Alors que l’inclusivité semblait durablement ancrée, le Pride Month 2025 s’annonce comme le plus silencieux depuis une décennie. Et si cette absence n’était pas un oubli, mais le symptôme d’un repli plus large ? “On observe un essoufflement des collections Pride. L’ampleur des actions qui les accompagnent est nettement restreinte”, affirme Renaud Nicolas Petit, journaliste spécialisé sur l’économie de la mode et les questions LGBTQIA+. Une désaffection qui tranche avec les années de “pinkwashing” où l’arc-en-ciel se vendait à toutes les sauces.
La fin du pinkwashing ?
Si certains militants se réjouissent d’enfin voir le vrai visage de certaines entreprises, il n’en reste pas moins frappant de voir la réduction des pièces rainbow, qui, pinkwashing ou pas, permettaient à beaucoup d’associations de survivre. Mais les maisons ont rangé leur drapeau.

“La queerness n’est plus rentable”, estime Jordan Bowen, cofondateur du label queer et engagé JordanLuca. “Beaucoup de marques se construisent une visibilité sur le dos de créateurs et créatrices queers quand c’est sans risque. Mais dès qu’il y a une forme de résistance, elles disparaissent.” Renaud Nicolas Petit renchérit : “Les questions LGBTQIA+ ne sont pas perçues comme porteuses économiquement, ni comme prioritaires en matière d’engagement. Les enjeux environnementaux et de relocalisation industrielle pèsent bien plus.”
Quand la politique dicte le marché
Pour Victor Weinsanto, créateur de mode queer, l’effacement des collections liées au Pride Month est lié au contexte politique actuel. En effet, difficile de ne pas lire ce repli à la lumière de la réélection de Donald Trump en 2024. Lois anti-trans, censure dans les écoles, criminalisation des drag shows… Le climat est à la régression. Deux entreprises sur cinq auraient réduit leur engagement pour la Pride 2025, notamment à cause des pressions des milieux conservateurs et de l’administration Trump.
En Europe aussi, la tendance est à la crispation : montée des extrêmes, politiques anti-queers en Hongrie et Pologne, agressions LGBTphobes en hausse en France (en 2023, elles ont augmenté de 13 %, selon le ministère de l’Intérieur). Pour les marques, prendre la parole devient un risque. Celles qui redoutent le backlash conservateur choisissent un silence stratégique.

Sur les réseaux, les marques sont prises en étau. En 2023, Bud Light a vu ses ventes s’effondrer après une campagne avec Dylan Mulvaney, influenceuse transgenre. Target, Nike, Disney, Starbucks : toutes ont subi des pressions ou des boycotts. À l’inverse, certaines marques accusées d’homophobie ont elles aussi été boycottées. La responsabilité sociale est devenue un champ de mines.
Des marques encore engagées
Mais certaines griffes n’ont pas déserté le terrain. Calvin Klein maintient son cap avec une campagne estivale portée par l’acteur Cooper Koch. La collection s’accompagne d’une collaboration graphique avec Marc Hundley, dont les slogans typographiés font écho aux luttes queer. Au Royaume-Uni, Reiss s’associe au nageur Tom Daley sur des tricots. Les bénéfices iront à Made With Love, dédiée aux jeunes queer. Erdem, maître des fleurs victoriennes, signe un t-shirt unisexe inspiré d’Oscar Wilde, en partenariat avec la librairie Gay’s The Word. Les ventes soutiendront Not A Phase (adultes trans) et akt (jeunes LGBTQIA+ sans abri). Versace reversera du 1er mai au 30 septembre 2025, 10% des bénéfices des ventes des lunettes de soleil Versace Biggies à la Fondation Elton John.

Diesel aussi reste fidèle à sa vision queer. Depuis quatre ans, la marque italienne collabore avec la Tom of Finland Foundation. Pour 2025, la capsule mêle dessins iconiques, archives de fêtes queers et portraits de modèles castés sur Grindr, signés Bruce LaBruce. Une esthétique loin des images proprettes. Et en France ? Flotte, marque de vêtements techniques, consacre son t-shirt caritatif de juin à la Pride. Un pourcentage des ventes est reversé à la Fondation Le Refuge.

Une fierté qui se déploie ailleurs
La fierté non plus ne s’est pas évaporée : elle s’incarne ailleurs, plus intensément. Chez Harris Reed, Telfar, Jeanne Friot, Victor Weinsanto, le combat se traduit dans les créations, les castings, les performances coup de poing. Weinsanto, par exemple, dit n’avoir jamais vu autant d’engagement, politique et militant : “Parce que ce sont juste mes amis, les personnes qui m’inspirent profondément. Je ne suis pas là pour faire des quotas.”
Le duo JordanLuca s’est quant à lui marié durant son défilé automne-hiver 2025-2026. “On a simplement vécu notre vérité, de la manière la plus sincère possible – et en tant qu’hommes queers, cela devient politique, qu’on le veuille ou non.”
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Loin des slogans, une nouvelle scène internationale continue d’émerger. Elle est dégenrée, incarnée, intersectionnelle. Peut-être moins visible dans les vitrines, mais toujours debout.