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Faust - Jean-Hervé Péron
© Ian Land

Interview • Faust

Entretien avec un mythe vivant du rock allemand

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Inutile de pactiser avec le diable pour prendre son pied avec Faust, figure tutélaire du rock allemand le plus libérateur (aux côtés de Can, Neu! ou Amon Düül II), et galaxie musicale ouverte depuis la fin des années 1960, aujourd'hui portée à bout de bras par son bassiste Jean-Hervé Péron et son batteur Werner "Zappi" Diermaier. Pionniers de l'électronique expérimentale, de la noise jouissive et du free-rock improvisé, Faust semble doué d'une vie éternelle, folle, libre et sauvage - qu'on aura l'occasion de retrouver en tête d'affiche du festival BBMix, ce vendredi 21 novembre, pour un concert qui s'annonce tout bonnement immanquable.

Time Out Paris : La dernière fois que j'ai eu le plaisir de voir Faust sur scène (au Nouveau Casino, en novembre 2007), votre concert s'est conclu sous les assauts d'une sorte de canon à fumier aspergeant le public d'ensilage. Lors du même concert, vous exhortiez d'ailleurs les spectateurs à se décoincer, rappelant qu'il y a trente ans, leurs parents étaient probablement défoncés au LSD. Au fil des ans, le public vous a-t-il semblé changer, au niveau de ses attentes ? Et si oui, pensez-vous que bousculer les spectateurs puisse se révéler nécessaire, histoire de leur remettre, disons, les idées en place ? Ou alors, est-ce juste que les drogues sont devenues moins efficaces ?

Jean-Hervé Péron (Faust) : Ah oui, le « canon à fumier »... Bons souvenirs. C'est vrai, le public fait comme nous, il fluctue, se développe, se cherche, s'adapte ou devient exigeant, s'amollit ou s'emballe. Chaque salle, chaque concert apporte ses surprises. Normal. « Notre » public, observation générale, est devenu plus jeune, plus dansant... L'acide a fait place à d'autres trucs... J'ai un peu perdu le nord à ce sujet. Par contre, je suis d'accord avec toi, il est très sain d'être bousculé de temps en temps, histoire d'enlever la poussière cérébrale et de recalibrer les pupilles-conscience. C'est le devoir de tout artiste de faire de la sorte avec son public. Et notre plaisir. Les moyens que nous employons à présent diffèrent naturellement de ceux des années 1970, mais le but est le même : déstabiliser pour rendre réceptif. Je me souviens de la réflexion d'une employée au bar d'une salle parisienne où la « déstabilisation » avait entraîné l'arrivée des pompiers : « Ca te fait bander de foutre la trouille au public ? » Elle était TRES en colère et ma première réaction fut d'ôter mes lunettes et lui proposer de me balancer une beigne, sorte de compensation, pensais-je... Bref, non, ça ne me fait pas bander du tout, mais j'espère bien que le public saura prendre du plaisir grâce à ces moments d'incertitude.

Dans le même ordre d'idées, on peut lire ceci à votre sujet sur Deezer : « Faust offre depuis 1987 l'entrée libre lors de ses concerts à toute personne venant avec un instrument et prête à jouer sur scène. » Cela vous est-il souvent arrivé ? Et est-ce toujours le cas ? Enfin, s'agit-il pour vous d'un geste politique (au sens large) ?

Tiens donc. Je n'étais pas au courant... Notre  concept actuel est en effet de venir « jUSt US » (juste nous deux) et d'inviter quelques artistes locaux à participer, à occuper les places vacantes que nous avons consciemment laissées libres. C'est également le concept de notre dernier album, où Zappi et moi-même (d'où le nom jUSt, lire « just us ») invitons chacun à faire des overdubs sur nos morceaux... et à nous envoyer le résultat. Ça change un peu non ?! Y a-t-il là un geste politique ? Ou bien sommes-nous  simplement paresseux et à bout d'imagination ? Je plaisante, bien sûr. Art et politique sont indivisibles. Toute performance d'art a un impact sur le conscient et le subconscient de l'individu qui y sera confronté. C'est pas aussi virulent que les analyses du camarade Karl, mais parfois ça ramone pas mal non plus.

Depuis plusieurs années, on note un fort regain d'intérêt pour le krautrock : d'un point de vue médiatique, mais aussi chez les programmateurs - dont ceux du festival BBMix, auquel vous participez cette année - comme chez des musiciens qui se tournent plus franchement vers l'improvisation et l'expérimentation sonore. A quelle époque avez-vous commencé à songer à l'importance que prendrait l'avant-garde musicale à laquelle vous participiez ?

