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Interview : le groupe Alt-J revient avec un troisième disque intime et puissant

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Ok, ce ne sera pas la pochette de l'année, mais 'Relaxer' assure le grand retour d'Alt-J ce 2 juin. Beau, élégant, intimiste et grandiose à la fois, le disque porte les vertus acoustiques et polyphoniques du groupe vers des sommets. On y perçoit les lointains auspices autant de la musique classique que de Lou Reed ou José Gonzalez, bref un voyage complexe et trippant vers le cerveau de trois Anglais originaires de Leeds, la ville d'Eric Cantona et Gang of Four. Dans un hôtel parisien, ils nous ont raconté la genèse de l'album et à quel point c'est sympa de crier « fuck you » dans un micro.

Time Out Paris : Vous êtes originaires de la ville de Leeds, est-ce que vous y retournez parfois ?

Gus Unger-Hamilton : Ce n'est pas pratique de vivre hors de Londres dans ce milieu, peut-être qu'on pourrait maintenant, mais quand tu débutes, il vaut mieux habiter à Londres.

Joe Newman : Beaucoup de nos amis sont partis de Leeds après l'université, donc il n'y a plus personne là-bas qui nous rappelle des souvenirs. Seulement les immeubles... et encore, depuis dix ans que nous sommes partis, le paysage a changé, ça ne ressemble pas à ce qu'on a connu, à notre foyer ! C'est une ville moderne qui n'arrête pas d'être construite et reconstruite. La ville est un peu connue pour son équipe de foot, aussi. Possiblement la seule grosse ville en Angleterre qui n'a qu'un seul club, quand tu compares à Liverpool, Londres, Manchester... Mais nous ne sommes pas fans de foot. 

C'est donc possible, des Anglais qui n'aiment pas le foot... Venons-en au disque, il s'appelle 'Relaxer', est-ce que c'est un mot qui décrit bien l'orientation prise par votre musique ?

Joe : C'est vrai qu'on se plaît à faire notre musique et qu'il vaut mieux l'écouter sur un lit, à l'horizontale, peut-être un peu défoncé, en se relaxant le plus possible à l'écoute des chansons, le casque sur les oreilles. C'est comme ça que j'imagine nos auditeurs. Après, « Relaxer », c'est aussi un terme qui sonnait bien à notre esprit, qui colle bien avec l'artwork du disque. A l'origine, le mot provenait d'une phrase de la chanson "Deadcrush", qui dit : « I'm a relaxer, pina colada, with my deadcrush. » Finalement, on a supprimé la phrase mais on a utilisé "relaxer" pour le titre, on trouvait ça bien d'avoir un mot qui ne se trouve nulle part sur l'album. 

Le disque commence très doucement, avec un titre acoustique, et il se termine dans un souffle lyrique qui s'inspire beaucoup de la musique classique et religieuse. 

Gus : C'est ça ! C'est un hymne, avec le même type de structure, trois vers, pas de refrain, avec chaque fois une même phrase qui clôture le vers. Même si ce n'est pas un chant religieux, on voulait lui donner cette ambiance spéciale, parce que le texte évoque une époque où la religion était très importante en Angleterre. Ca parle d'un petit village de mineurs au Pays de Galles à la fin du XIXe siècle. L'église et le chant communautaire religieux faisaient partie de la vie quotidienne de ces gens. 



Qu'est-ce que vous écoutiez comme musique pendant la composition de l'album ? 

Joe : Pas mal de musique classique en fait. En général, j'écoute de la musique en faisant quelque chose d'autre, je ne suis pas uniquement concentré sur ce que j'entends, c'est plus un fond sonore pour ma journée, surtout quand je bouquine. J'ai beaucoup écouté Bach, Chopin, Philipp Glass... Je tapais le nom d'un compositeur sur Spotify et je laissais l'appli faire le reste. D'où probablement l'influence classique sur la guitare dans 'Pleader'. 

Vous parlez de Spotify, est-ce que vous écrivez vos albums en réfléchissant à cette nouvelle façon de consommer la musique sur Internet, notamment le streaming ? 

Gus : Nous connaissons bien les comportements actuels quand il s'agit d'écouter de la musique, nous les pratiquons nous-mêmes. Nous ne sommes pas snobs et nous n'allons pas forcer les gens à écouter l'album en intégralité, si quelqu'un veut juste écouter le single "In Cold Blood", tant mieux !

Joe : On fait quand même le pari que les gens vont écouter le disque du début à la fin, parce que ça renforce notre travail en tant qu'œuvre. C'est plus sain de raisonner comme ça, chaque album est une œuvre, c'est comme dans une expo, vous n'y allez pas juste pour voir un tableau, vous y allez pour découvrir un artiste. Si nous commençons à penser à ces nouveaux moyens de communication en nous disant : « Ok, les gens n'écouteront que le single, alors faisons juste une très bonne chanson », la machine se cassera immédiatement. 

