RESTOS ROUTIERS - un tour de France haut en couleur des relais routiers
© GUILLAUME BLOT
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Cafés serrés et têtes de veau, dans le rétro des restos routiers avec le photographe Guillaume Blot

En cinq ans, Guillaume Blot a visité plus de 120 restos routiers, partagé des macédoines au surimi avec des patrons en reconversion, papoté avec des routiers fans de John Wayne et dormi sur les parkings.

Marine Delcambre
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Ils s’appellent Le Torpédo, Chez Mimi ou La Grande Romanie. On y trouve des parkings géants, des macédoines au surimi, du baby-foot, des douches et une chaleur humaine qui tient plus du feu de camp que de la station-service. Le photographe Guillaume Blot a roulé sa bosse dans plus de 120 restos routiers à travers la France. Rencontre au comptoir avec celui qui documente une France qui parle fort, mange ensemble, et ne met pas de nappe en papier pour faire joli.

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

Après les troquets avec Rades (vendu à
10 000 exemplaires)
, tu replonges dans une autre institution bien française : les restos routiers. Tu te souviens de ce qui t’a donné envie de démarrer ce projet ? C’est quoi, ton tout premier resto routier documenté ?

Guillaume Blot : "Oui, bien sûr. Ce qui m’a donné envie d’initier ce travail, c’est une commande de Julien Pham pour un ouvrage collectif intitulé Cantine Générale. Il m’avait demandé – en 2018 – de ramener des images de relais routiers, en tant que cantine des conducteurs et conductrices poids lourds, lors de mon premier été à voyager avec le van. Mon tout premier ? La Grande Romanie, à Somme-Vesle (51), un super souvenir coloré."

Tu dis que tu as visité plus de 120 restos routiers. Concrètement, tu faisais comment ? Tu traquais les pancartes “Relais Routier” sur la nationale ? Tu demandais conseil aux routiers ?

G.B. : "Je faisais mes recherches en amont sur les cartes, mais aussi via l’application Truckfly et le guide Les Routiers. En parallèle, je me suis beaucoup basé sur les recommandations des chauffeurs. Le bouche-à-oreille reste le meilleur moyen encore aujourd’hui. Et parfois, je tombais au détour d’une nationale sur un panonceau rouge et bleu des Routiers, alors je m’y arrêtais. Un combo de recherches et d’aventures, en somme."

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

C’est quoi les signes qui montrent qu’on est dans un vrai resto routier, et pas juste un bistrot planqué près d’un rond-point ? L’énorme parking ? Le menu à volonté ? Le baby-foot au fond de la salle ?

G.B. : "Il y a une grammaire visuelle qui revient souvent, en effet : le panneau rouge et bleu des Routiers, un parking XXXL, un nom comme Le Torpédo, un menu avec un super rapport qualité-prix, une douche, et surtout des patronnes et des patrons attentionnés, avec un tutoiement généralisé."

Tu racontes avoir mangé à la grande tablée de Chez Mimi dans le Lot-et-Garonne, dormi sur le parking de La Cabane Bambou dans la Somme, papoté avec Johnny au Tarin savoyard… C’est qui, Johnny ? 

G.B. : "Johnny, c’est le chauffeur routier sur la couverture du livre. Je l’ai rencontré l’été dernier au relais routier Le Tarin, à La Bâthie, en Savoie, une fin de matinée. Il y faisait sa pause réglementaire de 45 minutes. On a bien discuté au comptoir, il m’a raconté son travail, son amour de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et du western. Il m’a emmené voir sa cabine, et son portrait de John Wayne affiché dedans. C’est là que j’ai réalisé la photo."

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
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Et comment on gagne la confiance de ces gens pour les photographier sans filtre ?

G.B. : "Je gagne leur confiance en prenant le temps, en ne sortant jamais l’appareil photo avant d’avoir papoté. L’approche est plus douce ainsi."

Tu as aussi partagé des douches, attendu au comptoir, pris le café avec des habitués. C’est un projet photo, mais on sent un vrai travail d’immersion. Tu avais des carnets ? Tu enregistres des sons ? Tu faisais aussi un peu le psy de comptoir ?

