ont créé un langage, qui est repris par tout le monde aujourd’hui.

TF : Ce qui est dingue, c’est que c’est Lelo Jimmy Batista qui a créé ce truc et quand il écrivait pour New Noise, il écrivait déjà comme ça. Je pense que c’est un des meilleurs en France aujourd’hui. On le pense tous les deux. Et il le sait. C’est sa voie à lui.

BL : C’est comme les super-héros. Batman ne ressemble pas à Superman et ainsi de suite. Thomas a une écriture qui est propre, très stylisée, romanesque. Moi, je suis davantage gros lourdaud avec des fulgurances de temps en temps. Lelo a aussi son truc à lui, il est au-dessus, c’est évident ! Si tout le monde pouvait être comme Lelo, y’aurait pas de problème.

A la place du mort, Bastien Landru, rédacteur en chef adjoint et à l'origine du dernier numéro.
© François Grivelet

10 ans de Born Bad pour JB Wizzz, 10 ans de Gonzaï pour Bester Langs : faut-il un alias pour réussir dans l’indé ?

BL : Pour moi, c’était important d’avoir un pseudo. Pas pour me cacher mais pour mettre une distance vis-à-vis de mon écriture. C’est un peu comme un costume de super-héros. 

Bester, dans ton interview avec Stupeflip, tu en viens à parler de René Ameline, légendaire producteur. Vois-tu ton travail de rédac' chef de Gonzaï comme celui d’un producteur qui tire le meilleur de chacun de tes contributeurs ?

BL : Tu ne peux pas me demander ça !

TF : Moi, je peux répondre par contre. Bester est très fort pour fonder et garder un esprit d’équipe. Il y a eu des tentatives de passation de pouvoir sur le site où je devais m’en occuper mais ça n’a jamais marché parce que je suis incapable de faire en sorte que les gens me trouvent sympathique.

BL : Je sais que je suis très content que les gens se barrent de chez Gonzaï pour aller bosser pour plus gros. Je me dis que le boulot a été fait. Enfin, y’a une notion qu’on partage avec Thomas, c’est celle du clan, de la famille. Tu es avec nous ou contre nous.

TF : Il y a une règle tacite qui dit : « Si tu veux t’entretuer, fais-le en famille. Dehors, tu soutiens tout le monde. »

« Ce qu’on voulait, c’était reparler à nos cercles proches. Là, c’est une manière de parler de ce qui se passe à côté de chez soi. »

Le 21e numéro sort cette semaine, on peut en savoir un peu plus ? 

BL : C’est une idée de Bastien, un des premiers stagiaires du magazine et cadre du mag’ aujourd’hui. Il est complètement fou.

Ça faisait trois ans qu’il nous tannait pour faire un guide de la France contre-culturelle des années 2010. Comme on est des gros malades du marketing et qu’on comprend tout avec 3 ans de retard, on s’est dit : « Et pourquoi on ferait pas un numéro spécial ? » Ça s’appelle 'La Gaule Underground' et ça regroupera tout ce qui touche à la musique, aux cultures bizarres et aux trucs stupides. Y’a des trucs qui se passent dans des régions où on s’y attendait pas, mais alors pas du tout ! Ce qu’on voulait, c’était reparler à nos cercles proches. Là, c’est une manière de parler de ce qui se passe à côté de chez soi. En musique, tout ce que j’écoute depuis 10 ans, c’est en France. Faut arrêter de se branler sur Glastonbury et commencer à regarder juste à côté de chez soi.

Après 10 ans de Web, 5 ans de papier et soirées et un label, quelle est la future étape pour Gonzaï ? Racheter d'autres titres ?

BL : La réponse drôle serait de dire : racheter nos propres dettes. Non, on ne cherche à acheter personne mais surtout à ne pas se vendre. J’ai rêvé d’un truc qui n’est plus possible. Que Gonzaï rachète des petits médias français et qu’on fasse une league des sous-doués du Net pour peser plus fort. Et pourquoi ce n’est plus possible ? Parce que je suis atterré de la qualité des médias musicaux en France ! Je faisais de la promo d’artistes, j’ai arrêté à cause de ça. C’est un problème systémique avec le traitement de la news qui s’est imposé, sur le Web tu n’as plus le temps de faire du décryptage et des papiers longs. Le fait d’avoir des mauvais en face de toi, ça te donne assez de jus pour continuer. Tous les six mois, je fais une sorte de grande remise en question : est-ce que ça vaut le coup de continuer ? Pourquoi je n’ai pas vu un film en soirée depuis des mois voire des années ? Parce que ça a encore du sens. Je ne sais pas si les autres en face sont moins bons, je le pense, mais tant que je n’ai pas la réponse, je continue !

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Photo © François Grivelet Maquette © Jules Estèves

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