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Route du Rock 2015 : rencontre avec l'un des programmateurs, Alban Coutoux

Écrit par
Jenny Stampa
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C'est sûr que pour le coup, La Route du Rock se serait bien passée de cette publicité gratuite. Le 5 août, tout le petit monde de la musique, professionnels et public confondus, ne parlait que de ça : l'annulation invraisemblable et scandaleuse de Björk, à moins de dix jours du début du festival. Sans mauvais jeu de mots relatif à la météo parfois pourrie de Saint-Malo, ce fut la douche froide (en fait si, c'est un mauvais jeu de mots).

Petit rappel des faits : Björk. Tête d'affiche de la Route du Rock, festival de musique indépendante. Quasi-exclusivité estivale. Budget incroyable. Attente incommensurable pour des milliers de fans. Et puis la grosse claque. A dix jours du début du festival, l'annulation de la fin de sa tournée. La Route du Rock, le Pitchfork et l'Iceland Airwaves font tous trois les frais de cette décision aberrante (on notera au passage que son pays natal n'est pas mieux loti que l'Hexagone).

La raison invoquée ? « Un conflit d'agenda. » Les conflits armés, on voit à quoi ça ressemble. Mais un conflit d'agenda ? Sur trois dates, étalées sur trois mois ? Peut-être a-t-elle oublié qu'elle avait justement trois rendez-vous chez Carglass qui tombaient pile (pas de chance, vraiment) à ces moments-là. D'où le conflit d'agenda. Si la situation n'était pas aussi hallucinante, on aurait aimé se marrer en balançant un gros LOL incrédule (tout autant que ridicule). La chanteuse aurait tout aussi bien pu raconter qu'elle devait rentrer d'urgence parce que son chien avait choppé la chlamydia en s'accouplant avec sa tortue, le résultat est le même : on a vraiment l'impression d'être pris pour des cons.

On peine à imaginer ce qu'il s'est alors passé dans la tête des programmateurs Alban Coutoux et François Floret, la raison invoquée par la diva ne justifiant pas un remboursement des places par l'assurance du festival. Au final, La Route du Rock a décidé de reverser (à ses frais) 10 € par place sur le tarif de base proposé (soit une journée de festival pour 40 €). Car pour ceux qui l'auraient oublié, il s'agit d'un FESTIVAL. Et ce samedi 15 août 2015, ils seront plus d'une dizaine à se produire. Seulement voilà, beaucoup n'ont pris leur place que pour voir Björk. Les fans sont tristes, mécontents et parfois sacrément demeurés, n'ayons pas peur des mots (chapeau bas au community manager qui a tenté de garder son sang froid alors que les messages d'insultes pleuvaient sur la page Facebook de la Route du Rock). 


Dix jours. Tout juste dix jours pour que le staff du festival trouve une parade et remplace rapidement la grande ingrate. Et en seulement vingt-quatre heures, après ce qu'on imagine comme la nuit blanche la moins fun et la plus longue de l'année, rythmée par les sonneries de téléphone et arrosée de café bien noir, l'équipe a trouvé sa nouvelle tête d'affiche. Ce sera FOALS qui tentera de sauver la soirée, et par extension le festival, de la banqueroute. S'il ne pourra remplacer la star islandaise (la faute aux costumes chelous), le groupe d'Oxford, qui a répondu présent au pied levé, semble consoler une partie du public qui les appelaient de leurs vœux dans les commentaires de l'événement (mention spéciale aux petits rigolos qui demandaient à Kurt Cobain de ressusciter). Le groupe, qui tourne en ce moment dans l'est de l'Europe, présentera donc son dernier album 'What Went Down' lors de cette 25e édition de la Route du Rock qui s'annonce particulièrement prometteuse, et espérons-le, ensoleillée (oui, parce que là, ça suffit la chkoumoune).  

Voici l'entretien réalisé avec Alban Coutoux, l'un des deux programmateurs de la Route du Rock, quelques jours avant la B(jörk)érézina. Vous noterez que nous avons barré la « mention inutile ».

Time Out Paris : Alors comment te sens-tu à moins de quinze jours du festival ?

Alban Coutoux : Impatient... Mais je n'ai pas hâte d'y être non plus parce qu'il y a encore pas mal de choses à régler. Même après vingt-cinq ans, il n'y a pas de routine pour nous. Tu dois toujours gérer des problèmes de dernière minute, qui ne sont jamais les mêmes d'une année sur l'autre... En ce moment, pour te donner une idée, on vit, on mange et on dort Route du Rock. On voit l'équipe plus de douze heures par jour, plus que notre propre famille. 

Qu'est-ce qui a changé cette année par rapport à l'an passé ?

