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On a eu la chance de visiter l'immense discothèque de Radio France

Écrit par
Emmanuel Chirache
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En juin 2016, la vente de 8000 vinyles issus de la discothèque de Radio France a littéralement surexcité les mélomanes français et internationaux. Visant à récolter des fonds pour numériser le catalogue, c'est-à-dire plus de 2 millions de titres sur tout support, l'opération a rapporté 150 000 euros. Parmi tous les disques, le plus cher s'est vendu à 10 500 euros, il s'agissait d'un 45 tours promotionnel de Syd Barrett tiré à 60 exemplaires dans le monde. Nous avions là un bon prétexte pour visiter cette discothèque mythique, la plus grande d'Europe. 

Les disques sont entreposés aux confins de Paris dans un hangar immense, dont l'emplacement géographique est scrupuleusement tenu secret. Ici, on achète des disques, on les classe, on les numérise, on les envoie aux programmateurs radio, on les produit parfois. Avec ses bagues aux doigts, sa veste de costume, son gilet et ses favoris entre esthétique mod et rébellion rockab', le directeur Marc Maret nous accueille chaleureusement. Des vinyles sont exposés un peu partout dans les bureaux et on sent que notre hôte n'a qu'une hâte, nous en passer quelques-uns sur la platine.

Très vite, la conversation roule sur le rock sixties, les bruitages au cinéma, les pochettes d'albums... Marc Maret pose même pour la photo avec la pochette d'un disque de Robert Mitchum en guise de visage. Une fois l'entretien terminé, ce passionné de musique continuera d'arpenter les rayons avec nous pour causer musique. On resterait bien dans ce hangar écouter les deux millions de titres, mais il faudra bien finir par s'en aller. 

De quand date la discothèque de Radio France ?

La discothèque date des années 1960. Au départ, ce lieu s’est rempli d’une seule chose importante à l’antenne, c’est la musique. Ce n’est pas une collection ! Tout est là pour les besoins de la radio. Ce n’est pas le contenant qui nous intéresse mais le contenu. Il faut que ce soit pertinent pour le programmateur ou le producteur radio. On n’a pas du tout une démarche muséale, on garde nos objets s’ils sont utiles. Pour l'instant, nous avons numérisé seulement 13% du fonds, mais 100% de la musique programmée à la maison de la radio se fait uniquement en numérique, plus aucun objet physique ne passe à l’antenne, ou alors à la marge, pour des raisons techniques. Concrètement, on ne passe plus de CD ni de vinyles. Alors que dans les années 1960, on les passait directement à l’antenne, c’est pour ça que nous avons parfois deux, trois, quatre exemplaires d’un même disque. Ce sont ces doublons que nous avons vendu lors de la vente aux enchères.

Les doublons devaient aussi servir en cas d'usure, non ? A force d'être si souvent utilisés, ils s'abimaient. 

Bien sûr ! C’est pour ça qu’on a des exemplaires double et triple en très bon état. En revanche, les professionnels de la radio ont extrêmement bien manié les disques. On a peu de disques rayés, en fait. Ils sont usés par le temps, évidemment, mais c’est normal. Il y avait à l’époque une certaine forme de respect de l’objet.

© EChirache
© EChirache

Une fois que le fonds sera numérisé entièrement, qu'allez-vous faire des archives physiques ?

On verra ! c’est l’une des grandes questions qu’on se pose. Pour l’instant, la discothèque n’est pas dans la maison de la radio à cause de travaux en cours, mais elle reviendra un jour. Pourquoi pas, un moment donné, ouvrir les réserves pour des visites par exemple ? Vous le voyez vous-mêmes, c’est impressionnant comme lieu, donc ça pourrait être quelque chose qu’on offrirait aux auditeurs, c’est-à-dire des visites des réserves et des archives.

Comment sont classés les disques ?

