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Du ping-pong, des poules, des bobos et des rails : un samedi après-midi au Ground Control

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Evidemment, on ne pouvait s’empêcher de siffloter du David Bowie en arrivant au Ground Control. D’ailleurs, on l’aime tellement, le Bowie, qu’on s’y est rendu à deux journalistes (comme quoi Time Out ne fait pas les choses à moitié), un samedi de canicule vers 14h, en rameutant nos conjoint(e)s respectif(ve)s, nos gamines incubant une varicelle de saison, plus quelques potes de bon aloi.

Un lieu effectivement assez unique...

Nous voilà donc une petite dizaine, âgés d’un an et demi à 36 piges. Il faut dire que l’organisation ne fut pas bien difficile, vu qu’on habite à peu près tous le quartier. Ce bon vieux 18e, « où les pigeons meurent dans le caniveau à force de manger du dégueulis de toxicos », comme le scandait, il y a vingt ans, un versificateur gynécologue ayant plutôt mal tourné depuis… Bref, de quoi faire le point sur cette fameuse et urticante « gentrification » du tiékar dont on nous rebat les oreilles. Venons-en donc au Ground Control.

D’abord, le lieu : une ancienne friche de 2 000 m2, située au bord des rails au 26ter de la rue Ordener – et où la SNCF retapait jadis ses locomotives. Autant dire qu’il y a de l’espace. De l’air. De la profondeur de champ. Ce qui, quand on est habitué aux micro-bars de Paris, fait franchement du bien. Avec, en plus, ce petit côté « Berlin Est » qui génère un peu tout le buzz du lieu – mais quant auquel, n’ayant jamais foutu un pied à Berlin (uniquement fantasmé à travers une chanson de Lou Reed), je vais éviter de la ramener.

Enfin, voilà, le côté post-industriel vintage et désaffecté du lieu a clairement son petit cachet. L’après-midi, des trentenaires y lisent des bouquins sur l’âge d’or de la techno ou sur le cinéma underground, d’autres jouent au ping-pong tandis qu’un type à côté leur propose une tournante en gesticulant (on espère qu’il pense lui aussi au tennis de table), un couple se fait une pétanque entre deux rails – de chemin de fer, comme vous l’aurez compris – tandis que nos deux fillettes font semblant de se laver dans l’une des baignoires posées ici et là (et qui contribuent au côté gentiment WTF de Ground Control), avant de foncer vers un poulailler s’extasier sur des gallinacés qui, de désœuvrement, s’empiffrent.

… mais gros bémol financier (et/ou stomacal)

Du coup, nous-mêmes, on se dit qu’on a un peu la dalle. Pas vous ? Si, hein ! Et puis soif, aussi. Car on avoisine bien les 30 degrés. Et ces parasols omniprésents qui servent de sponsors à une célèbre marque de bière (dont on taira le nom pour éviter de leur faire une pub supplémentaire), ça finit par susciter la pépie. On se dirige donc tranquillement vers les stands bouffe et bar. Et là, autant dire qu’on déchante. Bye bye, Bowie.

Car Ground Control, en fait, ça ne fait plus autant rêver quand on constate que la pinte de binouze est à 7 € et qu’elle reste exclusivement industrielle – alors que la Goutte d’Or jouxtant le lieu brasse une excellente bière artisanale. Quant à la bouteille de rosé qui fait péter les 25 €, elle a beau être bio, on s’en méfie quand même en entendant les commentaires du couple qui fait la queue avec nous et la qualifie de « vieille piquette » (alors qu’on peut trouver, là encore, de fort bons vins bio chez En Vrac, à dix minutes de là dans le prolongement de la rue Ordener). Bref, niveau liquide, ça ne coule pas de source.

Mais alors, question bouffe, là, ça reste carrément en travers de la gorge. Une douzaine d’euros pour une pizza à peine garnie ou un burger tiédasse accompagné de quinoa sans sauce… Euh, mouais, mais uniquement parce qu’on a vraiment faim, alors ! A posteriori, on se met même à regretter la part de focaccia, moins chère (dans les 7 €) et manifestement mieux servie.

Alors oui, mais non. Mais oui, quand même ?

Du coup, même si c’est le week-end et qu’on est posé entre gens de bonne compagnie, on redevient critique. Et l’on se dit que nos gamines ont beau s’éclater dans une voiturette crado comme si elles étaient au manège, ce lieu présente tout de même une grosse contradiction interne. D’un côté (le bon) : la friche, les voies de chemin de fer, les poules et le quartier – en gros, le coin nord de la Goutte d’Or – confèrent évidemment au Ground Control un côté popu-alter-bordélique appréciable.

Mais en même temps, les tarifs, le sponsoring qui commence à sérieusement piquer les yeux, la troupe de vigiles à l’entrée (tout à fait sympathiques au demeurant, même lorsqu’ils vous imposent de laisser votre bouteille d’eau à l’extérieur) : tout cela finit par vous faire penser à une sorte de Disneyland bobo. Pas franchement agressif non plus – on n’est pas à la brasserie Barbès… – mais en sacré décalage par rapport au reste du quartier. Bien sûr, il ne s’agit pas de lancer un faux débat quant à définir si être authentique et faire du fric seraient inconciliables ou non. Seulement, ici, l’authenticité prétendue du lieu paraît surtout servir de prétexte à la consommation… dans un lieu qui se présente, a priori, aux antipodes du consumérisme ! Adieu Berlin Est, quoi.

Heureusement, il vous reste quelques solutions pour pallier ce genre d’agacement. Par exemple, arriver le ventre déjà rempli. Ou alors, boire vraiment très très lentement. Ou encore mieux : planquer votre White Russian dans le biberon de votre fille. Là, les videurs n’y verront que du feu… Il faudra juste prendre garde à ne pas le confondre avec ce second biberon que vous aurez confectionné, véritablement rempli pour sa part de lait en poudre… Et vous voilà ainsi paré à découvrir un lieu aussi beau qu’inédit – et qui résume finalement bien la complexité et les actuelles contradictions d'un 18e hétérogène et en pleine mutation... Mais sans avoir l’impression de vous y retrouver pris au piège !

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