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© Manifesto

L'art contemporain à la conquête des quartiers populaires

Dans le Grand Paris, l’avenir de l’art semble se jouer de l’autre côté du périph.

Zoé Terouinard
Écrit par
Zoé Terouinard
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Matignon, le Marais ou la rue de Seine seraient-ils en train de devenir has been ? Ces trois quartiers jusqu’alors intouchables dans le paysage de l’art contemporain sont désormais concurrencés par la banlieue et les quartiers nord de Paname, qui redoublent d’inventivité pour se faire une place sur les cimaises. Entre musées, galeries, résidences d’artistes, écoles et tiers-lieux, les quartiers populaires prennent leur revanche. Mais à quel prix ?

Art contemporain au Poush
© Ismael BazriLe Poush

Candidate au titre de capitale européenne de la culture en 2028, Saint-Denis entend “diversifier les pratiques culturelles, en inventer de nouvelles, soutenir les artistes et démocratiser l'accès à la culture”, comme l’expliquait le maire Mathieu Hanotin aux Echos en janvier 2021. Loin de mimer maladroitement ce qui se fait sur la capitale, la ville de Seine-Saint-Denis se crée une identité bien à elle, valorisant son patrimoine culturel trop longtemps ignoré et mettant en lumière les talents locaux.

Les talents en circuit court

Pilotée par les Ateliers Médicis de Montfermeil et l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris, l’école pluridisciplinaire d’art La Renverse de Clichy-sous-Bois a ainsi été piocher les élèves de sa première promotion dans les quartiers populaires. “On veut créer des espaces ici, dans le 93, pour faire fructifier les talents locaux, pour que des voix nouvelles se fassent entendre”, explique Mark Gore, directeur du développement culturel aux Ateliers Médicis, qui a structuré La Renverse. Empreints d’autres références et d’autres codes, ces artistes en devenir pourront ensuite s’exprimer dans les différents ateliers et résidences qui fleurissent partout en banlieue depuis quelques années.

Nuit européenne des musées 2023
© Martin ArgyrogloMAC VAL

Au 6b (Saint-Denis), à Artagon (Pantin) ou à Poush (Aubervilliers), des pépinières de jeunes artistes permettent aux plasticiens de bénéficier d’ateliers à des loyers imbattables (entre 10 et 15 euros le mètre carré) et de profiter du bouillonnement créatif d’une communauté, le tout dans un immense espace. Un modèle quasi impossible à mettre en place dans Paris intra-muros, trop dense et trop cher. Les quelque 250 artistes en résidence dans l’ancienne usine de parfum occupée par Poush depuis février 2022 ont en moyenne 35 ans et enchaînent journées portes ouvertes, expos collectives, solo shows, visites de professionnels du marché de l’art et formations en tout genre. Tout ce qu’il faut pour devenir un artiste qui compte.

La bonne affaire immobilière

Implanté depuis 2005 à Vitry-sur-Seine (94), le MAC VAL est le premier grand musée d’art contemporain en banlieue. “On n’est pas un musée de banlieue, mais un musée en banlieue”, tient à souligner sa chargée de communication Delphine Haton. Aujourd’hui une référence absolue pour les institutions culturelles qui cherchent à s’implanter en banlieue, le MAC VAL pose un regard très pragmatique sur ses nombreux nouveaux voisins. “La culture n’est pas bien différente des autres projets immobiliers : tout le monde s’exporte. Traverser le périph n’a plus la même signification qu’avant, ça ne fait plus aussi peur aux galeries et aux musées de sortir de Paris. Et tant mieux !”

Mais attention, si les prix sont attractifs, pour Annelise Stern, fondatrice de la galerie Art Girls, un futur espace dédié aux artistes femmes à Ivry (94), “aller en banlieue pour profiter de loyers moins chers, sans chercher à entrer en relation avec les habitants du territoire, serait une aberration”. Car si l’on peut se réjouir que le public parisien saute le périph, ce serait mieux d’éviter de recréer un Haut-Marais hors les murs, comme le craint la créatrice de contenus Marie-Odile Pantoja Falais, à la tête du très populaire compte Insta @imagine_moi : “Lors d’une journée portes ouvertes à Poush Manifesto, j’ai vu tout un flux de personnes au style et à la démarche similaires, qui ne se mélangeaient pas au reste, des visiteurs qui ne prêtaient pas attention au quartier lui-même.”

S’ouvrir à de nouveaux publics

Exposer en périphérie, c’est surtout exposer autrement. “Qui s'amuse encore dans un white cube en regardant une pelle et un tuyau décrits par un cartel de trois pieds de long avec des mots que presque aucun de nous ne connaît ?”, tacle Annelise Stern. La question des publics devient en effet centrale lorsqu’un espace d’exposition s’installe dans une région jusqu’alors peu exploitée par les institutions culturelles. Cela implique des responsabilités de médiation, de choix des sujets, et des manières d’exposer. “Tout le monde peut comprendre l’art contemporain si on se donne les moyens d’expliquer, de faire de la médiation. On propose des projets de qualité, même aux publics qui sont moins habitués à fréquenter des musées, car pour nous, c’est une façon de les respecter”, estime Delphine Haton du MAC VAL.

Scolaires dans un jardin
© 6B

Pour Marie-Odile Pantoja Falais, le changement ne peut s’opérer sans une communication adaptée. “Je reçois souvent des messages du type ‘J’aime ce que tu fais parce que même si je ne suis pas du milieu, je comprends et ça m'intéresse’. Je pense surtout qu’il y a une volonté de découvrir l’art à travers des sujets moins élitistes, plus proches de nos réalités et de nos préoccupations actuelles.” L’art en banlieue ne fera pas l’économie d’inventer des clés de compréhension. Un projet bien plus exaltant que d’exporter l'élitisme !

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