Quand avez-vous décidé de reprendre le traditionnel "House of The Rising Sun" ?

Joe : Il y a longtemps, peut-être deux ans. La nature du morceau, c'est de faire le relais entre les générations. Il a été repris, revisité, ré-imaginé un grand nombre de fois. La version des Animals a sans doute été une de mes premières expériences du rock des sixties, c'est la première fois que j'avais un rapport avec la culture musicale américaine. Nous voulions la faire à notre manière, produire une version complètement différente de ce qui avait été fait auparavant. Nous avons ajouté quelques-unes de nos petites manies, et même modifié un peu les paroles, avec notamment ce refrain qui n'existait pas. 

Gus : On a toujours dit qu'on était un groupe de folk d'une certaine manière, alors malmener "House Oof The Rising Sun", qui est un chant traditionnel datant de plusieurs centaines d'années, c'est une bonne manière de prouver que nous sommes vraiment un groupe folk. 

Joe : A nos débuts, on disait qu'on était un groupe de « jump folk ». Quand on était à l'université, c'était plus facile, on avait pas besoin d'une étiquette, parce qu'on était juste un « groupe étudiant » et les gens savent que les étudiants font des trucs débiles et incompréhensibles. Dès qu'on a quitté l'université, les gens se sont dit : « C'est quoi cette musique ? », alors il a fallu trouver cette expression de « jump folk ».

Sur le disque précédent, vous aviez samplé Miley Cyrus, est-ce que vous avez renouvelé ce type d'expériences ici ? 

Gus : Cette fois, on a plutôt fait nos propres samples, en quelque sorte. Par exemple, on a enregistré ma copine et celle de Joe dans une piscine en train de dire « salut ! » pour l'insérer dans le disque. Pour le début de "Pleader", on a capturé le son des énormes chauffages en fer à Ely Cathedral, là où les chœurs ont été enregistrés également. En plus, c'est un bruit aux sonorités industrielles qui fait justement le lien avec la thématique de l'industrie minière, qu'on retrouve dans le morceau. "Pleader" est inspiré par le livre 'How Green Was My Valley' de Richard Llewellyn sur une communauté de mineurs gallois. 

Dans le titre "Hit Me Like That Snare", on retrouve un petit côté industriel également, une pulsation mécanique. Joe, ta façon de chanter aussi est différente, pourquoi ?

Joe : Oui c'est vrai. Cette chanson, c'est un peu une déclaration anarchiste, un petit manifeste rock'n'roll, alors il fallait se mettre dans un état d'esprit différent. Ma façon de chanter est un peu plus théâtrale que d'habitude. On avait envie de dire des choses hostiles, pas forcément à quelqu'un en particulier, mais c'était excitant de sortir de notre zone de confort.

Gus : c'est marrant de crier « fuck you » dans un micro, on se sent libre. C'est un peu comme lancer des pierres contre une fenêtre, tu le fais quand tu sais que tu ne vas pas avoir de véritables ennuis. 

Comment expliquez-vous l'absence aujourd'hui de véritables hits dans la musique rock ? Hormis "Seven Nation Army", on peine à trouver des exemples.

Thom Green : Il existe des sortes de hits dans leur genre, dans leur niche, mais ça n'ira pas plus loin. Il n'y aura jamais de hits death metal, parce que ça ne convient pas à l'industrie mainstream. Il y a de la musique incroyable qui est très heavy mais ça ne sera jamais classé comme des hits, ça ne passera jamais sur une radio commerciale. Avec Alt-J, nous sommes capables de faire un hit, notre musique n'est pas si éloignée que ça de la musique populaire, donc ça pourrait très bien arriver. 

Quelle a été la pire difficulté que vous avez rencontrée pour faire cet album ?

Joe : Pendant un moment, nous n'avions pas assez de chansons. Juste six, ce n'était pas assez mais j'avais confiance dans le fait qu'on allait en trouver d'autres. Enfin, je faisais un peu la politique de l'autruche aussi, je refusais de voir le souci alors qu'il fallait batailler un peu. Notre producteur, Charlie Andrew, flippait un peu pour la suite, et ses inquiétudes ont commencé à m'empoisonner, alors que j'avais une espèce d'optimisme naturel. Du coup, ça m'a quand même forcé à bosser davantage. Avec le titre "Adeline" également, nous avons évité de peu d'en faire un archétype de la chanson Alt-J. A un moment donné, on s'est rendu compte que nous étions sur un mauvais chemin parce qu'on se simplifiait la vie en reproduisant une formule, un truc qui typiquement allait être zappé de l'album par l'auditeur, mais nous avons résolu ce problème en travaillant sur le morceau. 

'Relaxer' de Alt-J, paru le 2 juin 2017 (Pias).

Un petit hommage pour rigoler :

 

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