G.B. : "Oui, tout à fait, l’immersion est au cœur de ma démarche. Je passe des heures, voire des jours dans ces espaces de vie, à regarder, écouter, mais surtout échanger. Je prends des notes sur mon carnet ou à l’iPhone, j’enregistre avec le dictaphone ou un enregistreur Zoom, je filme aussi parfois, et surtout je photographie : des portraits, des scènes de vie, des détails."

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

Tu parles d’un “flash pour mieux faire ressortir tout le peps” des lieux. Tu peux nous expliquer ce choix esthétique ? Pourquoi avoir photographié tous ces endroits au flash frontal, avec cette lumière brute et saturée ?

G.B. : "Le flash permet de souligner avec vivacité toutes les couleurs du lieu, de les distinguer, de les rehausser, et de faire ressortir in fine toute la vie qui s’y dévoile devant mes yeux. J’assume ce parti pris d’une lumière parfois poussée à la surexposition, dans la lignée de mes travaux qui visent à mettre en lumière celleux qui sont encore debout, les héroïnes et héros du quotidien, et ainsi de voir plutôt le verre à moitié plein, en étant conscient du vide laissé par les relais ayant déjà fermé."

Le livre évoque une France qui disparaît : il y avait 4 500 restos routiers dans les années 1970, il en reste à peine 700. Qu’est-ce qui, selon toi, a précipité leur disparition ?

G.B. : "Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur érosion : le développement des autoroutes depuis les années 70, les déviations imposées par certaines communes, l’arrivée des frigos et réchauds dans les cabines, et le fait que les plus jeunes se feraient livrer par des plateformes jusqu’à la porte du camion."

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

À l’inverse, tu dis que certains résistent. C’est qui, ces irréductibles ? Il y a un profil type du patron ou de la patronne de resto routier en 2025 ?

G.B. : "Des courageuses et courageux surtout, car il en faut pour gérer un relais routier avec des horaires à rallonge et des menus entre 16 et 18 € à tenir. J’ai souvent croisé, par ailleurs, des anciens de la route, des conducteurs et conductrices en reconversion. L’amour du bitume prend alors une autre forme."

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

Tu dis que dans ces lieux, “le tutoiement est partout”. C’est aussi pour ça que tu les aimes ? Parce qu’on y casse les codes sociaux, qu’on parle vite, qu’on mange ensemble, qu’on n’y fait pas semblant ?

G.B. : "Oui, j’adore la chaleur humaine que l’on y retrouve, comme un fil rouge commun à tous les relais rencontrés. Les tablées sont souvent communes, les discussions animées, le verbe est haut. C’est un peu comme une seconde maison pour de nombreux chauffeurs. J’utilise volontairement le masculin ici, car j’y ai surtout rencontré des hommes : les femmes ne représentent que 5 % des conducteurs et conductrices dans la profession du transport de marchandises en France, d’après France Travail."

Tu as déjà cartographié les bistrots avec Rades, maintenant les restos routiers… C’est quoi la suite ? Les PMU ? Les salons de coiffure ? Ou t’as plutôt envie de faire une pause ?

G.B. : "J’aimerais bien passer du temps dans les salons de coiffure, en effet. J’ai un amour profond pour ces lieux d’attention, qui représentent le 2ᵉ commerce de proximité en France, après les buralistes, au nombre de 100 000 dans tout le pays. Dont 6 000, a priori, avec des jeux de mots !"

Ta plus grosse surprise au cours du projet ? Un moment absurde ? Une assiette mémorable ?

G.B. : "Une assiette mémorable, oui : l’entrée macédoine au surimi du Torpédo, à Travecy, dans l’Aisne, préparée avec amour par Aquarella, la patronne !"

‘J’ai visité plus de 120 restos routiers’ : rencontre avec Guillaume Blot
© GUILLAUME BLOT

Tu dois faire découvrir un resto routier à quelqu’un qui n’y a jamais mis un pied. Tu l’emmènes où, et tu lui fais manger quoi ?

G.B. : "Je l’emmène direct au Petit Périchois, à La Brosse-Montceaux, en Seine-et-Marne, manger une tête de veau, le plat iconique des restaurants routiers, magnifiquement concoctée par Sandrine, la cheffe. Un régal dans un endroit préservé du temps qui passe. On y va ?"

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