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Interview • Chassol

Rencontre avec le compositeur et vidéaste Christophe Chassol, à l'occasion de la sortie de 'Big Sun', le 9 mars chez Tricatel

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Les voyages ne forment pas que la jeunesse. Ils forment également une grande partie de la discographie de Christophe Chassol, artiste pluridisciplinaire connu aussi bien pour ses talents de compositeur que pour les récits de voyage qui accompagnent ses créations. Ancien chef d'orchestre, ex-collaborateur de Phœnix (dont il récupéra le premier batteur le temps d''Indiamore') et de Sébastien Tellier, compositeur pour le cinéma et vidéaste à ses heures perdues, le pianiste formé à Berkeley a su combiner son amour de la musique et du cinéma pour donner naissance à 'X-Piano' (2012), 'Indiamore' (2013) et ce 'Big Sun' tourné en Martinique, qui leur fait enfin suite.

Si le fil rouge reste le même, entre boucles vidéo et harmonisations des sonorités folk locales, le voyage, lui, prend une tout autre dimension. Non seulement par une plus grande maîtrise de la musique, que l'on sent Christophe Chassol libre de recomposer pleinement à partir de bribes saisies sur l'instant, mais aussi par la construction même de ce document double, à la fois filmique et musical, plus ambitieux que jamais et ordonné à la perfection. Du chant de la nature à celui de l'Homme, Chassol construit un discours qui se passe de mots, dont il ne garde que les sonorités et les rythmes, pour donner naissance à une prosodie nouvelle, belle comme la transe dans laquelle nous plonge ce carnaval qu'il est allé filmer. Plus qu'un disque, un grand soleil sur notre printemps musical.

Qu'est-ce que 'Big Sun' que tu es parti filmer ? Un récit de voyage ? Ta vision de la culture antillaise ?

'Big Sun', c'est le soleil dont dépend le chant de la terre, le chant des oiseaux. J'avais envie d'harmoniser ces sons-là. Philosophiquement, l'idée de base, c'est ce triptyque composé par la nature (avec les oiseaux, le siffleur et la flûte), la culture, représentée par la langue (avec, par exemple, les deux minots qui rappent) et les instrumentistes. Et enfin, pour finir, le carnaval, dans lequel tout se rejoint. Mais ce n'est pas un voyage qu'on filme : on part filmer avant toute chose, et cela donne un voyage. Le tournage s'est déroulé en mars 2014, pendant le carnaval. Il se trouve au cœur de ce que l'on voulait filmer, mais apparaît comme une conclusion. Il définit le folk antillais, il représente une synthèse ou une synchrèse de tout ça. Il y a évidemment un côté subjectif, la façon dont je perçois personnellement ce folk, mais je voulais que cela transpire l'objectivité. En tout cas, j'ai essayé de rendre compte de ce que l'on avait filmé et vécu, de la transe qu'il y a là-dedans. C'était un dimanche après-midi, il faisait très chaud, les groupes enchaînaient. Le perchman était en sueur, dans des positions invraisemblables pour saisir le son, la chef-opératrice Marie-France Barnier était complètement investie elle aussi, l'œil dans le viseur. Ce carnaval était hyper dur à suivre, le restituer n'a pas été facile.

Ce rendu est-il fidèle à ce que tu imaginais en partant ?

J'avais mon parcours, mon chemin, et je savais que j'obtiendrais davantage, tout comme je n'aurais pas non plus exactement ce que j'imaginais. Par exemple, je désirais montrer une chorale, mais celle que j'ai filmée n'était pas telle je la voulais... alors je ne l'ai pas mise ! Composer, c'est choisir une forme, puis faire en sorte que cette forme devienne nécessaire, qu'elle traduise un sens. Je discute souvent de la forme-sens : quelque chose qui fasse sens et dont, en même temps, la forme semble parfaite, enfin, parfaite... au moins assez bien charpentée pour tenir sur ses deux pattes. Après, tu peux vraiment faire beaucoup avec l'improvisation, même avec une seule note. Ainsi, dans la séquence du domino, l'un des joueurs prend une conque et joue une note, simplement un ré. Eux, je les ai trouvés par hasard, en passant devant une épicerie près de chez ma tante. On a vu le néon, eux jouant au domino... Il y avait le frigo en bois, la télé allumée, cette batterie. On aurait cru un décor de film. On leur a demandé s'ils jouaient, ils ne se sont pas fait prier longtemps.

Il y a également le siffleur, qui est un personnage incroyable...

