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La Commune
Rationnement sous la Commune

Manger à… Paris sous le Siège et la Commune (1870-71)

On mangeait quoi dans le passé, pendant les grands événements de l’histoire ? Pour le savoir, montez à bord de notre machine à mastiquer dans le temps !

Écrit par
Aitor Alfonso
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Paris, septembre 1870. Napoléon III est défait par les Prussiens qui se ruent sur la capitale et l’assiègent. Paris la résistante, la républicaine enclavée dans un pays monarchiste, est coupée du monde. Commencent alors de longs mois d’un blocus qui va affamer les quelques 2 millions de Parisiens de l’époque. La dalle ayant de l’imagination, c’est un curieux bestiaire qui défile dans leurs marmites : rats, chiens, pigeons, chats et même kangourous ou éléphants…

Le ventre (vide) de Paris. 

Très vite, les trains de ravitaillement sont coupés par les Prussiens ; en réaction, se met en place une organisation autogestionnaire pour alimenter Paris. Les stocks de blé permettent d’assurer un rationnement à peu près normal les premiers mois, des moulins de fortune sont même érigés pour moudre tout ce grain mais c’est la viande qui vient à manquer. Dînette rime alors avec disette, or les Parisiens très portés sur le bifteck, le lard et les abats voient d’un mauvais œil qu’on les rationne à 60 gr de barbaque par jour et par tête de pipe… et même à 30 gr (os compris) à la fin du siège. 

Pourtant la ville est une immense basse-cour au début de l’automne 1870 : 120 000 moutons, 50 000 bovins, 6 000 porcs ont été entassés au parc du Luxembourg ou sur les Grands Boulevards. Le problème, c’est qu’on manque de fourrage pour les nourrir, que les bêtes deviennent rachitiques et qu’elles tombent malades : il faut donc les abattre au plus vite et les conserver en salaison. Pour stocker toutes ces carcasses, même l’Opéra Garnier (alors en construction) est réquisitionné ! Lard lyrique. 

Avec la pénurie galopante et des boucheries municipales en saturation, le marché noir est florissant : poules, dindes et porcs clandestins sont vendus à prix d’or sous le manteau, on traverse Paris pour un jambon. Explose aussi la spéculation sur le radis, le poireau ou l’oignon. Et souvent on vend du chat pour du lapin, du chien pour du mouton…

 

Boudin de cheval, brochettes de moineau et boucherie ratine 

Face à la famine, on commence à manger tout ce qui bouge : on pêche les poissons de la Seine, de la Marne et du lac du bois de Boulogne. Les Parisiens se mettent à consommer du cheval en masse alors qu’ils s’imaginent mal le passer à la casserole avant 1870. Mais quand on a faim, on ne fait pas la fine bouche : 70 000 chevaux sont abattus dans la capitale dont on fait des boudins, des andouilles, des saucissons… C’est à cette époque que se popularise la boucherie équine que l’écrivain Théophile Gautier, à Paris pendant le siège, nomme avec effroi l’« hippophagie ». 

Le Paris de la fin du XIXe est une ville en expansion accélérée qui voit sa population doubler en 20 ans. Alors quand toutes ces bouches ont fini de boulotter les canassons, elles mettent la main sur les chiens et chats errants, les moineaux et pigeons des rues. Bientôt, un marché aux rats s’organise sur la place de l’Hôtel de Ville et des marchands de rongeurs improvisent des étalages sur les trottoirs. Le cuisinier Thomas Genin les prépare en terrine avec une farce de chair et de graisse d’âne. On vend des conserves de pâté de souris… avec la peau. La romancière Zénaïde Fleuriot raconte que les dames prenaient leur chien fermement dans leurs bras quand elles sortaient de peur de se les faire chiper et que Biscotte ne finisse en ragoût… Bref, on (fri)casse complètement les codes alimentaires, faisant gastronomie de tout morceau, au point qu’un recettier de pénurie intitulé La cuisinière assiégée est établi par une femme de ménage anonyme et inventive.

