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On a rencontré le dernier crieur public de Paris

Écrit par
Elise Boutié
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Ding ding ding, la petite clochette du crieur public sonne le rassemblement, approchons-nous tous, passants, flâneurs, curieux, ponctuels... Gavroche au look de titi parisien chic, bonimenteur à l'élégance décalée, le crieur public de Paris est une femme. Lunettes rondes, porte-voix rouge et élocution aussi gaie qu'un pinson, Ségolène Thuillart serpente le 18e pour répandre les messages qu'on lui a envoyés, et ce plus rapidement, plus efficacement et plus humainement que n'importe quel réseau social numérique.

Offres d'emploi, annonces de colocation, poèmes spontanés, coups de gueule politiques, textes d'auteurs timides ou simples bonjours sympathiques, elle transmet tout. Ouvrant un espace social de communication directe, libre et adressée, le crieur public entretient un lien social précieux, vivant et nécessaire dans un contexte où priment l'immatériel, le désincarné et la parole par écrans interposés.

Comment t'es venue cette idée de faire le crieur public ?

C'est un très vieux métier. Avant le crieur public criait parce que les gens ne savaient pas lire mais il fallait que chacun soit au courant des nouvelles lois, des jours de levée des impôts, de la venue du souverain... C'était un vrai métier, avec un salaire important. Le crieur public était un employé de l’Etat au service autant du pouvoir que des gens. Il assurait la diffusion des informations et créait le lien entre la sphère étatique et la société civile. Il était vraiment implanté dans la vie, c'était un relais important, indispensable même.

C'est le crieur de Lyon qui m'a fait découvrir cette profession. Tous les dimanches, sur la place du marché, il criait toutes sortes de choses : des petites annonces sentimentales, des poèmes... Et on le croisait tous les dimanches. On savait qu'on allait entendre des informations qu'on n'aurait jamais connues autrement. C'est ce qui me plaît, de devoir se rendre quelque part pour avoir accès à de l'information qui ne circule pas, ou pas aussi bien, sur d'autres canaux. J'ai voulu reprendre cette idée à Paris, essayer d'en faire un projet social, d'aller à la rencontre des gens tout en les remettant au cœur de l'initiative.

Le crieur en plein séance de cris.

Mais maintenant qu'on peut trouver les lois dans les journaux ou sur Internet, qu'est-ce que tu cries ?

Je crie absolument tout ce qu'on m'envoie ! Pour chaque criée, je fais appel à tous ceux qui ont quelque chose à dire et faire entendre. Chacun est libre de me faire parvenir ce qu'il veut. Après, je regroupe les messages sous différentes rubriques. La dernière criée par exemple contenait des bonnes résolutions, des textes politiques, des coups de gueule, des poèmes, des recherches d'appartement et des événements du quartier. Je n'écris rien moi-même, je ne réécris jamais non plus ce qu'on m'adresse, je crie tout.

Je ne suis que le porte-voix de ces gens timides ou pressés ! Bref, je transmets les messages. Et je garde l'esprit du vieux crieur qui rassemblait sur la place publique tous ceux qui passaient là ou attendaient une information bien particulière. J'ai envie qu'on rencontre la criée, qu'elle fasse irruption dans l'espace qu'on ne fait que traverser d'habitude, et qu'à ce moment-là, cette fois, on s'arrête.

Mais alors comment est-ce que tu récoltes ces messages ? 

J'utilise ce qui existe en fait. Je pourrais poser des boîtes à messages dans les bars ou dans les bibliothèques et venir rechercher les messages qu'on y aurait déposés mais je me sers de cet outil fantastique qu'est Internet. Ca permet de toucher les gens au milieu de leur vie, quand ils bossent, quand ils traînent, quand ils s'ennuient. Ils n'ont pas besoin de faire une démarche vraiment extraordinaire pour me faire parvenir leurs messages. Je préfère leur laisser la possibilité de m'écrire même et surtout pendant leurs insomnies.

D'ailleurs, quand je disais que je crie tout ce qu'on m'envoie, c'est vraiment tout, je crie la date et l'heure à laquelle j'ai reçu le message avant chacun d'eux, ce qui permet d'imaginer différentes vies, différentes humeurs derrière ces textes. Ca permet aussi d'avoir des messages du monde entier ! Une amie m'a envoyé une fois l'annonce de l'ouverture de son restaurant au Japon ! Après, bien-sûr, le plus important c'est de ramener ça dans le concret, dans la réalité, dans l'espace commun. On se rassemble quinze minutes pour écouter ce que tout le monde tient à nous dire avant de se disperser dans nos vies. C'est une micro-pause, une respiration. Un peu le même effet que le musicien incroyable qui joue dans le métro et qui fait qu'on s'arrête, qu'on laisse passer un puis deux métros, juste parce qu'il se passe quelque chose qui fait qu'on est ensemble, autour d'un truc qu'on ne sait pas très bien définir mais qui nous touche directement.

Prochaine criée : le 2 avril.

Est-ce qu'on pourrait rapprocher ça de la performance ?

Avant, ce travail était totalement détaché de mon travail performatif, je voulais vraiment que ce soit un projet qui aille dehors, à l'extérieur, au contact et en prise avec le monde réel. Je ne voulais pas que ce soit un truc d'artiste se produisant dans la rue, dans une sorte d'aura esthétique. L'été 2015, j'ai fait plusieurs criées dans des parcs du 18e, pour en faire un événement de quartier où les gens se rencontrent et s'approprient des espaces urbains qui sont d'habitude plutôt des lieux de rapports de force.

Maintenant, c'est toujours ce qui motive ma démarche mais je travaille plus ma diction, ma voix, ma respiration, le jeu, j'explore plus le côté théâtral de la criée, sans abandonner sa réalité. Disons que c'est entre le stand-up et Leboncoin, une sorte de mise en scène drôle de messages tout à fait concrets qui attendent des réponses. Je pense que c'est en amusant les gens qu'on arrive à les intéresser. J'ai envie d'éveiller la curiosité, d'interpeller, mais d'une façon plus détournée qu'une convocation dans un musée pour une performance d'artiste.

Depuis que tu as commencé ce projet de criée, tu en as fait une bonne dizaine : comment évolue l'implication des spectateurs ?

Au début c'était dur de se faire une place dans la ville comme ça, c'est assez long pour exister dans l'espace. Du coup, j'ai décidé de rester dans le 18e parce que c'est là que j'ai commencé et qu'il y a un important maillage associatif que je rejoins dans ses événements et dans sa démarche de faire vivre le quartier avec ses habitants. Petit à petit, la criée a impliqué de plus en plus de ces micro-réseaux. Parfois, j'interviens aussi pendant des festivals, je crie la programmation. Ca permet d'avoir un public directement concerné, qui est vraiment en attente d'une information cruciale que je détiens et délivre ! 

Il y a une certaine immédiateté de la criée publique, et puis il y a aussi d'autres événements où, par la criée, les gens en sont venus à se parler, à se rencontrer. Une fois par exemple, c'était pour l'inauguration d'un centre social à la porte d'Aubervilliers, j'avais le projet de crier l'histoire du quartier pour que ça rassemble un peu tout le monde, en récoltant les bribes de mémoire des uns et des autres, en allant glaner ces informations à droite à gauche, l'histoire s'est écrite comme ça, à plusieurs mains. 

La prochaine criée aura lieu le 2 avril prochain à 13h, sur l'esplanade Nathalie Sarraute dans le 18e. La page Facebook du crieur public. L'adresse mail pour envoyer vos messages : crieurpublicdu18@gmail.com

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