De plus en plus de designers de mode lancent leur marque juste après leurs études – quand ils ne zappent pas tout simplement cette étape façon Simon Porte Jacquemus ou Hugo Queval. Et c’est vrai que dans les années 2020, il est tentant de se lancer en indépendant en lâchant une capsule sur Insta ou TikTok, sans se construire un CV chez les grandes maisons de couture.
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“Après mes études, j’ai rapidement su que je voulais créer ma propre marque, pour avoir une liberté totale d’expression”, explique la créatrice Solène Lescouët. Diplômée de l’Atelier Chardon Savard en 2017, après quelques stages “chez Chanel et Lanvin”, elle s’est tout de suite lancée en free-lance, d’abord pour d’autres marques, puis pour elle-même en 2020 en créant un label à son nom.
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“Travailler pour d’autres maisons m’a apporté une rigueur et un savoir-faire précieux, mais j’ai toujours voulu raconter mes propres histoires à travers mes vêtements. J’avais une vision très précise de l’univers que je voulais développer, mêlant couture, théâtre et influences historiques et subversives”, raconte la jeune femme de 28 ans qui a habillé Bilal Hassani, Yoa ou Oklou.
Les écoles de mode, trop théoriques ?
Cet idéal, les étudiants des écoles de mode parisiennes sont nombreux à le cultiver. Pourtant, rares sont ceux qui le font germer. La faute à l’éducation à la française ? “À l’école, on ne nous prépare absolument pas à la création d’une entreprise, ni aux difficultés pour trouver du travail ou même pour évoluer dans ce milieu, qui peut être assez puant”, regrette Lorcan Antoni Mcwhirter, 26 ans, créateur de la marque de streetwear MCWHIRTER, également passé par l’Atelier Chardon Savard ainsi que par l’Institut Français de la Mode (IFM), où l’esprit de compétition règne déjà.
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“N’oublions pas que la mode est un milieu ultra-concurrentiel !”, prévient Solène Lescouët. “Quand on est jeune diplômé, on a souvent beaucoup d’idées et d’énergie, mais peu de moyens et peu de contacts. Lancer sa propre marque demande non seulement de la créativité, mais aussi des compétences en gestion, en communication et en développement commercial, des aspects que l’on n’apprend pas forcément à l’école.”
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Comme 39 % des Français, elle trouve l’enseignement trop théorique : “L’accent était surtout mis sur la création, le modélisme et le savoir-faire technique, mais très peu sur l’aspect entrepreneurial. On nous formait davantage à intégrer des maisons déjà établies qu’à lancer notre propre marque. Il y avait bien quelques cours de gestion d’entreprise, mais ils restaient insuffisants pour appréhender toute la réalité du métier : la comptabilité, la production, la communication, la gestion des fournisseurs…”
Un pari audacieux
Solène a donc appris sur le tas. “C’est en travaillant en free-lance, en développant mes collections et en faisant mes propres expériences que j’ai compris les rouages du métier, avance celle qui a fait de la collerette XXL sa signature.
Peu de gens parviennent à lancer leur propre marque en sortant directement de l’école.
“Quand on lance sa marque, il faut aussi faire face à des réalités économiques auxquelles on n'est pas toujours préparé : produire des vêtements coûte cher, et trouver des financements et des clients n’est pas évident au début.”
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C’est probablement pour cela qu’en 2014, la papesse de la mode Anna Wintour elle-même conseillait aux étudiants de la Central Saint Martins de Londres de ne pas être trop ambitieux tout de suite : “Peu de gens parviennent à lancer leur propre marque en sortant directement de l’école. Personnellement, je vous conseillerais d’y réfléchir à deux fois et d’envisager de travailler d’abord pour un créateur ou une marque que vous admirez.”
Cultiver son univers en parallèle
C’est ce qu’a d’abord fait Lorcan Antoni Mcwhirter, qui s’est construit de solides bases chez Francesco Smalto, pour la marque suisse Fogal, puis la marque monégasque Cala 1789. En parallèle, il était toujours photographe en free-lance pour différentes marques et projets. C’est cette passion qui lui a inspiré la création de sa marque MCWHIRTER, dont les designs célèbrent la relation modèle/photographe.
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Et sans prévenir, le projet a pris forme. “Au début, j’ai créé un dossier et dessiné la collection mais sans vraiment penser à monter une marque. J’ai ensuite présenté le projet à Martine Leherpeur, directrice du bureau d'études prospectives et de conseil marketing style éponyme et chargée de cours à l’IFM. Cela m’a permis d’intégrer l’incubateur de l’IFM et c’est là que ça a vraiment commencé.”
Pour se développer, Solène, elle, s’est appuyée sur des collaborations, comme avec Underground Creepers, en 2022, pour laquelle la styliste a créé plusieurs modèles de chaussures à l’occasion de son premier défilé. “Ce projet m’a donné la confiance nécessaire pour me consacrer pleinement à ma propre marque, tout en continuant à travailler ponctuellement en free-lance sur des projets qui me stimulent artistiquement.
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Une aventure excitante
Alors, faut-il sauter le pas et créer sa marque dès la sortie de l’école ou patienter sagement en accumulant de l’expérience ? Se lancer tôt en solo permet, outre une liberté créative totale, de gagner en autonomie rapidement, résume Solène. “Malgré les difficultés, c’est une aventure excitante. J’ai appris à tout gérer moi-même : du design à la production en passant par la communication, la gestion financière et la relation avec les clients. Ça m’a permis de développer une vision globale de la gestion d’une marque. Ça m’a aussi poussée à être très débrouillarde. Quand on n’a pas encore une grande équipe ou beaucoup de moyens, il faut constamment trouver des solutions et se réinventer.”
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Et si précaire qu’il paraisse, le statut de free-lance l’a mise naturellement au contact de nouvelles personnes “inspirantes” et de nouvelles opportunités qui ont fait évoluer son projet. Un chemin qui l’a menée jusqu’aux JO, où elle a habillé la drag-queen GG Palmer à l’occasion de la cérémonie d’ouverture, lui valant d’être citée parmi les “créateurs à suivre absolument” de Numéro. De quoi inspirer la next génération !