Dans ses mémoires, Victor Hugo note : « Ce n’est même plus du cheval que nous mangeons. C’est peut-être du chien ? C’est peut-être du rat ? Je commence à avoir des maux d’estomac. Nous mangeons de l’inconnu. »

Consommé d’éléphant et terrine d’antilope aux truffes

Animaux du zoo et animaux de la zone : tout y passe. Le journaliste Francisque Sarcey rapporte comment on tue les bêtes des Jardins des Plantes et d’Acclimatation. D’abord les oies, poules, cerfs. Puis les yaks, zèbres, buffles. Enfin les antilopes, sangliers, rênes. Et finalement, Castor et Pollux, les deux célébrissimes éléphants, mascottes des Parisiens. Fin décembre, il n’y a plus un animal dans les Jardins de la ville… 

 

Les bouchers des beaux quartiers mettent le grappin sur les meilleurs morceaux : Edmond de Goncourt raconte qu’une trompe d’éléphant est accrochée chez Ross, le boucher anglais du Boulevard Haussmann qui vend aussi des rognons de chameau. Et les grands restaurants se font une joie de cuisiner ces viandes de fantaisie, comme le très chic Café Voisin, sis alors 261 rue Saint Honoré. Son illustre chef Alexandre Choron (qui donne son nom à une sauce, une béarnaise à la tomate) déroule le soir du réveillon de Noël 1870, soit au 99e jour du siège, un menu au long court hallucinant qui concurrence l’arche de Noé : tête d’âne farcie, consommé d’éléphant, chameau rôti à l’anglaise, civet de kangourou, côtes d’ours rôties, cuisse de loup… A rincer de Mouton Rothschild 1846.

Mangez-vous les uns les autres ! 

Et pourquoi ne pas aller jusqu’à manger de la viande humaine ? C’est ce que préconise ironiquement le fantasque Paulin Gagne, poète et fameux fou littéraire du temps. Il en appelle à la « philantropophagie », vaste projet de « manducation fraternelle de l’homme par l’homme ». Comme le grand auteur dublinois Jonathan Swift avant lui, Gagne dénonce sur le ton de l’humour noir la misère parisienne sous le siège et l’attitude des élites de la capitale. Loin des élucubrations cannibales, Paulin Gagne eut aussi des idées végétariennes, comme son poème La Carotte universelle qui est une parodie légumière de La Marseillaise dont on est fane et qui commence ainsi : « Allons enfants de la carotte / Le jour de gloire est arrivé » et se poursuit par « Aux armes, carottiers, formez vos bataillons, / Marchons, que la carotte inonde nos sillons »…

Potage ouvrier et pinard populaire

L’armistice du 28 janvier 1871, bien qu’elle relâche la pression alimentaire, est insupportable aux Parisiens qui se soulèvent pour mener une expérience libertaire qui durera 73 jours : la Commune. Sa grande ambition ? « Changer la vie » selon le mot de Rimbaud, la changer dans tous ses aspects, y compris alimentaire, grâce à une cantine ouvrière : La Marmite. Fondée en 1868 par les grand(e)s communard(e)s Nathalie Lemel et Eugène Varlin, elle œuvre pour « fournir au prix de revient une nourriture saine et abondante à consommer sur place ou à emporter ». Les Marmites essaiment rapidement dans Paris. Au menu, de bonnes gamelles prolétaires : potage, ragout, bifteck ou roquefort à pousser au picrate. « Des repas modestes, mais bien accommodés » où « la gaîté régnait autour des tables » d’après le poète-révolutionnaire Charles Keller qui les fréquente. On y cause politique aussi et on entonne des chants rouges avec le coup de rouge… Les Marmites nourricières mourront avec Eugène Varlin, lynché et exécuté en 1871 pour avoir défendu la dernière barricade de la Commune rue de la Fontaine-au-Roi (11e). Démon pour les uns, (mar)mythe pour les autres.

L’expérience autogestionnaire finit en massacre en mai 1871 : répression sauvage et exécutions sommaires de la part des troupes d’Adolphe Tiers, condamnations à mort ou au bagne. La grande boucherie parisienne n’épargna pas les hommes et les femmes…

Sources :

- Jean-Michel Derex : - Les Zoos de Paris. Histoire de la ménagerie du Jardin des Plantes, du Jardin d'acclimatation et du zoo de Vincennes, Prahecq, aux éditions Patrimoines et Médias, 2012).
- Jean Vitaux : « Que sais-je ? » : La gastronomie ; Dictionnaire du gastronome (en collaboration avec Benoît France) ; Les petits plats de l’histoire, tous édités aux PUF.
- Laure Godineau et Marc César : La commune de 1871 - Une relecture, aux éditions Créaphis

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