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Rencontre avec le photographe Paps Touré : « Paris sera toujours plus fort que les éléments »

Houssine Bouchama
Écrit par
Houssine Bouchama
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Après avoir bourlingué de continent en continent, Paps Touré, photographe et scrutateur balzacien de la rue, revient avec un nouvel ouvrage consacré à la ville de Paris, son premier amour. Gosse du 19e, il y dépeint avec brio une capitale à toutes les saisons : qu’il neige – on pense à ces superbes clichés d’un Paris plus hivernal que jamais – ou qu’il pleuve – lorsque la Ville Lumière fut prise d’assaut par la crue historique. Mais surtout, le colosse tend à nous montrer à travers son travail, et non sans ironie, l’âpreté de la vie, la solitude ou le bonheur via des portraits d’amants ou d’âmes laissées pour compte, notamment ceux de sans-abri. Contrairement à Doisneau (l’une de ses inspirations), l’artiste n’utilise jamais de mise en scène et privilégie un noir et blanc qui semble faire écho au photojournaliste Ted Grand, qui confiait : « Si vous photographiez les gens en noir et blanc, vous photographiez leur âme. Alors qu’en couleur, vous photographiez leurs vêtements. » Loin de son vélodrome qu’est la rue, Paps, plus loquace que jamais, nous répond du tac au tac pour raconter des anecdotes à propos de certaines de ses photos. Et sans mauvais jeu de mots, ça vaut le détour. 

Le livre 'DIS LEUR' (35 €) est disponible à la librairie du Bon Marché ou en commande à l’adresse suivante : lesouffledelart@gmail.com

On est d’accord qu’il n’y a jamais de mise en scène ?

Jamais ! Je suis contre la mise en scène justement. Je préfère saisir des instants de vie, quelque chose de réel, sans retouche, un truc pur, brut. Que ça plaise ou pas, ça reste un instant éphémère, unique.

© Paps Touré

Celle-là, je me rappelle, je rentrais du travail, j’étais vendeur dans le 11e. C’était sur la ligne 8 et je me suis dit que je devais saisir cette scène parce que sinon les gens ne me croiraient pas. Du coup, j’ai baissé le hublot du wagon et j’ai pris la photo. J’avais peur qu’elle soit floue mais ce n'était pas le cas. C’est comme un tableau en fait et c'est ce qui fait la force de cette image. Cet instant est unique. Ce qui est drôle, c’est que quand je l’ai sortie en grand format, j’ai vu le « tout peut arriver » sur l’affiche. Là, c'était parfait. 

C’est pour ça que je te questionne sur la notion de mise en scène parce que la magie de l’instantanéité revient très souvent dans tes photos. Celle d’Habitat en est encore un magnifique exemple.

© Paps Touré

Je sortais encore du travail. Je revenais de chez Casa, je prends la photo et je la montre aux deux personnes que l’on voit. Ils me répondent : « C’est joli mais il y a le monsieur qui dort dessus. » Je leur réponds que c’était justement lui que je prenais. Je me suis lié d’amitié avec la dame et quand je l’ai invitée à ma première expo, elle a même acheté la photo. Ce cliché montre le contraste de notre société. Les gens ne font pas forcément attention à ce qu’il y a autour d’eux...

Il y a quelque chose entre toi et le fait de photographier des SDF. Tu peux m’expliquer pourquoi ? 

A ce moment de ma vie, j’étais un peu sur le fil du rasoir. Mes photos représentent l’état d’esprit dans lequel j'étais. D'autant plus que pour les SDF, il y a une mise en scène naturelle qui attire l’œil. Je ne prends pas un SDF pour prendre un SDF, c’est plus quelque chose qui pousse à la réflexion. Au lieu de le dire ou de l’écrire, je le prends en photo.

Aujourd’hui, je prends d’autres types de photos car celles-ci, je n’y arrive tout simplement plus. Ca marquait un moment de ma vie, c’est une empreinte de mon passage.

Les chiens, je sais que c’est l'un de tes thèmes forts. Et notamment cette photo avec les deux chiens assis sur les bancs.

© Paps Touré

C’est ma photo coup de cœur avec mes deux staffies. Ce qu’il y a de plus profond chez moi, ce sont mes deux chiens. C’étaient mes compagnons, ils sont décédés il y a cinq ans. Et comme tous les matins, j’allais sur le pont des Arts et je prenais des photos. Et eux m’attendaient toujours sur ce banc.

Mais c’est quoi ton rapport avec les chiens ?

