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Elle s'appelle Ruby

Interviews • Paul Dano & Zoe Kazan

'Elle s'appelle Ruby', en salles le 3 octobre

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A l'occasion de la promotion de 'Elle s'appelle Ruby', le dernier film de Jonathan Dayton et Valerie Faris ('Little Miss Sunshine'), les acteurs Paul Dano et Zoe Kazan (qui signe également le scénario) se sont prêtés pour Time Out Paris au jeu de l'interview : à l'écrit pour elle et en vidéo pour lui, elles nous permettent d'en savoir un peu plus sur le nouveau couple chéri du cinéma indépendant américain.

Evoqués pêle-mêle, l'écriture du film, le mythe de Pygmalion, l'Actors Studio, la relation entre travail et vie privée, le théâtre et le cinéma et deux autres films du prolifique Dano : 'For Ellen' de So Yong Kim et 'Twelve Years Slave' de Steve McQueen.

Lire la critique de 'Elle s'appelle Ruby'

Time Out Paris : Pourriez-vous nous parler de la façon dont vous avez écrit le scénario d''Elle s'appelle Ruby' ?
Zoe Kazan : Cela faisait un moment que je pensais au mythe de Pygmalion, ce sculpteur dont la statue prend vie. Je voulais écrire quelque chose sur le sujet. J'avais plusieurs idées qui m'amusaient beaucoup et j'ai commencé à écrire. Après avoir rédigé à peu près quinze pages, je les ai faites lire à Paul, qui m'a demandé si j'écrivais pour nous deux. J'ai d'abord été surprise, puis plus j'y pensais, plus ça m'a paru clair que c'était ce qu'il fallait faire. On est donc parti de là pour trouver nos réalisateurs, Jonathan [Dayton] et Valerie [Faris], qui ont réalisé 'Little Miss Sunshine', ainsi que des producteurs géniaux ayant également travaillé sur ce film.

On dit que vous seriez tombée sur des mannequins dans la rue, et que c'est ce qui vous aurait inspirée pour l'histoire...
Oui, je rentrais chez moi un jour à New York, il y avait des poubelles sur le trottoir et de l'une d'elles sortait un mannequin. Ca m'a fait peur parce que j'ai d'abord cru que c'était une vraie personne : c'est ce qui m'a fait penser au mythe de Pygmalion, à ce sculpteur qui croit voir sa statue bouger du coin des yeux.

Y a-t-il des films dont la thématique vous semble proche ? On pense à 'La Rose pourpre du Caire' de Woody Allen, par exemple...
Oui, ce film, plus que tout autre, m'a inspirée. Je l'aime beaucoup, ainsi qu''Un jour sans fin', parce qu'aucun des deux n'explique comment le fantastique arrive. Mais en effet, je pense qu''Elle s'appelle Ruby' ressemble plus particulièrement à 'La Rose pourpre du Caire', qui parle d'une femme si seule qu'elle a besoin du cinéma pour s'évader. Dans notre film, c'est un homme solitaire, qui a tellement besoin d'affection qu'il crée le personnage de Ruby.

Etes-vous influencée par le cinéma français ?
Oui, j'adore le cinéma français. Par exemple, ce n'est pas une des références du film, mais 'Ricky' de François Ozon possède la même sorte de réalisme magique. J'aime aussi beaucoup les films de la Nouvelle Vague, leur sensibilité teintée d'humour et de romantisme, mais également leur côté très dramatique. Des films comme 'Le Mépris'...

Un couple d'acteurs, un couple de réalisateurs, un couple de personnages... Y avait-il quelque chose de spécial à travailler ainsi ?
Bien sûr. Ça paraissait très naturel pendant le tournage, mais avec le recul, je me rends compte de la chance que nous avons eue. Quand toi et ton partenaire avez le même objectif, et que vous travaillez avec un autre couple, ça permet de mieux se concentrer. En général, le travail nous éloigne de notre partenaire. Mais pendant tout le temps où l'on faisait ce film, mes intérêts et ceux de Paul étaient les mêmes, ce qui nous a motivés l'un l'autre pour aller plus loin et y consacrer plus de temps.

Ce n'était pas la première fois que vous travailliez ensemble. En quoi cette fois-ci était-elle différente ? Avez-vous mis une part de votre intimité dans ces personnages ?
J'ai essayé d'éviter ça au possible. Paul en particulier est quelqu'un de très privé, et je ne pense pas qu'il se sentirait à l'aise s'il y avait trop de similitudes entre sa vie et un rôle. Je crois que la relation qu'ont Calvin et Ruby est très différente de celle que Paul et moi avons. En fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'était plus dur de jouer un couple, parce qu'on ne devait pas interagir de façon habituelle. C'était clairement un défi.

