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Jef Barbara

Interview • Jef Barbara

God save the queer

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Comme son nom le laisse entendre, Jef Barbara est un être hybride, à la fois masculin et féminin, point de rencontre inattendu entre indépendance punk et paillettes glam, bricolages sonores et esthétique pop 80's. Sorti chez Tricatel le 30 septembre, son deuxième album 'Soft to the Touch' est un addictif concentré de lascivité analogique, de cold wave érotisée, de profondeur kitsch et de lubricité innocente. Rencontre avec la charmante diva, autour d'un paquet de bonbons vide et d'un cendrier plein.

Time Out Paris : Avec toutes ces chansons aux titres suggestifs ("Erection", "Amour ardent"...), ferais-tu un lien entre l'activité créative et la libido, le désir ?

Jef Barbara : J'écris de façon très naturelle, lorsque je ressens le besoin de me libérer de ce qui me passe par la tête, ce dont j'ai envie de parler. C'est instinctif, spontané, c'est ce que je ressens sur le moment. Donc effectivement, ça doit être assez libidinal, d'une manière ou d'une autre.

Je disais cela parce qu'il y a un aspect manifestement sensuel, érotico-ludique, dans ta musique.

Avant tout, je ne me qualifierais pas vraiment de musicien, je me sens davantage comme un acteur. Je cherche à communiquer musicalement une présence, plutôt qu'à mettre en place une architecture. Je n'aborde pas du tout la musique théoriquement : je dirais plutôt que, me concernant, elle fait partie d'un ensemble artistique plus large, qui prend aussi en compte les costumes, le style, la mise en scène... Mon processus créatif n'est pas exclusivement musical. Il est avant tout humain, dans l'échange.

D'où le fait que la plupart des chansons de l'album aient été coécrites ?

J'écris les textes seul, mais la plupart des musiques ont en effet été co-composées – hormis les titres "I Know I'm Late", "About Singers" et "Soft to the Touch". J'aime la collaboration entre artistes, elle donne vite un résultat plus riche. Et puis, je ne me sens pas vraiment proche de toute l'esthétique actuelle de la bedroom-pop, où l'on enregistre seul sur son ordinateur, dans sa chambre. Je préfère valoriser les rencontres, faire appel à d'autres musiciens, des guitaristes, des cordes, pour les guider et les intégrer à ma musique. Mais là encore, ça ne se passe pas théoriquement, c'est une question d'affinités personnelles, de rapports humains – pas de partitions.

Le public français a récemment pu découvrir la personnalité exubérante du pianiste Liberace, à travers le film que lui a consacré Steven Soderbergh. Pourtant, Liberace fait depuis longtemps partie de la pop-culture anglo-saxonne. Penses-tu qu'on manque de ce type de personnages fantasques, hauts en couleur, en France ?

Ce que je remarque surtout au niveau des Européens, en tout cas des Français, c'est que vous êtes nettement plus fantaisistes que les Nord-Américains. Contrairement à ce que vous pouvez penser, l'exubérance fonctionne très bien ici, elle est acceptée. Mes performances sont bien comprises, ici. J'imagine que ça doit être lié au goût du théâtre des Européens. Je crois que c'est également le cas pour Gonzales : lui aussi est canadien, et c'est en Europe, notamment en France, qu'il a trouvé son public. Pour l'instant, toutes mes tournées se sont faites en Europe, jamais aux Etats-Unis.

En tout cas, dans l'imaginaire collectif, la pop music a souvent été à l'avant-garde de l'ambivalence queer : au-delà de Liberace, il y a évidemment Bowie, Marc Bolan, Queen... jusqu'à Jef Barbara.

Certainement. En fait, je crois assez en l'échelle élaborée par le docteur Alfred Kinsey, qui va de 0 à 6, pour désigner les multiples stades intermédiaires entre une hétérosexualité et une homosexualité exclusives. Et en effet, la musique a souvent su représenter cette ambiguité, qui existe chez la plupart des gens, cette sensation que chacun de nous porte en lui des aspects à la fois masculins et féminins. Ceci dit, je ne tiens pas à faire de ma musique une revendication de la culture underground ou queer. J'ai même toujours tendance à trouver les œuvres ouvertement politisées trop vite compromises. Le militantisme, lorsqu'il s'incrit dans un contexte artistique, si c'est pour dire quoi faire ou quoi penser, c'est assez moche. Par contre, s'assumer entièrement dans ses goûts personnels, ses orientations, sa singularité, oui, cela me paraît évident.

Lorsqu'on lit ce qui s'écrit sur toi, une expression revient fréquemment : celle du « Do It Yourself ». L'indépendance et le bricolage restent-ils au centre de ton travail ?

Oui, toujours, en permanence. Maintenant, ça peut même devenir problématique. J'ai gardé l'habitude de tout faire moi-même, de tout contrôler, et cela peut paraître inhabituel par rapport à d'autres artistes, qui délèguent davantage. Tricatel est un label formidable pour cela, très inventif et ouvert. Mais ce qui, pour moi, reste passionnant dans le DIY, c'est qu'il est lié à des individualités, à des expériences locales, des communautés, qui s'expriment localement, mais aussi à travers Internet. Cela permet de garder la musique vivante, de lui redonner de la fraîcheur. Et puis, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, non ?

>>> Jef Barbara, 'Soft to the Touch' (Tricatel, 2013)

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