Le nom d’Enki Bilal résonne bien au-delà du monde fantastique de la bande dessinée. Son exposition 'Graphite in progress' à la Galerie Barbier & Mathon présente ses esquisses comme des objets d’art capables de s’émanciper de leur dimension narrative tout en permettant à ses lecteurs les plus assidus de retrouver leurs personnages fétiches. Dénudés de leurs couleurs et parfois de leurs phylactères, ses premiers jets n’en font pas moins émerger des univers tendus de rêve et de science-fiction.
Fictions sincères
Voitures volantes, homme-requin et mobilier robotique sur calques constituent autant de passerelles vers des ailleurs indéfinis, des temporalités hybrides. Pourtant, de ces projections apparemment futuristes et fascinantes surgissent ici et là, comme des entre-deux plus familiers, des rendez-vous entre chien et loup qui soulignent les solitudes urbaines et les préoccupations domestiques. De tels gros plans rappellent qu’Enki Bilal est réalisateur en plus d’être dessinateur : n’en déplaise aux fans de Jodorowsky, 'Aliens' et autres 'Matrix'.
Mais à la vie mécanisée menée par ses créatures de papier, répondent à la fois la subtilité de leurs caractères, la puissance de leurs étreintes et, surtout, l’authenticité du trait encore en mouvement – la trace laissée par une main qui anticipe les heures à venir : celles qui nous restent à vivre ?
Mondes parallèles, mondes jumeaux
Car, pour autant que les univers d’'Animal’z', de 'Julia & Roem' ou de 'Nikopol' sont (jusqu’à preuve du contraire) dépaysants, on finit par croire que l’atmosphère menaçante qu’ils dégagent nous concerne directement. Le coup de crayon métallique de Bilal, en se donnant à voir au travail, comme en suspens entre l’esprit de l’artiste et la forme finie de l’album, laisse des blancs qui ont vite fait de questionner notre imaginaire. Fragiles chrysalides scénarisées au 2B ou destin de plomb pour populations 2.0 ? On vous laisse cogiter…