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Portrait de David Simon ('The Wire'), créateur de séries engagé

Houssine Bouchama
Rédacteur en chef, Time Out Paris
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Ils se tiennent droits, l’un face à l’autre, assis sur les sièges confortables de la Maison Blanche. Costume de rigueur, cravates rayées ou à pois, les deux hommes conversent face aux caméras en champ-contrechamp. D’un côté, Barack Obama, président des Etats-Unis. De l’autre, David Simon, ex-reporter au Baltimore Sun. Et si la logique voudrait que ce soit l’homme politique qui se fasse interviewer, ici la scène relève du paradoxe. Car c’est bien le journaliste, qui a mué en créateur surdoué de séries depuis quinze ans déjà, qui donne les réponses. Le thème de la conversation ? La réforme de la justice. Qui d’autre en effet peut traiter de manière aussi juste et précise l’épineuse question du trafic de drogue et les maux latents de la justice américaine ? Lui, le formidable disséqueur de l’Amérique moderne, obligeant toute une société à affronter ses problèmes.

Car David Simon n’est pas seulement l’un des plus grands réalisateurs du petit écran. Il est aussi un remarquable sociologue en tunique HBO, un scrutateur balzacien des rapports humains. Exigeante, touchante et humaniste, son œuvre est un coup de poing politique, un manifeste tout sauf manichéen. Toute sa carrière, l’homme est hanté par des thèmes récurrents : l’intégration raciale, les barrières entre les classes sociales, le dysfonctionnement des institutions et l’urbanisme. Il les explore parfaitement dans ses séries, du chef-d’œuvre ‘The Wire’ à la trop méconnue ‘Treme’, en passant par la petite dernière, ‘Show Me a Hero’. Toujours dans une forme très proche de celle du documentaire, qu’il a héritée de son parcours.

Ancien journaliste donc, Simon fait ses classes dans les colonnes d’un journal local de Baltimore : le Sun. Prêt à tout pour avoir un poste, même à « empiler de la merde de chien au coin de la rue là-bas », le fraîchement diplômé accepte en 1982 un job de reporter laissé vacant : suivre la police de nuit au quotidien. Pour parfaire son immersion, le bonhomme passe même un an sur le terrain avec la brigade criminelle de la ville, où il côtoie meurtres, pauvreté et désespoir. A travers la vision des flics, il décortique, et comprend. Comprend les limites d’institutions prônant la logique folle du tout pour le chiffre. Analyse les origines de la criminalité et le déterminisme des jeunes défavorisés. Mais surtout, déduit que c’est tout le système américain qui marche sur la tête. Après cette expérience, David Simon ne peut raconter autre chose que la vérité vraie.

La saison 1 de 'The Wire', série culte de David Simon.

En 1993, il publie ainsi un pavé de 600 pages, ‘Homicide: A Year on the Killing Streets’, qui inspire la série policière ‘Life on the Street’ dont il est co-scénariste. Un premier pas dans la télé et déjà les prémices d’un style, ultra-réaliste. Mais le véritable tournant a lieu à la sortie du second bouquin, ‘The Corner: A Year in the Life of an Inner City Neighborhood’. HBO le repère et lui propose d’en faire une adaptation (‘The Corner’ en 2000). Il accepte et devient l’assurance qualité de la chaîne câblée.

Paradoxalement, et de son propre aveu, David Simon « arrive à dire plus de choses vraies en racontant des histoires ». Ses idées passent plus facilement même s’il garde ses réflexes journalistiques dans ses recherches, par souci de véracité. Pour ‘The Wire’, en plus de se nourrir de ses écrits documentaires et de son vécu (la saison 5 intègre la rédaction du Sun), il bosse avec Ed Burns, ex-flic et instituteur de Baltimore. De même, lorsqu’il entreprend la série ‘Generation Kill’ sur la guerre en Irak, il adapte un livre d’Evan Wright, journaliste de terrain qui maîtrise bien le sujet. Et ainsi de suite, pour toutes ses œuvres.

'Treme', l'une des séries les plus documentées de l'histoire.

Mais ne croyez surtout pas que ce réalisme ne laisse pas transparaître une certaine émotion. Dans ‘Treme’ par exemple, série pleine de tendresse peignant des habitants de la Nouvelle-Orléans post-Katrina, David Simon nous touche à travers des personnages qui nous font autant rire que pleurer. On s’attache à eux, comme si on les connaissait depuis toujours. On finit par croire qu’ils existent vraiment. Et le tout est habillé par une mise en scène déroutante, entre longs travellings de musiciens de jazz et conversations interminables, comme parfois dans la vie.

Mais attention, toutes ces fresques sont destinées à des sériphiles avertis. Car ici, nous ne sommes pas dans du divertissement mainstream de base, mais bien dans des œuvres exigeantes, puissantes. Le rythme est lent, les personnages complexes, la précision digne d’un ethnologue. Il vous faut du temps et de la concentration avant de totalement se laisser aller. De quoi ravir les critiques qui élèvent ‘The Wire’ au rang de meilleure série de tous les temps. Et même ce cher Barack crie à qui veut l’entendre qu’Omar Little est son personnage préféré du petit écran. On acquiesce.

L’année dernière, David Simon nous a même surpris un peu plus. Après avoir poncé l’ultra-contemporain, le créateur s’est aventuré aux sources du mal avec une série nous plongeant dans la fin des années 1980. Dans ‘Show Me a Hero’, le maire de la ville de Yonkers, interprété par Oscar Isaac, est confronté à une polémique autour du logement social et de la ségrégation alors qu’il vient à peine d’être élu. Le réalisateur reprend ses thèmes phares en décortiquant les causes. Plus surprenant encore, le showrunner a annoncé la prochaine sortie de ‘The Deuce’, traitant de l’ascension de la pornographie dans les années 1970 et tout ce qui en découle (sida, cocaïne, etc.). James Franco a le premier rôle, la chaîne américaine a déjà fait sa parodie avec le slogan « Ce n’est pas du porno, c’est HBO. » C’est surtout du David Simon, auteur dont l’engagement nous ravit toujours autant.

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