Ces dernières années, les amateurs de l’œuvre d’Henri Matisse ont été gâtés par les musées parisiens : Matisse - Comme un roman au Centre Pompidou fin 2020, Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30 à l’Orangerie en 2023 et L’Atelier rouge de Matisse à la Fondation Louis Vuitton l’an dernier ont rendu hommage à cet artiste majeur du XXe siècle. Pourtant, avec Matisse et Marguerite - Le regard d’un père, qui se déroule jusqu’au 24 août 2025, le musée d’Art moderne de Paris parvient à éviter toute sensation de déjà-vu grâce à une sélection et surtout un regard bien particulier sur la production du chef de file du fauvisme : celui que Matisse portait sur sa fille Marguerite, née en 1894, quelques années après ses débuts en peinture.
En suivant un parcours chronologique jalonné de plus d’une centaine de portraits de Marguerite, dessinée, peinte ou sculptée par son père entre les années 1900 et 1945 (mais aussi de documents personnels, de la propre production artistique de Marguerite Duthuit-Matisse et même de vêtements), l’exposition permet de redécouvrir cette figure souvent méconnue et pourtant très importante dans la vie et l’œuvre du peintre. La multiplication des tableaux, études, esquisses et autres représentations du même modèle ne lasse pas, bien au contraire, le visiteur, qui est ainsi témoin de la tendresse, si ce n’est de la fascination, d’un père pour sa fille. En plus de voir Marguerite grandir sous nos yeux, on constate l’évolution du style d’Henri Matisse et l’impressionnante variété des techniques qu’il a expérimentées.
La richesse des explications, notamment de nature biographique, permet de faire émaner des œuvres une dimension quasi romanesque en percevant l’attachement (on apprend par exemple que Matisse n’a jamais voulu se séparer de certains des portraits de sa fille), mais aussi l’absence après le passage à l’âge adulte et le mariage de celle qu’il surnommait Margot. Le thème de la famille est d’ailleurs doublement mis en avant par le musée qui a prévu un “espace famille” dans l’une des salles de l’exposition avec des activités pour les petits et grands. Les anecdotes permettent également d’ouvrir l’œil sur les détails dans la peinture et ainsi percevoir qu’ils ne sont pas nécessairement occultés par la puissance des couleurs ou la volonté de simplification dans le programme esthétique de l’artiste.
Si la démarche qu’on serait tenté de qualifier de “généalogique” de cette exposition invite aussi bien à redonner du contexte à l’œuvre de Matisse qu’à la présenter sous un nouveau jour, elle inspire également des interrogations sur la dualité modèle/sujet et sur la faculté de l’artiste à faire de la figuration un véhicule pour une sorte de supplément d’âme : dans une interview radiophonique que Matisse a donnée à la Chaîne Nationale en 1951, il expliquait qu’“un tableau d’un bon artiste a toujours cette espèce de sentiment d’évasion et d’élévation d’esprit. […] Cette peinture doit entraîner l’esprit du spectateur beaucoup plus loin que le tableau. […] Aujourd’hui, avec la photographie, on fait de tellement belles images, même en couleur, que le devoir de l’artiste, du peintre, est de donner davantage ce que la photographie ne donne pas.” En voyant certains portraits – notamment les deux dessins juxtaposés de Marguerite, résistante arrêtée et torturée par la Gestapo, réalisés au fusain par son père après la libération de celle-ci en 1945 –, on a cru comprendre de quoi il parlait.
PS : Parallèlement à cette exposition et en écho au chef-d’œuvre présent dans la salle Matisse du musée, le MAM propose Danse Danse Danse - Matisse, une expérience en réalité virtuelle sur le thème de la danse pensée comme une chorégraphie à laquelle les utilisateurs peuvent prendre part sur réservation.