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L'Elysée Montmartre va renaître de ses cendres : entretien avec son nouveau patron

Écrit par
Matthieu Petit
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L'image d'une épaisse fumée noire s'échappant de l'Elysée Montmartre et des nombreux camions de pompiers tentant de maîtriser l'incendie hante encore les amateurs de musique en tous genres et les amoureux des salles parisiennes. En ce matin du 22 mars 2011, c'est tout un pan de l'histoire du music-hall qui part en fumée. La faute à un simple court-circuit, laissant orphelin un fidèle public constitué de passionnés, avides de concerts fougueux et de soirées enflammées. Après la tristesse, l'angoisse prend le relais : la salle va-t-elle fermer définitivement ? Va-t-on la raser pour construire un parking géant ? On imagine le soulagement qui a été celui de tous en automne 2014 lorsque Julien Labrousse et ses associés, locataires du Trianon situé juste à côté, annoncent le rachat de la salle, avec dans la foulée des travaux de rénovation et une future réouverture. Petit état des lieux avec le nouveau patron, un an plus tard.

Vous êtes, avec Abel Nahmias, à l’initiative de la reprise de l’Elysée Montmartre et des travaux pour reconstruire la salle suite à l’incendie du 22 mars 2011. Qu’est-ce qui vous en a donné envie et comment se sont passées les tractations ?

Après l’incendie, la société Garance Productions, qui possédait l’Elysée depuis vingt-cinq ans, a perdu son bail. La salle s’est donc retrouvée sur le marché, avec les acteurs habituels qui souhaitaient racheter l’endroit. A la base, on ne s’était pas positionnés sur le projet car on n'en avait pas forcément les moyens, même si on en avait très envie. Et puis on connaissait les mecs de Garance Productions, et on savait que c’était un vrai coup dur pour eux. De plus, il me semble que TF1 avait pratiquement signé le rachat, mais qu'ils se sont finalement désistés devant l’ampleur des travaux. Alors à un moment donné, on a fini par se motiver.

La démarche a-t-elle été compliquée ?

Au début, on s’est fait balayer financièrement parlant par les « gros ». Puis le temps passait et rien n’avançait : le dossier était très complexe, le coût des travaux important. Quand on s’est alignés, les propriétaires savaient qu’on pouvait gérer les travaux car on a notre propre agence d’architecture. Et puis suite à l’incendie, il y a eu une enquête pour déterminer son origine, et ça a beaucoup ralenti le processus.  C’est compliqué de reconstruire quelque chose à Paris dans une zone de carrières, il y a toute une machine administrative qui se met en route. Entre les expertises et tout le reste, ça a pris environ deux ans. Une fois l’enquête terminée, on a pu se mettre au travail.

Des pétitions avaient été lancées à l’époque pour sauver l’Élysée Montmartre, pour que l'endroit demeure une salle de concerts. Ca vous a motivé ?

En réalité, cette peur de voir l’Elysée Montmartre ne jamais renaître est une illusion médiatique créée par la presse et un peu par Gérard Michel [patron de Garance Productions, nda]. Peu de gens le savent mais en France, la loi de 1948 protège les lieux de spectacles vivants : un usage autre que celui d’une salle de spectacles, sauf autorisation exceptionnelle du ministère de la Culture, est interdit. On a tout vu dans la presse, du genre qu’on allait transformer ça en logements HLM, etc. Heureusement que cette loi existe car honnêtement, le marchand de biens ne nous aurait jamais vendu la salle s’il avait pu en faire quelque chose de plus rentable. On est quand même dans une des rues les plus passantes de Paris.

Comment s’organisent les travaux ? A quoi l’Élysée Montmartre va-t-il ressembler de l’extérieur ?

La construction sera neuve, car il a fallu tout raser : tout avait fondu, de la façade jusqu'à l’intérieur. On a notre propre agence d’architecture, ce qui a facilité les choses. Par ailleurs, on possédait déjà une expérience avec la reconstruction du Trianon. Ensuite, l’Elysée Montmartre a toujours été un endroit avant-gardiste, jusqu'à ce que le Moulin Rouge ne lui vole la vedette. On y organisait beaucoup de bals, d'événements grandiloquents, très branchés, avec des personnages historiques comme Maupassant ou le Marquis de Sade. Deux cents ans d’histoire, ça fait un héritage très lourd ! Difficile de rouvrir une salle si historique, de réincarner un endroit au si lourd passé, sachant qu’elle a évidemment changé au cours du temps, devenant un peu punk, etc. On ne pouvait pas refaire un endroit dans cette veine d’un point de vue architectural, cela n’avait plus de sens : les fers métalliques étaient emplâtrés, le lieu s’était dégradé avec le temps. Quand t’allumais la lumière le matin, ça faisait hangar crade... On est donc repartis sur un postulat historique, tout était possible : on se trouvait sur un terrain vague. On a essayé de travailler à partir d'un imaginaire féerique, un décor créé de toutes pièces, comme à la première époque, de façon non haussmannienne.