Et Ruby, est-ce que vous la définiriez comme une « manic pixie dream girl » (1) ?
Non. Je pense que ce terme a été inventé pour décrire des personnages féminins qui ne sont pas complètement écrits ou réfléchis. J'espère que Ruby ne sera pas vue ainsi. Une des choses sur lesquelles j'ai essayé d'écrire est la manière dont, quand on rencontre quelqu'un pour la première fois, on s'attache toujours à une première impression, à une idéalisation. Vous savez : je vous rencontre, je vois comment vous vous habillez, ce que vous dégagez, ce que vous faites dans la vie, et je commence à me faire des idées sur vous, qui peuvent être en lien avec ce que vous êtes, mais qui ne seront jamais ce que vous êtes vraiment. On passe tous par là. Quand j'ai rencontré Paul pour la première fois, j'ai été attirée par lui pour différentes raisons, et j'ai projeté tout un tas de choses sur lui. Par la suite, quand j'ai commencé à le connaître, j'ai découvert qui il était vraiment. Ce mouvement m'intéresse beaucoup. Quand vous voyez Ruby pour la première fois sur l'écran, elle représente plus l'idée d'une personne qu'une personne réelle. Puis, quand vous commencez à la connaître, j'espère que ses qualités apparaissent et qu'elle devient davantage que des habits colorés et une jolie coupe de cheveux.

Faut-il comprendre que toute relation amoureuse serait, d'une certaine manière, basée sur une fiction ?
Je pense que ça commence toujours par une fiction, en effet. C'est en partie comme ça que le monde fonctionne. Il est impossible de comprendre entièrement une personne en un regard. On met les gens dans des cases. Une façon d'aimer quelqu'un est de le laisser sortir de cette boîte, mais je pense que c'est très dur à faire, en réalité. La tentation est grande de continuer à se faire des histoires, à fantasmer. C'est beaucoup plus difficile de composer avec la vraie personne et ses vraies pensées.

Elia Kazan, qui a cofondé l'Actors Studio avec Lee Strasberg, était votre grand-père. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce type de jeu ?
Je n'ai jamais étudié cette méthode, là-bas ou ailleurs, mais je dirais que de nos jours tous les acteurs sont assez familiers de ce type de jeu. L'Actors Studio a beaucoup changé la façon de jouer aux Etats-Unis. Ce que l'on considère comme un bon jeu d'acteur aujourd'hui est totalement différent de l'idée que l'on s'en faisait avant. Quand on regarde d'anciens films, même des acteurs et actrices admirables, comme Katharine Hepburn, ont un style de jeu qui paraît aujourd'hui empesé. L'Actors Studio a su privilégier la notion d'intériorité, et le fait de créer un personnage à partir de soi, en utilisant sa mémoire affective... Tout cela était nouveau. Enfin pas totalement, puisque Stanislavski travaillait déjà comme ça, ainsi que Michael Chekhov. Aussi, même si je ne m'inspire pas directement de l'Actors Studio, comme tous les acteurs actuels, ou du moins la plupart, je dois beaucoup à leur travail.

Quelles sont les différences, pour vous, entre jouer au théâtre ou pour le cinéma ?
D'après moi la préparation n'est pas très différente. Bien sûr, il faut savoir projeter sa voix au théâtre, mais je pense que la principale différence est une question d'ennui. Quand on joue une pièce encore et encore, ça finit par devenir lassant de faire continuellement la même chose. Du coup, ça force à réfléchir à son jeu, à le moduler. Alors que sur un tournage, on fait toujours quelque chose de nouveau, pour lequel on est spécifiquement concentré.

Vous êtes auteur, scénariste, vous jouez au théâtre et au cinéma... Dans quelle situation vous sentez-vous la plus à l'aise ?
Au cinéma, sans hésiter. Le théâtre reste un mystère pour moi, et plus particulièrement en tant qu'auteur, je n'ai pas l'impression de maîtriser ce qui fait une bonne pièce ; je crois que je comprends bien mieux ce qui fait qu'un film est bon... Au théâtre, on peut passer une soirée extraordinaire en jouant une pièce où tout fonctionne à merveille, et le lendemain c'est tout le contraire, sans qu'on puisse dire pourquoi. Alors que sur un tournage c'est beaucoup plus simple de se ressaisir : on peut faire une mauvaise prise, celle d'après sera la bonne... Il faut juste explorer.

Vous venez d'avoir 29 ans et votre carrière est déjà importante. Y a-t-il quelque chose que vous n'avez pas encore réalisé et que vous aimeriez faire ?
Tellement de choses ! Je voudrais être constamment en train d'apprendre, j'aimerais jouer des rôles inédits, me lancer de nouveaux défis, physiquement et émotionnellement. C'est ce qu'il y a d'excitant avec le fait de vieillir. Il faut dire que j'ai joué pas mal de rôles de jeunes filles. A présent c'est très enthousiasmant d'être vue comme une adulte et de pouvoir interpréter des rôles plus matures. J'adorerais pouvoir continuer à écrire, peut-être même un jour réaliser, et aussi produire à nouveau. J'ai une réelle passion pour le cinéma et je veux pouvoir y contribuer de toutes les façons possibles.

(1) Personnage archétypal (voire caricatural) de jeune fille légère, à l'imagination débordante, qui aide en général des hommes compliqués à aborder la vie avec plus de joie - par exemple, les personnages de Kirsten Dunst dans 'Elizabethtown', de Zooey Deschanel dans '(500) jours au soleil', ou, a posteriori, celui de Katharine Hepburn dans 'Bring Up Baby' (1938).

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