Je les adore. Quand j’étais en CE2, je suis parti en classe verte en Lozère. On est allé dans une réserve voir des loups et j'ai dit à ma prof : « Quand je rentre, je veux ça. » Elle m'a dit que ce n’était pas possible mais que je pourrais cependant avoir un chien. Dès que je suis rentré, j’ai tanné ma mère pour en avoir un. Quatre années se passent, je ramène un chien chez moi mais ma mère le vire. Six mois plus tard, j’en ramène un autre, mon père le vire au bout de quatre jours. Encore un autre, un beauceron et là mes parents veulent bien le garder mais moi, je dis non, il est cheum ! Donc je le donne à un pote.

Finalement, c’est un an après que je reviens avec un petit pit. Et là ma mère n'en veut pas et elle me dit : « C’est toi ou le chien ! » Je suis donc parti avec mon chien.

Je ne peux pas vivre sans chien. Quand les deux (sur la photo) sont morts, j’en ai profité pour faire des expos, voyager, etc. Mais quoi que je fasse, ils seront dans toutes mes expos et tous mes livres. 

Il y a aussi ton rapport à Paris qui est très présent. Notamment cette première où l’on voit Paris en toutes lettres sous la neige.

© Paps Touré

C’est rare de voir Paris sous la neige et ce matin-là, j’avais emmené mes deux chiens au Bois de Vincennes. Je trouve ça tellement pur, tellement simple, tu n’as pas besoin de tergiverser. Je savais inconsciemment que j’allais me servir de cette photo.

Tu as beaucoup voyagé mais c’est Paris qui revient à chaque fois...

C’est chez moi ! Je me sens mal quand je passe plus d’une semaine en dehors de Paris. J’ai une addiction à Paris qui est exacerbée. Paris, c’est moi. Faut que je fasse un guide touristique.

On est preneur chez Time Out ! 

Ah mais je peux t’en faire un : le off-Paris. Quelque chose pour les Parisiens qui pensent connaître Paris mais qui méconnaissent la ville. Pour moi, Paris, c’est… 

Magique ? 

Voilà ! Et c’est même pas fait exprès ! 

Un autre de tes dadas, le vélo.

© Paps Touré

Ca ne pollue pas, tu fais du sport, tu gardes la ligne. Tu peux aller partout en très peu de temps. C’est une manière pour moi de travailler aussi. Au lieu de marcher, je roule. Tout simplement.

Pourquoi utiliser systématiquement le noir en blanc ? 

Pour ce côté intemporel de la photo. La couleur me fait penser à la publicité. J’ai du mal à regarder une photo en couleur, j’ai l’impression que c’est pris pour instagram. Pour moi, la couleur n’est pas sérieuse. 

Tu n’as jamais publié de photos en couleur ?

Si une, quand j’étais en Tanzanie avec des éléphants. Celle-là était magique. Tu avais les tournesols jaunes, l’éléphant, les montagnes blanches, le ciel bleu. La couleur se justifiant par le dégradé de couleurs.

© Paps Touré

Paris sous l’eau, c’est presque surréaliste. Je n’étais pas là en plus !

© Paps Touré

C’est le souvenir et comme tu dis, tu n’étais pas là, et sans l’image, tu aurais eu du mal à le croire ! C’est ça la force d’une image. La photo prend tout son sens avec ce que tu dis. C’est Paris qui coule et finalement, ça n’a pas coulé. Ca fait inconsciemment penser aux attentats : Paris sera toujours plus fort que les éléments.

Et puis il y a les amoureux...

© Paps Touré

C’est encore par rapport à Paris, ville de l’amour. Avec ces scènes-là, tu comprends que l’amour survole la ville en permanence. C’est beau à voir. « L’amour n’est pas mort » pour reprendre Oxmo Puccino. Dans la vie, tu verras toujours ce que tu as envie de voir. Si tu as envie de voir des choses négatives, tu verras des choses négatives, le contraire marche aussi. C’est le ressenti que j’ai. Quand j’appuie sur le déclencheur, ça vient directement du cœur. Il n’y a pas de filtre ou de retouche. 

Une dernière, celle du SDF, seul, avec la foule en face.

© Paps Touré

Au départ, je ne voulais pas la prendre. Des fois, il y a des choses que tu gardes pour toi. Il y a des tonnes de photos chez moi, que je ne publierai jamais. Je les aime tellement que je ne veux pas les partager, c’est un peu de l’égoïsme. Cette photo est un miroir de ma propre personnalité. Je suis quelqu’un de très seul, c’est pour ça que j’ai des chiens. On dit que le chien est fidèle, mais il l’est à l’homme, pas au chien. Les gens ne pensent pas à ça. Dans cette foule, tu dois avoir des gens qui font semblant d’être ensemble. Le mec est seul mais il ne se ment pas à lui-même, il est seul. C’est ce qui fait Paris : tout le monde est concentré mais au final, tout le monde est seul. 

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