Recevez Time Out dans votre boite mail

Recherche
Murakami
©Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Claire Dorn Courtesy Gagosian

Takashi Murakami, en version XXL au Bourget

Rencontre avec le plus pop des artistes japonais, qui expose fresques géantes, fleurs colorées et NFT à la galerie Gagosian du Bourget.

Zoé Terouinard
Écrit par
Zoé Terouinard
Publicité

Au milieu des jets privés de l’aéroport du Bourget s'est posé un géant. Takashi Murakami, 61 ans, superstar de l’art contemporain, occupe la cyclopéenne galerie Gagosian et ses volumes de hangar à zeppelin pour une rétrospective hors normes tant par sa durée (six mois, un record) que par les dimensions des œuvres présentées. Intitulée Understanding the New Cognitive Domain (soit “Comprendre le nouveau domaine cognitif”), cette expo présente cinq installations monumentales ainsi qu’un ensemble de plus petites peintures et sculptures, formant des liens (parfois ténus) entre plusieurs concepts. Le temps d’une visite privée, le maître s’est confié à Time Out : “J’avais envie d’offrir au public français une fenêtre sur l’histoire japonaise, l’histoire de l’Asie. Finalement, mon exposition consiste en un certain nombre de ponts entre la culture occidentale et la culture orientale, le monde digital et le monde réel, l’art abstrait et l’art figuratif.” 

Une Murakami
© Roman Mourouvin et Bryan Mayes pour Time Out Paris

Il n’y a qu’à voir les deux immenses fresques qui nous accueillent dans la “white box” ! La première, The Name Succession of Ichikawa Danjūrō XIII, Hakuen, Kabuki Jūhachiban (2023), déploie sur plus de 23 mètres de long une esthétique inspirée du théâtre traditionnel japonais kabuki, tandis qu’en face, une seconde fresque de 18 mètres de long reprend le motif chinois du dragon, déjà traité par l'artiste japonais Soga Shōhaku dans Dragon and Clouds en 1763. “Je n’avais jamais peint quelque chose d’aussi monumental !”, avoue l’artiste. Car si la première compo est l'œuvre de son studio, cette peinture est le fait du seul Murakami, qui montre dans cette expo toute l’étendue de son talent et de ses références artistiques, allant des maîtres de l’époque d’Edo (1603-1867) à l’esthétique des jeux vidéo en passant par les artistes abstraits américains.  

Murakami
©️2023 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Thomas Lannes Courtesy Gagosian

 “Quand j’étais à l’université, je me suis passionné pour l’expressionnisme abstrait américain. J’ai étudié la structure, la méthodologie de ces peintres, et je voulais moi-même faire de la peinture abstraite”, nous explique-t-il devant une autre installation mettant en scène ses fameuses fleurs souriantes. Dans ce deuxième espace, deux fresques se répondent, comme un miroir déformant : l’une est l’illustration parfaite du style Superflat (mouvement à mi-chemin entre pop art, kitsch et culture kawaii japonaise inventé par Murakami dans les années 2000), et l’autre décline ses marguerites dans un effet marbré. “Je me suis inspiré de la technique traditionnelle du kasuri. Je peins, j’ajoute du sable, je repeins, j’ajoute du sable… C’est un processus presque méditatif, développe-t-il, avant d’être complété par les équipes de la galerie : “Dans tous les travaux de Takashi, on retrouve ce style Superflat, très contemporain, très lisse. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il utilise presque à chaque fois des méthodes japonaises traditionnelles pour arriver à ce résultat.”

Jeux vidéo, NFT et pixel art

Entre art traditionnel et art contemporain, le cœur de Murakami balance. Véritable encyclopédie en sneakers vert fluo, l’artiste de 61 ans reste très ancré dans son temps : il s’est récemment intéressé au cryptoart, et il a même lancé son propre projet de NFT, Murakami Flowers, l’année dernière. “Pendant la pandémie, j’ai vraiment senti que la frontière entre monde réel et monde numérique se brouillait de plus en plus, et je pense que les NFT sont l’expression artistique de cette perméabilité. Je crée des NFT pour m’insérer dans ce métavers et je réalise ensuite de vrais tableaux afin d'expliquer le monde des NFT aux gens du monde réel.Et pour convaincre les amateurs de se déplacer jusqu’au Bourget, l’artiste a conçu un NFT que les visiteurs du vernissage ont pu choper gratuitement. Quand on sait que Takashi Murakami a été classé sixième artiste le plus cher du monde par Christie’s, il valait mieux se tenir prêt à faire la queue pour obtenir son Graal numérique ! 

Murakami
©️2023 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Thomas Lannes Courtesy Gagosian

Derrière l’apparente naïveté de ses célébrissimes fleurs joviales, son look coloré et ses collaborations tous azimuts (Kanye West, Pharrell Williams et Louis Vuitton), Murakami est un artiste hyper-concentré qui pense absolument à tout, truffant ses œuvres de références aussi bien pop qu’intello. Dans une peinture allongée aux faux airs de frise chronologique, le plasticien cite simultanément l’artiste américain Mike Kelley, les grandes figures de la finance et les jeux vidéo mythiques des années 1980. “Quand j’ai sorti Murakami Flowers, il fallait une bannière pour le site. J’ai pensé à faire cette composition qui met en scène différentes personnes impliquées dans l’histoire de la monnaie et de la valeur marchande à travers le temps, que j’ai voulu ensuite retraduire en peinture”, explique l’artiste, avant d’ajouter : “Je me suis alors souvenu de l’œuvre de Mike Kelley, Pay for Your Pleasures, qui associe plusieurs portraits de grandes figures culturelles avec des extraits de leurs œuvres portant sur les thèmes de la criminalité et du mal. Il y a un côté polémique à cette œuvre car elle explore les limites entre folie, criminalité et créativité. Je trouvais intéressant de rapprocher les personnalités du monde de la finance et cette œuvre majeure de l’histoire de l’art.”

Une fenêtre sur la culture nippone

Iconoclaste, Murakami ? Carrément quand il conçoit des portraits de Benjamin Franklin, Karl Marx ou Elon Musk à la manière d’avatars numériques, style dont il s’inspire dans un grand nombre de ses travaux présentés à la galerie. “Quand j’étais adolescent, je jouais aux jeux vidéo tous les jours pendant cinq six heures”, se souvient-il avec un sourire malicieux. “Ça énervait beaucoup mes parents, mais pour moi, c’est un très bon souvenir. Il y a un côté très nostalgique dans ce traitement très pixélisé de mes compositions. J’essaie de mélanger le côté rétro du pixel avec l’esthétique NFT, plus contemporaine.” 

La déambulation continue aux alentours, entre des sculptures réfléchissantes aux allures d’avatars, des chats porte-bonheur pixélisés et une enseigne en néon arc-en-ciel de deux mètres, nous plongeant dans un univers d’arcade, à la fois futuriste et délicieusement kitsch. Une exposition à son image : fun, créative, complexe et aussi profonde qu’accessible.

Takashi Murakami
© Roman Mourouvin
Recommandé
    Vous aimerez aussi
    Vous aimerez aussi
    Publicité