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Critique

Roberto Zucco

4 sur 5 étoiles
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Time Out dit

Il est des événements qui bouleversent les grilles d'analyse d'un texte. Son ancrage dans le présent et sa manière d'émouvoir. Beaucoup plus que celle du mois de janvier 2015, qui visait un symbole de la liberté d'expression, la tragédie du 13 novembre 2015 agit ainsi sur le ‘Roberto Zucco’ créé le 12 novembre à la Comédie de Valence par le directeur du lieu, Richard Brunel. Le héros éponyme de cette ultime pièce de Bernard-Marie Koltès (1948-1989) tue celui qui a le malheur de se trouver sur son chemin. En apparence, du moins. Obscures, d'une poésie brute exprimée par bribes, les pensées de Roberto Zucco ne sont jamais élucidées. Elles questionnent. Eloignée dans le temps du fait divers qui l'a inspirée, l'histoire de cet assassin au nom sucré prend figure de mythe et ramène de fait à un présent proche. A une brèche dans le quotidien, que devrait idéalement provoquer toute pièce de théâtre.

Corps massif, regard doux, visage difficile à déchiffrer, Pio Marmaï est à la hauteur du mystère de son personnage. Dans la scénographie spectaculaire conçue par Anouk Dell'Aiera, il a dès son entrée en scène tout d'un animal traqué. Lorsqu'il sort comme un diable de sa boîte, d'une petite ouverture au milieu d'un mur de tôle ondulée, il vient de tuer son père, et s'apprête à poignarder sa mère (Evelyne Didi). Sans figurer une prison – Richard Brunel a pris, avec bonheur, le parti de tourner le dos à toute forme de réalisme –, le décor de ce ‘Roberto Zucco’ est celui d'un cauchemar bordélique, où une passerelle de métal suspendue accueille des êtres en déshérence. Les gardiens ridicules de la première scène (Babacar M'Baye Fall et Christian Scelles, délicieusement beckettiens), puis Roberto Zucco et un vieil homme qui s'est laissé enfermer dans le métro (Axel Bogousslavsky). Les mêmes occupent le reste du temps le plateau encombré de panneaux coulissants décorés façon street art.

Entre ciel – bouché, mais tout de même –  et terre, les quatorze comédiens de ce ‘Roberto Zucco’, qui endossent pour la plupart plusieurs rôles, incarnent avec talent le ballottement de l'homme par l'Histoire qui traverse l'ensemble de l’œuvre koltésienne. De même que la solitude post-moderne, dont le traitement subtil est pour beaucoup dans la renommée de l'auteur, monté par le fameux Patrice Chéreau de son vivant – à l'exception de sa dernière pièce. A côté d'un Roberto Zucco mi-mythique mi-empêtré dans une actualité qui le rattrape et qu'il interroge par son absence de motifs apparents, les autres comédiens – tous excellents – ont l'air d'hallucinations prêtes à se dissiper au moindre sursaut de conscience du meurtrier. Noémie Develay-Ressiguier est une gamine toute en courses et en révolte, qui dans une scène surréaliste émerge nue de sous la table où dîne sa famille, après une étreinte passionnée avec Roberto Zucco. Son violeur, qui lui a pris sa virginité. Luce Mouchel est une dame blonde peroxydée dont l'allure superficielle rend mystérieux son désir, complexe et sombre, de suivre son agresseur...

Comme l'écriture de Koltès, la mise en scène de Richard Brunel est éminemment cinématographique. En dehors même des moments les plus visuels – ceux du repas avec la gamine aux seins nus, et de l'assassinat du fils de la dame, recouvert par une pluie de sacs en plastique –, chacun des dix tableaux de la pièce est accompagné d'une transformation du plateau qui se révèle un véritable espace gigogne. Quelques panneaux soulevés, une variation de lumière et les crimes et errances de Roberto Zucco apparaissent sous un jour nouveau. 

Car si on a souvent l'impression que l'étrangeté des êtres qui peuplent la pièce est liée au regard que porte sur eux le criminel, chaque rencontre provoque chez Roberto Zucco un tremblement, une remise en question de sa vision du monde, qu'elle débouche ou non sur un meurtre, jamais formulée mais que l'on perçoit à la manière de Pio Marmaï de s'exprimer et de se mouvoir. D'osciller entre tendresse extrême et violence sanguinaire. Son Roberto Zucco évolue dans un monde de pures sensations. Où la notion de choix semble n'être plus qu'un lointain souvenir...

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