Tout d'abord les scènes. Cette année, la grande scène et la petite scène se feront face à l'intérieur du Fort Saint Père. L'emplacement de l'ancienne scène des remparts sera désormais un lieu destiné aux boissons et à la restauration.

Elles se feront donc face comme à Pitchfork ?

Oui, c'est ça. De cette façon, on évitera la zone d'étranglement de l'an passé qui compliquait les déplacements. On s'est rendu compte que notre public était un public plutôt curieux, avide de découvrir toute la programmation qu'on leur avait concoctée. Donc il semblait naturel de lui simplifier la vie pour qu'il puisse apprécier tous les concerts. 

On a aussi mis en place un nouveau système de paiement, le cashless, qui est un système de paiement par carte sans contact. La carte sera créditée et pourra être utilisée aux stands bars, restos et même en merchandising. Ca évitera de perdre ou de fouiller ses poches pendant trois heures à la recherche de ses jetons. C'est un système qu'on a découvert sur le Hellfest, et on s'est dit que si ça marchait pour 50 000 personnes, ça marcherait forcément pour 10 000.

Cette année, vous fêtez les 25 ans de la Route du Rock, hormis le coup de vieux, qu'est-ce qui a changé ?

Chaque année est comme un anniversaire pour nous, parce qu'on continue. Quand on a commencé, on n'avait pas vraiment de plan de base. On avait notre asso Rock Tympans, et on n'avait pas idée qu'on serait encore là vingt-cinq ans plus tard. On est assez fiers du chemin parcouru, mais on est aussi avides de faire mieux et plus. Plus au niveau de la programmation et plus au niveau de l'accueil du public. Malgré l'anniversaire, on n'a pas voulu faire une édition rétroviseur. La seule chose qui marquera un peu le coup sera la sortie d'un livre en octobre écrit par Philippe Richard (journaliste chez Magic rpm) et préfacé par Dominique A (venu quatre fois à la Route du Rock depuis 1993). Il y aura aussi une exposition photo à l'entrée du festival avec une trentaine de clichés réalisés par Richard Bellia. C'est un photographe mythique de la scène rock de ces trente dernières années et un grand habitué de la Route du Rock.

Vous avez fait des travaux cet hiver, c'est exact ? 

Oui, enfin ! Ca s'est fini en mars dernier.

On peut donc dire adieu aux flaques géantes, aux bains de boue et à la paille façon poney-club ? 

Oui ! Finalement, les gens parlent de la météo de l'an passé mais c'était moins dégueulasse qu'en 2011 où Blonde Redhead s'est tapé de la pluie sur scène pendant tout le concert et où j'ai dû changer de t-shirt après le set de Dirty Beaches tellement j'étais trempé. 

 

La Chenille, moment fort de l'an dernier © Alexis Janicot

L'an dernier, mise à part la pluie diluvienne du premier soir, la programmation était folle, ça a plutôt bien marché, non ?

Oui, c'est vrai. Ca fait deux éditions que ça marche plutôt bien.

On éloigne le spectre des années noires et des fonds de tiroir ?

On commence seulement à se redresser en réalité. On en revient à peu près à zéro en termes de finances. Cette année, on espère pouvoir faire un peu de bénéfices pour pouvoir avancer et surtout continuer d'exister.

Pourquoi faire payer le camping cette année ?

Pour deux raisons : premièrement, pour avoir une jauge et la limiter. Ce qui est bon en termes d'installations pour 5 000 personnes n'est pas forcément valable pour 7 000 personnes, notamment en ce qui concerne les sanitaires. Ca limitera donc le nombre de personnes et évitera, on l'espère, le nombre de mécontents. Et deuxièmement, on devrait récupérer entre 12 000 et 15 000 €, qui sont, en réalité, déjà dépensés pour l'organisation de cet espace, c'est une économie qui n'est pas négligeable.

Sinon vous arrivez à dormir entre la collecion hiver, la collection été, le booking et la Nouvelle Vague ?

Pour ce qui est de la Nouvelle Vague et du booking, ce sont d'autres équipes qui s'en chargent, même si on essaie de suivre ça de loin, en donnant les grandes lignes. Pour ce qui est de la collection hiver, on a débuté ça en 2006, suite au succès des Cure. C'est parti d'une vraie frustration de devoir attendre un an pour programmer des groupes à une époque où tout va de plus en plus vite. Un petit groupe qu'on attend de programmer l'été peut à tout moment décoller. L'exemple type c'est MGMT qu'on a programmé lors de la collection hiver de 2008, et qui a littéralement explosé durant l'année.

Vous avez des groupes qui sont un peu des aficionados de la Route du Rock, comme The Notwist programmé cette année en ouverture du festival ?