Au tout début, les gens classaient par label. On s’est vite aperçu qu’à chaque fois qu’on rangeait un nouveau disque, il fallait déplacer tous les autres labels à côté. Ça impliquait du tri et de la manipulation pour pas grand chose. Par la suite, on a classé par ordre d’arrivée, ce qui est le meilleur classement. Quand un disque arrive, on lui donne un numéro, et ainsi de suite. Ce qui ne signifie pas que le disque est neuf, car pour les besoins de la radio, on peut se procurer d’anciens albums, comme c’est arrivé récemment avec la mort de Mohammed Ali, nous avons dû acheté d’anciens titres sur l’univers de la boxe.

A quoi sert d’avoir de nouveaux albums en vinyle alors que vous pouvez les obtenir directement en numérique ?

On a beaucoup développé, en partenariat avec les festivals par exemple, des expositions. Ces albums nous servent beaucoup dans ces cas-là. Cette année, nous avons fait 'Un air de liberté' au Printemps de Bourges : Mathias Malzieu de Dionysos a fait une sélection en chansons autour de sa liberté. Idem avec Patti Smith l’année dernière, elle est venue nous commander son univers en vinyles, c’était impressionnant. Surtout, il y a des inédits dans ces vinyles, ça nous sert aussi. En tout, on rentre une quarantaine de disques par jour, quel que soit le support. A la radio, on ne fait pas de différences entre les objets, nous ne passons d’ailleurs que les versions numériques des chansons. Nous avons environ 1500 téléchargements pour besoin de diffusion par jour, ce qui est énorme. Parce qu’on alimente FIP, France Musique, France Inter, qui utilise énormément la musique et les sons. Car nous avons beaucoup de bruitages, de sons d’illustrations, de jingles…  

© EChirache

  

Est-ce qu’il y a des choses produites par Radio France ?

On produit nos propres archives. On a demandé à des artistes de venir réaliser des morceaux inédits qui sont inclus dans la collection, ça s'appelle une session unique. J’ai acheté une machine à graver les vinyles, et les artistes viennent faire des duos inédits entre eux qui sont gravés en un seul exemplaire et remis dans la discothèque. Certains sortent pour le Disquaire Day. Cette année, il y a Arthur H et JP Manova qui ont fait un duo, ou encore Piers Faccini et Ibrahim Maalouf.  

Comment les experts ont-ils fait leur choix lors de la vente aux enchères ?

Avec la base documentaire de la discothèque, qui est l’une des plus grandes d’Europe. C’est un outil très organisé et efficace. On peut chercher par thématique, par mood, par instrument, par année, etc. Si je fais une émission sur la couleur verte, je tape le mot dans la base de données et je trouve tous les titres avec le mot vert. Et ça existe depuis le début de la maison de la radio, ça se faisait sous forme de fiche à l’origine. Les experts n’ont pas trouvé le Syd Barrett ou le France Gall ["Zozoi", ndlr] par hasard.

Parmi les disques mis en vente, qu’est-ce qui a marqué votre esprit ?

Le France Gall, mais aussi le Johnny Hallyday, une musique de films : 'Les Poneyttes'. C’est un disque qui est passé totalement à côté du succès, c’est pour ça qu’il est devenu rare et donc précieux. A l’époque, les 45 tours étaient des objets promotionnels, dès qu’ils ne marchaient pas, on les remplaçait par un nouveau. Syd Barrett, c’est aussi le mythe qui joue, sa carrière est très courte. Le titre est à tomber par terre, de toute façon, c’est produit par ses copains des Floyd. Nous vendons aussi des musiques de films, comme la Planète Sauvage par Alain Goraguer, ou des bruitages, un truc qui intéresse surtout les DJs.

 Est-ce qu’un jour vous prévoyez d’ouvrir une plateforme web pour que le public puisse écouter la collection ? 

Je suis un fan de l’open data, j’espère qu’on pourra le faire, mais il y a des problèmes techniques qu’on essaye de résoudre. C’est un vœu en tout cas. 

  




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