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Beat Generation au Centre Pompidou : une expo qui laisse béat

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Passionnante et pluridisciplinaire, l'exposition que consacre le Centre Pompidou au mouvement d'avant-garde américain brille de ses multiples facettes. Un parcours emballant.

Littérature, cinéma, création sonore, photographie, peinture, collage, spiritualité ou art de vivre… Le premier vertige, tenace, qu’on ressent en pénétrant dans la galerie 1 du Centre Pompidou où vient d’être inaugurée cette exposition 'Beat Generation', tient d'abord à la multiplicité des supports présentés, rendant un hommage éclatant au caractère polymorphe, touche-à-tout, d’un des mouvements les plus emblématiques de la contre-culture américaine du milieu du XXe siècle. Dont – et c’est là la grande force de l’expo – les propositions artistiques restent étonnamment valides. On va essayer de dire pourquoi.

Beat Generation au Centre Pompidou, vue de l'exposition / © Time Out Paris

Authentique colonne vertébrale de l’exposition, le célèbre rouleau tapuscrit de ‘Sur la route’, le roman-culte de Jack Kerouac, en traverse toute la longueur, la scindant en deux parties égales, elles mêmes divisées en diverses salles à entrées multiples, micro-lieux dont la disposition plus ou moins labyrinthique semble avoir pour but (presque) avoué de perdre le spectateur, d’organiser sa dérive – absolument pas par perversité ou paresse, mais au contraire pour traduire la singulière poétique de l’errance qui marque l’état d’esprit de l’ensemble des artistes présentés ici. Autrement dit, ça a l’air complètement bordélique. Mais c’est fait exprès. Et ça marche ! A fond, même.

Certes, un tel foisonnement pourrait paraître casse-gueule, si les œuvres choisies ne l’étaient avec une cohérence assez remarquable. On ne manquera donc pas de saluer le travail de sélection pointu des commissaires d’exposition : l’artiste et écrivain Jean-Jacques Lebel (dont les toiles montrées ici, d’ailleurs, se révèlent souvent enthousiasmantes) et l’historien de l’art et conservateur du patrimoine Philippe Alain-Michaud. Car c’est avec un plaisir joueur, curieux, bientôt passionné, qu’on passe ainsi d’une salle à l’autre, guidé par les liens sensibles qui s’instaurent au fur et à mesure de nos déambulations, passant d’un clip de Dylan featuring Allen Ginsberg en pleine discussion à l’arrière-plan (‘Subterranean Homesick Blues’) à des photomontages de William Burroughs, d’un collage de Brion Gysin à un poème de Grégory Corso ou d’un délicieux film psychédélique à des coupures de presse d’époque…

L’ivresse virile de Kerouac, la défonce souveraine, fantomatique de Burroughs, la silhouette voûtée et rigolarde de Ginsberg : bien sûr, les repères des connaisseurs du mouvement littéraire beat sont là. Mais surtout, en mettant en avant l’aspect générationnel et polymorphe de ce mouvement libertaire, sur des plans à la fois culturels, intellectuels, sociaux, esthétiques ou sexuels, l’expo présente des œuvres souvent inédites, méconnues, inattendues : collages dadaïstes de George Herms ou Stuart Perkoff, dessins et films psychédéliques de Bruce Connor (‘Crossroads’, ‘Looking for Mushrooms’…), séries de collages drolatiques de Wallace Berman ou toiles de Julian Beck…

Wallace Berman, 'Untitled (Allen Ginsberg)', années 1960 (détail) / Beat Generation au Centre Pompidou, vue de l'exposition © DR

Sortant ainsi la Beat Generation de son image essentiellement « littéraire », l’exposition du Centre Pompidou a ce mérite, assez fantastique, de dresser un portrait kaléidoscopique de la création libre de l’époque, où les œuvres, quoique souvent jouissives, importent moins que l’impulsion collective, ludique, mystique et ivre qui y préside. En cela, l’expo rejoint certaines des meilleures du Centre Pompidou – on pense notamment à celle, formidable, organisée autour du mouvement Dada, il y a une dizaine d’années.

De New York à Tanger, de Paris à San Francisco, la culture beat aura essaimé son goût de l’improvisation, de l’œuvre libre, de l’expérimentation… Et ses échos jusqu’à nous n’ont manifestement rien perdu de leur puissance de suggestion, de leur force incitative. Voire, à leur contact, il n’est pas impossible d’être subitement pris, sortant de cette exposition, d’une irrépressible envie de se lancer dans un poème politico-érotique, de descendre une bouteille de rouge en filmant un groupe de poètes ivres – comme dans 'Pull My Daisy' de Robert Frank et Alfred Leslie)… Ou de tout simplement foutre le camp à l’autre bout du monde. En caravane ou en stop, qu'importe. Gageons que quelques clochards célestes y trouveront l'inspiration.

Quoi ? • Exposition Beat Generation
Quand ? • Jusqu'au 3 octobre 2016
Où ? • Au Centre Pompidou, Paris 4e

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