Ils ont déjà joué une fois, oui, en 2002. Mais les frères Acher sont déjà venus à différentes reprises avec leurs projets persos : Lali Puna et Ms John Soda. Cette année, ils ouvrent le festival jeudi soir au Palais du Grand Large avec cet album mythique qui les a rendus célèbres 'Neon Golden'. C'est incroyable pour nous, treize ans après. The Soft Moon revient aussi. C'était l'un de nos gros coups de cœur en 2012. On était tellement fans qu'on les avait fait venir spécialement de San Francisco. Ils sont venus et ils ont joué le jeu en restant les trois jours.

Il y a une sorte de famille Route du Rock, non ? Avec des groupes qui viennent, qui reviennent ?

Oui, c'est le cas de The National ou de Grizzly Bear, ce sont des groupes qu'on a accueillis à leurs débuts et qui reviennent toujours quelle que soit l'ampleur de leur succès...

Cette année vous avez quasiment l'exclusivité sur les festivals estivaux avec Björk ?

Oui, c'est vrai que sur l'été, on est quasi les seuls, à l'exception des Théâtres romains de Fourvière.

Comment ça s'est passé avec Björk ?

Ca s'est passé assez facilement, souvent ce ne sont pas les groupes les plus gros qui sont difficiles à obtenir. On savait qu'elle tournerait l'été, elle l'avait annoncé lors de son exposition au MoMA. L'agent connaissait le festival et lui a proposé, elle a accepté. Elle aime bien jouer dans des endroits particuliers, des arènes, un fort ou un festival avec une démarche particulière, qui s'appuie sur la création indépendante.

Depuis quelques années déjà vous semblez fonctionner en vous appuyant sur des couples nineties, en 2014, Portishead et Slowdive, en 2012, Spiritualized et Mazzy Star... Cette année avec Ride et Björk... Ca ne deviendrait pas votre marque de fabrique ?

C'est pas bête ! Sur Ride, My Bloody Valentine ou Slowdive, finalement ce qui importe, ce n'est pas de faire jouer de vieilles gloires, il faut que le groupe reste pertinent et actuel. Il y a des centaines de groupes, des jeunes groupes, qui se réclament de leur influence. On ne compte plus les références ces dernières années au courant shoegaze et à cette sorte de sainte trilogie (ndlr : les trois formations précitées). Ce qui nous intéresse au-delà de la notoriété et de l'âge du groupe, c'est si le groupe a encore quelque chose à dire et s'il est pertinent. On ne fait pas un nom pour faire un nom.

Au-delà de ces têtes d'affiche, depuis vingt-cinq ans, vous conservez un côté défricheur, découvreur de talents...

On l'espère. On écoute beaucoup de choses, on reste à l'affût des médias, des labels, des agents... C'est notre travail au quotidien. Là, par exemple, il y a des groupes qu'on a pas encore vus jouer sur scène, pour certains d'ailleurs, ce sera leur première fois en France, voire en Europe. 

Quelles sont tes grosses attentes pour l'édition de cette année ?

Pour ma part, j'attends Spectres pour son côté très sonique, un peu « bruitiste », que j'aime beaucoup. Algiers aussi, pour son côté post-punk, très sombre, avec son leader charismatique qui verse limite dans le gospel. Le groupe de Ty Segall aussi, Fuzz, ce sera un grand moment. Ride, Wand, Timber Timbre... On pourrait tous les citer ! D'ailleurs, en ce qui concerne Timber Timbre, j'ai hâte de voir la réaction du public. On pourrait s'attendre à quelque chose de feutré mais en fait ça va jouer très très fort, tout en gardant son côté hanté. Les fins de soirées électro devraient bien marcher aussi, notamment dimanche soir où Dan Deacon, The Juan Maclean et Jungle s'enchaîneront sans interruption.

Le ou les groupes que vous n'avez pas eu(s), et que vous rêvez encore d'avoir ?

Il y en a plein ! Des groupes qu'on a ratés et qu'on aurait pu avoir, comme Radiohead ou Arcade Fire, qui sont des groupes emblématiques du rock indépendant. Pour la petite histoire, l'asso Rock Tympans, avant que j'y arrive, a fait jouer Radiohead à Rennes en 1991, lors de leur première tournée  à l'Espace (ndlr. Qui est à présent une discothèque pourrie) devant quatre-vingt-dix personnes ! Maintenant, c'est sûr, ce sont des groupes qui sont trop gros pour nous. Après, sur un malentendu...!

Et pour 2016 alors ?

On ne sait pas encore ce qu'il y aura en 2016, et c'est ça qui est génial. On repart toujours d'une page blanche. Une fois le festival fini, on a notre rituel : on essuie le tableau et on recommence selon les découvertes, le budget, les dates... On construit brique par brique notre petit Tétris. 

Vraiment rien ?

Tu verras ça l'année prochaine !

Merci la Route du Rock, bon courage et bon festival à tous !

 

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