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Fin mars 2025, l’ouverture d’un restaurant éphémère proposant la saucisse-purée à 6,90 € a été annoncée partout (et notamment sur Time Out) comme une excellente nouvelle tant l’argument du prix est devenu tabou dans la communication des restaurateurs. Il faut dire qu’après des années d’inflation débridée (+6 % en 2023 puis +5 % en 2024 dans le secteur d’après l’Insee), on craint de plus en plus de ne pouvoir régler son addition sans y laisser un organe.

Donc un prix bas, c’est bien, non ? Pas forcément, tempère Marie Gerin-Jean, la directrice d'Ernest, l’association d’aide alimentaire : « Rendre les plats accessibles, d’accord, mais à quel coût ? Chez Ernest, on ne veut pas que ce soit aux dépens de la qualité des aliments ou de la vie des salariés. Nous voulons créer de la richesse du producteur au cuisinier. Les prix pratiqués par cette adresse ne sont même pas ceux de la fast-food ! »
Le coût des autres
Pour Jade Frommer, créatrice de 6.90 et jeune patronne de l’Ephemera Group, il n’y a pas de mystère : « Je trouvais qu’on mangeait pour trop cher au restaurant. J’ai donc cherché à réduire les coûts au maximum afin de tester si le concept était tenable. Le volume des ventes rattrape l’amaigrissement des marges. » Chez 6.90, il n’y a pas de service : on prend ses couverts et son plateau et on s’assoit où l’on peut. L’équipe de cuisine se limite à deux étudiants cantiniers qui cuisent les saucisses, réchauffent la purée fabriquée dans un labo extérieur (mais appartenant au resto) et remplissent les assiettes. « On achète de grosses quantités à un artisan charcutier en Aveyron. Il a baissé ses coûts en misant sur une collaboration à long terme quand on va ouvrir d’autres adresses », explique Jade Frommer.

Il faudra bel et bien plusieurs adresses pour augmenter les économies d’échelle et devenir rentable car pour l’instant, avec le loyer d’un lieu éphémère dans le Sentier et malgré 300 couverts par jour, 6.90 perd de l’argent, admet Jade. Un calcul qui fait bondir Marie Gerin-Jean, qui dénonce « une véritable financiarisation de la restauration ». « Les fournisseurs deviennent des financeurs d’une opération !, dit-elle On ne gagne plus d’argent en vendant des repas mais en investissant dans un lieu destiné à être revendu car la valeur d’un fonds de commerce dépend du chiffre d’affaires et non de la rentabilité. Cela pousse à faire du volume au détriment de la qualité pour une revente juteuse. »
Comme à la cantine
Il est aussi possible de proposer des assiettes à petits prix sans en faire tout un plat dans les médias, comme le fait depuis 2021 Marie-Anna Delgado chez Paloma dans son coin de Belleville. Sa formule entrée-plat-dessert est récemment passée de 15 à 16 € mais elle fait toujours le plein chaque midi. Quel est son secret ? « Comme à la cantine, on n’a pas le choix du menu !, dévoile-t-elle. Cela permet d’ajuster l’approvisionnement et de n’avoir aucune perte. Ce qu’il reste du midi se retrouve dans les tapas du soir. Ensuite, je lisse tout ça sur le semainier, avec un produit un peu plus coûteux et d’autres plus économiques. »

C’est pas cher non plus chez Jean Vedreine, qui, après le Mansart à Pigalle, a repris depuis 2023 la gestion en direct de Chez Jeannette et y propose une redoutable formule midi (entrée-plat-dessert et boisson !) à 15 €. Comment fait-il ? « Je mutualise sur mes deux adresses. C’est la même carte et cela permet de faire des économies d’échelle. Le chef exécutif compte tout et décide ce qu’on peut mettre dans l’assiette » Les asperges sont chères ? Il y en aura deux plutôt que trois ! « L’idée reste de retrouver le goût dans le plat. »
Autre astuce, Jean a réussi à bloquer les prix de certains producteurs sur l’année. « J’achète mon faux-filet à 15 € le kilo toute l’année. On se fout de moi quand on peut l’avoir à 12 € en hiver mais ça rigole moins quand il monte à 18 € l’été ! » Et tout le monde s’y retrouve. Marie-Anna Delgado, elle, ne négocie même pas les prix avec sa coopérative de petits producteurs de l’Yonne avec qui elle a noué une relation de confiance. « On paye tout le monde et on rembourse le prêt, Paloma est une affaire viable dont on est fières ! »