Loin de son image un peu lisse, la ville la plus peuplée de Suisse recèle une scène culinaire effervescente, des spots de baignade de ouf et des lieux de perdition tout à fait recommandables. En petit groupe, nous sommes partis en immersion à Zurich, guidés par Julien Pham, le petit prince de la food parisienne. Retour sur un séjour mémorable.
Jour 1
Calée entre des petits monts verdoyants, la capitale alémanique du pays aux 26 cantons s’étire le long d’un lac de 42 km en forme de banane. C’est le sourire de Zurich. À peine descendus du TGV Lyria (environ 3h30 depuis Paris, 4,3 kg de CO₂), on est aimantés par ses eaux réfrigérantes en ce jour de forte chaleur. “Mais d’abord, on va manger”, conseille judicieusement Julien Pham, une phrase devenue le cri de ralliement de notre bande de sympathiques morfals composée de Zélikha Dinga (aka Caro Diario), food artist ; Sho Miyashita, cuisinier ; Elodie Catail, agente tous risques ; Emilie Laystary, journaliste ; et moi-même. Une équipe de choc pour arpenter le festival Food Zurich qui organise plus de 100 événements et découvrir les meilleurs spots de la ville.
Canton arrive en ville
Dans “saucisse”, il y a “Suisse”. Coïncidence ? Je ne crois pas. En ces terres de culture germanique, la “wurst” est un étendard à griller, un blason alimentaire. Julien nous dirige donc vers Sternen Grill, temple de la très helvétique bratwurst de Saint-Gall : un beau gourdin clair à base de veau, bruni au grill, à croquer (préalablement moutardé) au bord du lac où un impressionnant escadron de palmipèdes vient quémander le quignon de pain qui vient avec notre encas.

On s’adonne ensuite à l’une des activités les plus suisses qui soient, avec le service bancaire et la confection du chocolat : le badi, ou bain urbain. À Zurich, la culture du bain est vieille comme les Romains et a coulé jusqu’à nous depuis l’essor des établissements balnéaires au XIXe siècle. Un patrimoine municipal aujourd’hui ouvert à toutes et tous contre quelques euros : des structures de bois blanc posées en bordure de lac avec zones de solarium (mixtes ou pas), bar et accès facile au lac. Sur la rive droite, le Seebad Utoquai en donne un bon aperçu. La dolce vita suisse se vit au bord de l’eau, et Sho l’a bien compris avec un magnifique semi-plat en sautant du plongeoir (4/10 en note artistique).
À l’heure de l’apéro, Julien nous donne rendez-vous au Bar Sacchi, une enclave à la milanaise aux murs rose poudré dans un cool quartier qui n’a rien à envier au Kreuzberg berlinois ou au Trastevere romain. En finissant son Bloody Mary, notre guide nous annonce une nouvelle qui fait danser la gigue à nos triglycérides : ce soir-là, nous allons dîner deux fois !
De la Suisse dans les idées
D’abord chez Capet, le néo-bistrot de grand style ouvert par la team du très coté Silex Restaurant. Sa devanture à mascaron, donnant sur un intérieur à la ligne nordique et au plafond de crépi rose, est aussi élégante que les assiettes du chef britannique George Tomlin : on s’est amourachés de ses agnolotti au jus de viande au point de dessiner un cœur du bout du doigt dans l’assiette vide, comme Gustavo Kuerten sur la terre battue de Roland-Garros en 2001.