Lui, on l'a trouvé le dernier jour, c'était un peu inespéré car c'est un des chanteurs de Malavoi, le très fameux groupe antillais. Un des plus grands, qui a tourné dans le monde entier, en Asie, un peu partout, qui est là depuis le milieu des années 1970. Il s'appelle Pipo Gertrude. C'est un de mes oncles qui, le connaissant, m'a demandé si ça m'intéressait de le rencontrer. On est allé le filmer dans la maison de mes parents, puis au resto et je lui ai dit qu'on voulait filmer des oiseaux depuis le début du séjour, mais qu'on galérait. On avait beau partir tôt le matin, on n'arrivait à rien. Et lui, du coup, m'a fait tous les chants d'oiseaux, tous les sifflements. Il sait faire ça à la perfection, le mec est redoutable. Il m'a fait le grosbec, les merles, avec une histoire pour chacun des oiseaux... Je le redis mais il fait vraiment ça à la perfection ! Et puis, il finit en disant qu'il y a plein d'autres oiseaux en Martinique, dont lui, Pipo le siffleur, et il se met à improviser la petite mélodie que l'on retrouve sur 'Big Sun'...

Pourquoi avoir choisi ce masque comme pochette ?


J'aime beaucoup ce soleil qui lui brûle le visage. Et puis, ça rend hommage à 'La Planète des singes', à Franklin Schaffner, à Jerry Goldsmith... Ces gamins, ce sont eux qui nous ont arrêtés. Pour aller vers le nord, il y a une route à prendre, la route de la Trace, eux se sont mis au-travers de la route, en mode « trick or treat ». Il y avait un masque de Sarko, un d'Obama, et celui-là donc. C'était fantomatique comme apparition. On a filmé ça direct !

Comment l'idée de cette forme double, jouant du son et de l'image, est venue ? Au commencement, c'est l'envie du film ou de la musique qui a servi de moteur ?

On vient tous de l'image. L'image muette n'existe pas, elle est toujours associée à un son. On vient d'une culture où les deux sont liés, par la télé, entre autres. Moi, je compose depuis que je suis au collège, et de la musique de film depuis que j'ai 20 ans. J'en écoute depuis que je suis ado. C'est vraiment quelque chose que j'aime. Dans mon studio, j'ai mon synthé sous la table de travail, mes deux écrans, donc je peux jouer pendant que je regarde des films, par-dessus. Tout ça est venu naturellement. Si je me mets à bosser à partir d'une source sonore qui appartient à un film, j'aime le voir. Ça vient aussi de ' West Side Story', qui nous a beaucoup formés, ma sœur et moi. C'est l'œuvre de synchronisation entre le son et l'image par excellence, ça part dans tous les sens. A côté de ça, le disque, je le vois comme un objet augmenté. Les deux albums précédents m'ont permis d'apprendre, je savais ce qu'il me fallait pour le live, je savais ce que j'aurais à enlever. Je sais mieux comment ça se passe, j'ai pu pousser plus loin. J'aime bien la forme que ça prend. Y a un chemin chronologique, un chemin géographique, puis un chemin de pensée. Je voulais définir mon folk antillais. Folk plus que folklore, d'ailleurs, car le mot « folklore » fait tout de suite penser à des plumes et des tambours. Alors qu'avec le mot « folk », tu pars direct aux Etats-Unis.


Tes images s'intéressent beaucoup aux « à-côtés »...

Ça vient vraiment du type d'images que l'on retrouve dans les très beaux documentaires de Van der Keuken, Louis Malle, Jean Rouch ou Chris Marker. Souvent, il y a une action principale, mais ils vont choper le regard de quelqu'un sur le côté. C'est dix fois plus poétique et, en même temps, cela dit beaucoup. Filmer une autre image, superposer les sons, raconter par le montage, par des hors-champs... Là, je m'en suis servi comme de quelque chose de très musical.

Tu as pu présenter tes projets à ceux que tu as filmés ?

Aux Antilles, pas encore, mais on a fait deux tournées indiennes avec 'Indiamore', le projet précédent. Une de trois semaines, très longue, dans tout le pays. Au Nord, au Sud, on a fini dans le désert du Rajasthan, dans les dunes, sous la pleine lune. C'était assez dément. Les gens comprennent, ils se sentent respectés. Le but, c'est de rendre les gens beaux, encore plus beaux que ce qu'ils ne sont... Donc ils sont assez réceptifs à ça.

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