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Retour vers le passé : Riad Sattouf sort le troisième tome de 'L'Arabe du futur'

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Si le diable se cache dans les détails, alors Riad Sattouf est un peu l'archange luciférien de la BD. Son sens de la précision fait des ravages et s'impose comme une véritable marque de fabrique dans son œuvre, un trait qu'on retrouve dans son autobiographie 'L'Arabe du futur', dont le troisième tome paraît aujourd'hui chez Allary. Il est d'ailleurs fascinant de voir à quel point la mémoire de Riad Sattouf se souvient du moindre fragment de passé, puisque l'auteur est capable de se souvenir de la plaque minéralogique d'une voiture ou de l'odeur de vase et de feuilles mortes d'un poisson-chat ramené par son père, là où d'autres ne savent même plus quel était le nom de leur ancien prof de français. 

Il faut dire que 'L'Arabe du futur' se construit beaucoup à travers les sens, le goût, l'odorat, la vue, qui viennent alimenter la mémoire et qui sont remis en perspective par l'intelligence aiguë de Riad Sattouf. Aussi le dessinateur évoque-t-il avec précision l'odeur des lieux, de la nourriture - plus complexe en Syrie qu'en France -, des gens, remarquant celle de l'eau de Javel dans le Prisunic au Liban ou la fumée et la sueur dans la maison bretonne de Fanchon et son mari. Dans 'L'Arabe du futur', beaucoup de détails visuels, auditifs voire psychologiques, sont également soulignés par des légendes fléchées, qui permettent à l'auteur d'enrichir le cadre du récit. 



« Les croyants louaient la pureté morale, l'honnêteté, la gentillesse, la sincérité... et faisaient tout l'inverse. » 

Avec ce nouveau tome, les chassés-croisés entre la Syrie et la France continuent, s'articulant comme d'habitude autour d'épisodes pathétiques, touchants ou drôles : la découverte de la circoncision, le père Noël en Syrie, le premier (et dernier) jour de ramadan de Riad Sattouf, le film 'Conan le Barbare'. Surtout, les personnages s'affinent, comme la mère qui commence à s'affirmer face au père, dont on découvre cette fois un peu mieux la condition de professeur d'université. Au détour de plusieurs histoires annexes apparaissent aussi les chrétiens d'Orient ou encore la puissance montante de l'Arabie saoudite. Seul regret, Riad Sattouf semble pour l'instant porter peu d'attention à son frère cadet, lequel se résume à une ombre fantomatique.  

En France comme en Syrie, Riad Sattouf épingle la dureté des hommes à l'aide d'un graphisme éloquent et acéré parfois proche de celui de Matt Groening en plus sombre, il renvoie dos à dos les ignorances mutuelles, même si l'atmosphère française apparaît clairement moins agressive et oppressante que celle de la Syrie, où la propagande politique et religieuse veut que l'on chante l'hymne en cours, que le professeur châtie ses élèves corporellement et que l'on se soumette au Coran à chaque instant. Sans complaisance aucune pour sa famille, Sattouf note d'ailleurs que « les croyants passaient leur temps à parler de Dieu et à se réclamer de lui. Ils louaient la pureté morale, l'honnêteté, la gentillesse, la sincérité... et faisaient tout l'inverse. » 

Il ne faut pas attendre autre chose de Riad Sattouf que l'objectivité cruelle d'un enfant surdoué et hypersensible. Le regard d'un gamin trimballé d'un pays à l'autre et qui doit s'adapter à chaque fois, décalant au fur et à mesure de quelques pas son regard sur le monde. La genèse et l'apprentissage du métier d'artiste, finalement. 

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