La carte de vins naturels et spiritueux est la plus emballante du coin, entre pet’nat’ hongrois et assemblage blanc helvète, nous apprend Pascal Grob, critique culinaire zurichois et indic’ local de Julien. Quand soudain, cédant au chant du sommelier, Zélikha fait basculer la soirée en lançant : “Vas-y, envoie l’absinthe.”
Deuxième dîner chez Gamper, bistrot local nommé d’après l’immigré suisse fondateur du FC Barcelone (si si). Il porte beau avec ses tables nappées et ses assiettes qui regardent dans le rétro, minimalistes et ultra-précises, par le chef Marius Frehner, Zurichois pur sucre qui porte l’hospitalité en bandoulière. En entrée, on se revigore d’une salade de légumes printaniers plus croquants qu’une vidéo de chatons, avant un formidable plat d’anguille à la mise surannée, fruit d’une pêche quasi miraculeuse par un petit producteur du lac de Constance, escortée de pommes de terre à la crème.
Un repas prolongé par un gruyère vieux qui met la pige à pas mal de comtés, n’en déplaise aux chauvins de la fromagerie. On savoure une cuisine de grand-père chez Gamper, mais qui reste jeune dans sa tête. On y a fait la découverte d’un pinot noir helvétique de toute beauté : Domaine de Chèrouche à Ayent, qui m’a fait entonner un yodel en rentrant à The Home Hotel.
Jour 2
Chez le pizzaïolo au levain ALBA, des surdoués du sourdough et mixologues pour qui le shrub n’a pas de secret, on apprend les joies de la fermentation au cours d’un atelier et on en profite pour éclater une margherita à la pâte fine et savoureuse. Au bout de 20 minutes, je fais remarquer à Julien qu’on n’a rien graillé depuis longtemps.
On file au pas de charge chez Mit&Ohne, le kebab zurichois où tout est fait sur le moment, sur place, y compris le pain. Le sandwich fait la taille d’une Twingo et on se demande qui va manger qui quand il dresse sa gueule béante. Débordant de viande de bœuf juteuse et de crudités, son pain sensationnel sait se faire discret en bouche : nos enzymes digestives au garde-à-vous, on finit par avoir raison du colossal döner.

Oh badi, oh bada
Pour faire descendre tout ça, on se met à l’eau, cette fois sur les bords de la Limmat, la rivière bucolique qui irrigue le lac de Zurich. En ce jour de chaleur, les locaux prennent d’assaut ses berges, se jettent dans l’eau à 21 degrés et se laissent dériver jusqu’au ponton suivant. Un bonheur intégral. Peut-être un jour à Paris !
Après une sieste bien méritée, on se prépare pour rendre visite à une icône de la ville : Kronenhalle, la brasserie patrimoniale aux lettres d’or saillantes sur une façade sombre du centre-ville. Nous voilà de retour en 1920, dans un roman de Stefan Zweig : les rideaux de dentelle aux fenêtres, les boiseries vernies, le port altier des serveurs en livrée, la salière en argent lourde comme une petite haltère. Là, l’histoire se déguste en sauce. Le plat culte ? Le Kalbsfilet geschnetzelt (faut le dire vite), un émincé de veau à la crème servi au guéridon devant le client (en deux fois) avec un accompagnement de rösti (galettes de pommes de terre) et de spätzli (nouilles helvétiques), un kif aussi précieux que les tableaux de Miró et Picasso accrochés aux murs. La cuisine bourgeoise de Zurich tient ici son ambassade.

Helvète underground
On passe ensuite au bar du Kronenhalle, cabine de navire feutrée aux lambris artistes et aux luminaires Giacometti. Les discussions ont le goût du Negroni assemblé dans les règles de l’art par les barmans gominés portant l’élastique de manche. Marius, le chef de Gamper, nous y attend, bien décidé à nous faire découvrir le Zurich d’après minuit.
Il nous guide dans la vieille ville, là où il a grandi, avant son aseptisation : Ozzy Osbourne a joué dans tel bar, le stupre courait les rues et les lieux de perdition étaient légion. D’ailleurs, il en reste quelques reliques : le Gräbli Bar est un rade qui ne ferme qu’une demi-heure par jour, histoire de passer un coup de balai… Tout ce que Zurich compte d’inextinguibles assoiffés trouve refuge ici et les saucisses fumées s’avalent toutes seules.
Vers 2 h, Marius prononce les mots magiques : “On va au Olé-Olé !” Un endroit qui se prend pour un bar à shots de la Costa Brava – et c’est réussi – où remuer la hanche sur des tubes parfois discutables. Ça ne nous a pas empêchés de danser sur une table sous les hourras de la foule jusqu’à l’aube.

Jour 3
Lever tardif du coup, et une idée en tête pour reprendre forme humaine : s’immerger dans le lac. Le Seebad Enge propose une piscine et des pontons parfaits pour un dernier badi. Après quoi, on file à la Zurich Hauptbahnhof où l’on attrape un double cheese de survie chez Action Burger, le joint de qualité à l’enseigne pétaradante dans la gare. On reprend le train sans certitudes sur le wi-fi mais avec la conviction qu’on reviendra vite visiter Zurich, ses monts et ses saucisses.