C'est le fameux phénomène d'être dans l'œil du cyclone : tu sens rien du tout. Une fois que tout se tasse, tu vois le ravage et tu te dis : « Ouh lala, qu'est-ce qu'y a eu ici ? » Et puis petit à petit, tu finis par entendre que c'est de ta faute. C'est seulement après moult décennies que les collègues de notre engeance ont pris conscience de ce « rock-boche »... Pas très joli comme nom, qu'est-ce que tu en penses ? Nous, on essaie de prendre ça avec humour, mais ça passe pas tout le temps ... Traduirions-nous plutôt par « rock choucroute » ??? Enfin, j'abandonne car je ne pense pas qu'il y ait vraiment d'intention maligne derrière ces labels, surtout quand on voit ce que le rock allemand a catalysé... Bon, pour répondre carrément à ta réponse : Faust n'a jamais anticipé, calculé quoi que ce soit. Nous l'avons simplement vécu, à fond la caisse, sans compromis. Tant mieux si ça a engendré des trucs positifs.

Faust est aussi reconnu pour avoir été l'un des premiers groupes de rock à assimiler les possibilités de la musique électronique - mais en lui conservant un côté primal, direct, organique, comme si les machines servaient de générateurs de chaos, d'incertitude ou de hasard... Avec l'évolution technique, la musique sur ordinateur semble aujourd'hui davantage inviter à la maîtrise, à la méthode, ainsi qu'à une forme de production parfois normative, prédéterminée par les logiciels. Pour résumer la question (quitte à être un peu caricatural) : là où l'analogique semblait militer pour le dérèglement, l'indiscipline et la spontanéité, le numérique paraît se ranger par défaut du côté de l'ordre et de la complexité. Avez-vous un sentiment sur cette mutation des outils électroniques ?

Je réalise, par la présentation minutieuse de ta question, combien volontiers j'adhèrerais à ta thèse. Seulement, je ne veux pas être un vieux schnock nostalgique... Ce qui fut est passé, et ce qui est est, et est bon... Tu vois, je veux pas m'accrocher. Mais c'est clair : je préfère l'analogue vacillant, les effets pas trop contrôlables qui font du maître le serviteur, et vice-versa. Donc, pour créer, en studio comme sur scène, viva les titillations titubantes des vielles boîtes d'écho et méfiance un peu en face des stations loop. Par contre, pour les  découpages, mixages, etc., le numérique, quel pied ! De la micro-chirurgie, du ravalement de façade discret, la poudre à Perlimpinpin !

Faust travaille sur une grande palette de sons électriques, acoustiques, dont des sons « concrets » (perceuse, tôle, matériaux divers...) : comment définiriez-vous la place du bricolage - aux sens propre et figuré - dans votre musique ?

Zappi et moi, on est super branchés sur le « réel », sur le terre-à-terre... Normal, on est la rythm section de Faust. En plus moi, je suis très manuel, donc je suis en présence constante d'outils... Et en compagnie d'autres manuels qui eux aussi utilisent des outils, genre poseurs de pavés, jardiniers, maçons, soudeurs, secrétaires, coiffeurs, cuisiniers... Sans compter les manifestations audio de la nature, par ses vents et pluies et oiseaux et tonnerre et chiens et ruminants, chevaux... Aïe, aïe, aïe... Tout ce petit monde crée des fréquences délicieuses. Je ne vois pas comment on pourrait les ignorer.

Sur votre album 'Something Dirty', vous commencez la chanson "Je bouffe" par les paroles de "Tous les garçons et les filles de mon âge" sur un solo de batterie assez diabolique. De façon générale, l'absurde, le détournement, la citation et l'ironie semblent avoir une grande part dans l'approche de Faust... Ce qui vous relie assez directement à Dada, avec lequel Faust partage des origines européennes variées, un irrespect prononcé pour les normes de toutes sortes, une certaine férocité dans l'humour... A ce propos, vous sentez-vous une proximité particulière avec Dada et sa « descendance » - qui pourrait aller de Fluxus à David Lynch ? Et quel serait le dénominateur commun entre vous et les artistes dont vous vous sentez proches, toutes époques confondues ?

Pan, en plein dans le mille ! Je suis dada et l'ai toujours été sans jamais le savoir. Je suis Fluxus tout cru sans m'en être rendu compte. C'est un peu une douche froide de prendre conscience que ce qu'on pensait être - unique, sensationnel, délivrant, enivrant -, eh bien, que cela existait depuis longtemps, vécu par d'autres, théorisé par les suivants, combattu par ceux d'après et redécouvert encore plus tard... Les origines européennes de Faust sont assez marrantes : français, autrichien, slave, souabe et frison, puis américain, irlandais, britannique... Le bordel complet, que des étrangers, quoi ! Ah, ah, ah ! L'élément commun avec les collègues ? Le rire. Comme  dirait mon copain Rocking Yaset du blog Quetton : « de Sourires et de Morsures... » 

>>> Faust, album 'j US t' (Bureau B), sortie le 2 décembre. En concert au festival BBMix, le vendredi 21 novembre

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