Où en est-on aujourd’hui ? Avez-vous des idées pour votre soirée d’ouverture ?

Les travaux avancent bien, mais il y en a encore pour huit mois, voire un an. On est plutôt en avance, mais c’est loin d’être fini. Sincèrement, on ne sait pas ce qu’on va faire pour la soirée d’ouverture, on ne peut pas y penser maintenant. Aucune décision ne sera prise avant cinq ou six mois. Mais s’il fallait choisir des artistes, je reprendrai bien l’affiche du faux concert de l’Elysée Montmartre de 2013 ! Typiquement, on ne pourrait pas faire beaucoup mieux : ce sont des têtes emblématiques. Après, ce n’est plus très underground aujourd’hui. J'adore Daft Punk, mais ce n’est pas le groupe de demain, ça ne représente pas la nouvelle scène. Tout dépendra des calendriers, des volontés des uns et des autres. On a à la fois l’idée de faire une sorte de buzz pour l’ouverture et de trouver un groupe suffisamment underground pour pas que ce soit un truc putassier.

La fausse affiche placardée dans les rues de Paris en 2013

Avez vous commencé à réfléchir sur la future programmation musicale ?

Bien sûr ! On va rester dans un registre assez similaire à ce qu’il se faisait auparavant en gardant la même ligne très ouverte aux musiques du monde, avec du hip-hop, du métal et pas mal d’électro. C’est important de rester sur ce positionnement car l’Elysée a toujours accueilli des trucs énervés, même au XIXe siècle : le cancan, pour l’époque, c’était pas vraiment sage ! On a même découvert grâce à un historien qu’un agent d’Etat avait été envoyé dans ces années-là pour surveiller ce qu’il se passait dans la salle, si l’ordre moral était respecté ! On vous rassure, on ne va pas faire ça.

Comme vous l’avez rappelé, vous possédez également le Trianon qui se situe juste à côté. Pas trop peur d’être votre propre concurrent ?

Ce sera forcément compliqué, ce sont des économies fragiles. Il y a de la concurrence partout, mais ça fait partie du business. Comme ça devient de plus en plus dur, peut-être qu’il vaut mieux être son propre concurrent, même si ça sera difficile de trouver l’équilibre. On ne roule pas sur l’or en organisant des concerts : t’es content quand tu paies ta banque, quand tu as remboursé ton crédit de travaux. Dans ce domaine, les artistes se font souvent une idée sur une salle, et c’est très difficile de savoir comment elle va être acceptée. Donc tant mieux que cela soit entre nous, car si quelqu’un d’autre l’avait reprise, comme on est vraiment collés, on se serait frappés toute la journée !

Vous êtes confiant sur le futur de la salle au vu de la fragilité économique de l’organisation de concerts ?

On n’a pas trop de théories : on y va et on verra bien. Quand on a décidé de reprendre le Trianon, on a eu beaucoup de refus bancaires au début, je ne savais pas vraiment comment ça allait marcher. Je suis assez superstitieux, je marche à la croyance. J’incarne un peu le projet, alors je fais du mieux que je peux en faisant un peu tout : je viens chaque jour sur le chantier, je dessine les trucs avec l’architecte. Personne ne peut prévoir ce que ça va donner, on peut se prendre un four, obtenir peu de dates à cause de la répartition homogène des concerts. Ca fonctionne ainsi : tu as des périodes dans l’année où tout le monde veut la même date, et à un moment donné, quand c’est trop chargé, tu vas dans la « meilleure » salle. Imaginons : l’artiste est à Paris, il veut une date début novembre. Il fait une tournée et il faut aller vite, donc il vaut mieux avoir le 10 dans telle salle que dans la salle qu’il voulait le plus. Après, ça n'existe plus quand tu fais un Stade de France, mais c’est encore un autre business.

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