Avignon 2012 : de retour du festival

Depuis la place de l'Horloge jusqu'à la cour du palais des Papes : nos bonnes et mauvaises humeurs

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Voyez comme les arts de la scène s'affichent, dans toute leur splendeur et leur diversité. Déambulez dans les rues pavées, prenez un pot rue des Teinturiers, commandez un poème à l'un des deux poètes publics, faites-vous refouler du bar du In, puis du bar du Off, et finissez au Délirium, où de jolis jeunes gens, garçons et filles, dansent comme au temps de la prohibition, sur du free jazz, et autres sons de cuivres et de guitares manouches. Le plus grand théâtre du monde se trouve dans le Vaucluse, et même si l'ouverture d'esprit n'a pas primé là-bas pour les élections, la Cité des papes tolère chaque année d'être transformée en usine à cartons. Du carton et du papier, en veux-tu, en voilà : des rayons d'affiches à perte de vue, sur tous les lampadaires, barrières, murs et maisons, et des tracts donnés à la pelle, à raison d'une moyenne de deux parades par jour ; de la publicité grandeur nature à la prostitution culturelle il n'y a qu'un pas, que ce racolage costumé menace à toute heure de franchir. Vitrine pour les compagnies de France et de Navarre qui y viennent dans l'espoir de se faire repérer, le Festival est aussi un grand marché pour les programmateurs et une étape incontournable pour pas mal de retraités, venus prendre leur dose de culture. En Avignon justement, la culture est à deux vitesses. Il y a l'institutionnel d'un côté, le parfait, le léché, le coûteux In, et il y a l'autre, le Off, un joyeux fourre-tout dans lequel on peut littéralement trouver de tout : clown, masque, claquette, one-man-show, magie, flamenco, chant lyrique, etc. Difficile de faire le tri parmi les mille et un spectacles programmés. Le choix se fait donc au petit bonheur la chance, et par le bouche à oreille qui, dans les files d'attente, fait son effet.
On peut donc se tromper, et dans les salles, surtout dans le In, il n'est pas rare qu'un ou plusieurs spectateurs ne s'échappent avant la fin de la représentation, parfois même durant le premier quart d'heure. Et il y a les vrais curieux, qui restent même s'ils ne saisissent pas tout. Dans tous les cas, à la sortie, les discussions et débats se poursuivent aux terrasses des restaurants et cafés. Le temps d'un court week-end à Avignon, nous avons eu le temps de voir quatre pièces et un one-man show : trois dans le Off, deux dans le In. Objet non-identifié dans le festival, La Manufacture programmait sur quatre jours une création du collectif T.O.C. de Mantes-la-Jolie : 'Si ce monde vous déplaît', texte d'une conférence authentique donnée par l'illustre auteur de science-fiction Philip K. Dick. Entraînés hors-les-murs à bord d'un bus, nous avons assisté à la conférence du maître, où celui-ci partage ses pensées sur l'existence d'univers parallèles. La mise en scène sobre mais géniale de Mirabelle Rousseau et la justesse d'interprétation du comédien Thierry Raynaud nous ont fait toucher du doigt les paradoxes infinis du monde tel que nous le connaissons, ouvrant une brèche vers des possibilités inconnues.

Puis, le lendemain, à 18h au gymnase Aubanel, le controversé Romeo Castellucci proposait une œuvre splendide, colossale, abyssale presque, tant elle était habitée. 'Four Seasons Restaurant' tire son nom d'un tableau de Mark Rothko. Le metteur en scène, plasticien de formation, repousse toujours plus loin la frontière entre le théâtre et une pièce d'art contemporain, posant des questions essentielles et immenses sur le rôle de l'artiste, le statut de l'image, la relation à Dieu et à l'univers. Avec la ferme détermination qu'un artiste est censé poser des questions plutôt que d'y répondre. Enfin, nous nous sommes rendus dans la mythique Cour d'honneur, qui par grand vent ce soir-là (la Cour d'honneur sans vent ne serait pas vraiment la Cour d'honneur, en même temps) accueillait en ses murs une pièce tout autant symbolique : 'La Mouette' de Tchekhov. La mise en scène d'Arthur Nauzyciel, artificiellement contemporaine, nous a laissés perplexes, ne sachant que penser de ses références faciles (acteurs masqués en mouettes, film des frères Lumière projeté au début de la représentation...), de son groupe de pop éthérée qui accompagne en continu la pièce, et du jeu « en dépit du bon sens » de ses acteurs.

Cette année on fêtait également en Avignon le centenaire de la naissance de Jean Vilar, père fondateur du Festival. Depuis qu'il n'est plus là, chaque édition a droit à son lot de réprimandes. Le In est jugé trop élitiste, et le Off trop marchand (prix des places avoisinant les tarifs In, manne financière pour les petits théâtres qui louent leurs salles par créneaux à prix d'or...). Et pourtant, le festival reste une escapade au climat atypique. Une parenthèse culturelle exceptionnelle au cours de laquelle l'on sera peut-être bouleversé, traversé par des écritures ou des mises en scène singulières, nous confrontant radicalement à notre condition et au monde. Et c'est bien tout ce que l'on demande à l'art : nous bousculer pour mieux nous éveiller.

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