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Alain Passard : la beauté du geste

Écrit par
Zazie Tavitian
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Alors qu’il vient d’être désigné par ses confrères étoilés, premier parmi « les 100 chefs chez qui il faut avoir été », nous avons rencontré Alain Passard, cuisinier exalté et séduisant, qui ressemble trait pour trait au personnage que Christophe Blain a dressé de lui dans sa bande dessinée 'En cuisine avec Alain Passard'.

Il arrive dans ses bureaux (dans lesquels trône une statue de homard géant) en tourbillonnant : « J’ai goûté un Chenin incroyable, j’en avais jamais bu un comme ça, tu m’en commandes une douzaine ? » A 60 ans Alain Passard, chef de l’Arpège, a toujours la fougue et l’inspiration d’un jeune homme quand il parle cuisine.

Cuisinier, il a toujours voulu l’être : « A 14 ans j’avais déjà envie de faire des trucs. Je me rappelle d’une salade de pomme de terre, dans laquelle j’avais mis de l’huile d’olive, des herbes, et "pfouuuu" j’ai eu envie d'ajouter un petit verre de vin blanc. Le blanc du vin avec le jaune pâle de la pomme de terre ça marchait bien. » Car depuis que le chef cuisine essentiellement des légumes, il pense aussi ses plats comme des tableaux. Avec des associations de couleurs. Avant de les cuisiner le chef les couche d’ailleurs sur le papier. « Tous mes plats sont dessinés au millimètre. »

Et d’où lui vient cette inspiration ? « La création n’est jamais systématique : une couleur de cheveux, le regard, je capte quelque chose qui va m’entraîner vers une nouveauté, ça peut être la texture d’un radis noir, la couleur d’un céleri rave. Je suis un capteur » explique le chef en agitant ses mains, en caressant le dos d’une revue tout en nous regardant avec ses yeux bleus perçants.

 

Sushi de betterave ©Dos Santos

La fin du règne animal

Un capteur, peut-être, un précurseur c’est évident, quand il y a une quinzaine d’années il décide de travailler quasiment exclusivement les légumes. « J’ai eu des belles années avec le tissu animal mais j’ai eu envie de changer de couleur, comme un peintre. » Le choix peut paraître déraisonnable quand on sait ce qu’implique l’économie d’un étoilé. Pour Passard, il a été salutaire : « Ca m’a donné une totale liberté, j’ai changé de métier. J’ai pu explorer ce que personne n’avait encore exploré. A cette époque dans les étoilés, la carte était partout la même : turbot, homard... »

Ces plats classiques, le chef ne les a pas pour autant abandonnés, mais son menu 100 % légumes représente tout de même la moitié des commandes des clients. Tous les légumes et les fruits sont issus de ses deux potagers dans la Sarthe et dans l’Eure et de son verger dans la Manche. Evidemment sa cuisine reste celle d’un étoilé avec des plats délicats et élaborés comme le céleri-sotto, risotto de céleri, ou un sushi de betterave d’une délicatesse incroyable.

La belle main

Ce qui importe au chef autant que la qualité des produits, c’est la beauté du geste : « Avec le temps, la main devient de plus en plus belle, on élimine les gestes superflus. Comme les peintres, il faut devenir de vrais créatifs : effacer la main, gommer le geste. »

Chez Passard, tel un loup garou un soir de pleine lune, tous les sens sont apparemment sollicités et exacerbés. « Avec le temps je cisèle mes sens : j’ai un regard plus percutant, des papilles à fleur de peau, l’oreille aussi. C’est important de pouvoir reconnaître la cuisson d’une volaille à l’oreille, rectifier un assaisonnement au nez en quelques secondes. On ne le dit pas assez au gamin dans les écoles hôtelières : "Tu as une main, tu as un nez, tu as un palais." Ma grand-mère qui m’a beaucoup appris me disait : « Tends l’oreille, tu entends chanter le feu ? »

Que peut-on souhaiter comme avenir à un chef triplement étoilé, autonome, adulé par ses pairs et toujours inventif ? « Je ne veux pas savoir ce que je vais devenir et ce que va devenir ma cuisine, il n’y a rien de pire, je suis toujours en mouvement, dans une créativité permanente. »

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