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Florent Ladeyn, chef 99,9 % local et 100% créateur

Écrit par
Zazie Tavitian
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Le jeune Flamand vient de recevoir le prix du créateur Omnivore. Rencontre avec un chef ultra-locavore dont l’engagement politique se fait entendre dans l’assiette.

« Dans mon auberge, tout est local sauf le sel, il n’y a pas de poivre, pas d’épices, pas de d’huile d’olive, pas de chocolat. »

Troisième jour du Festival Omnivore : on retrouve Florent Ladeyn, vers 15h, juste avant son passage sur la grande scène Salé. Grande barbe, catogan sur le haut de la tête et tatouages sur chaque avant-bras (fourchette sur l’un, couteau sur l’autre), d’emblée sympathique même s'il n’a pas beaucoup dormi… « Je sors de deux soirs de beuverie, je suis plus tout jeune moi. » Il faut dire que le cuistot avait de quoi faire la fête, c’est lui qui a reçu cette année le prix « créateur » du festival Omnivore, belle récompense pour ce chef qui n’est pas passé par les grandes maisons et est depuis toujours attaché à son territoire.

Florent, 33 ans, a grandi dans la Flandre française dans le village de Boeschepe où ses parents étaient restaurateurs : « Ils tenaient l’auberge du Vert Mont, c’était une cuisine d’estaminet, où l’on servait la carbonnade flamande, le lapin à la bière : des recettes régionales mais pas forcément avec des produits du coin. »  Bizarrerie pour le chef qui, depuis sept ans, ne sert que des produits ultra-locaux dans cette même auberge « tout est local sauf le sel, il n’y a pas de poivre, pas d’épices, pas d’huile d’olive, pas de chocolat. »

Scène Omnivore
©CasparMiskin

« J’ai commencé petit à petit mais je n’ai pas réussi à m’arrêter, il faut dire qu’on est plutôt du genre têtu en Flandre »

Mais remontons en ces années 2010. A cette période, l’auberge n’est pas rentable : « Mon père travaillait 7 jours sur 7 depuis vingt-cinq ans, mais il ne gagnait pas d’argent. » Florent tout juste sorti d’un bac pro lui demande de lui laisser les rênes du resto un an. Il change la grande carte pour quelques plats frais du jour à l’ardoise (« Je me rappelle de l’œuf poché, émulsion de maroilles, crispy de lard, persil et oignons »), remet les vins à l’honneur.  Un critique du Gault et Millau vient déjeuner et le nomme « jeune talent de l’année. « Ca a été un gros relais dans la presse locale. Beaucoup de gens du coin sont venus manger ici. » En 2013, le passage dans l’émission "Top chef" continue d’asseoir la légitimité du chef et surtout remplit son restaurant. « Ca a été un sacré bordel, on ne s’était pas préparé à ça, c’était assez rock’n’roll, d’un coup notre restaurant a été complet huit mois à l’avance. » Pas trop difficile de tuer le père ? « C’est plutôt lui qui a eu du courage de laisser l’établissement à son fils. A cette époque, j’étais quand même un gros branleur. »

Au fil du temps, Ladeyn va de plus en plus pousser la démarche locavore, il travaille aujourd’hui à 99,9 % avec des producteurs flamands. « Je peux le faire seulement depuis deux ans, il y a une chaîne qui s’est construite dans la région, fragile mais qui fonctionne, avec des jeunes producteurs, des éleveurs, des fromagers, des pêcheurs. A une époque, cela n’aurait pas été possible. J’ai commencé petit à petit mais je n’ai pas réussi à m’arrêter, il faut dire qu’on est plutôt du genre têtu en Flandre. »

 

Flemish goose

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Récemment, le chef a servi au Vert Mont des oies flamandes : « C’est une variété qui était sur le point de disparaître, j’ai trouvé un éleveur, je voulais qu’elles soient nourries sans céréales. » Après sept mois, les douze oies ont été servies à quelques clients chanceux, qui ont pu les déguster en cuisses rôties, rillettes chaudes, chou sauté, beignets de viande…

La cuisine du chef suit aussi bien évidemment le cycle des saisons : « Il faut anticiper, utiliser la fermentation, le séchage, l’hiver peut être long dans les Flandres. » Un des plats qui représente le plus sa région ? « Le Bot’ Je Cleesh » un plat en gelée composé de quatre viandes blanches. Ici, on a une grosse culture locale, on est un territoire identitaire, il y a des carnavals, et on fait toujours des combats de coqs... »

« Je suis économiquement viable, tout est local, mes légumes poussent en biodynamie, j’ai du poisson sauvage, et je paie tout le monde à la fin du mois. A mon échelle, c’est un acte d’engagement. »

A l’heure de l’agriculture intensive, est-ce – aussi – un engament politique de cuisiner en 2017 ? « Aujourd’hui les gens attendent que les choses changent, on attend d’avoir un super président, tout le monde est d’accord pour dire qu’il ne veut pas que ses petits enfants mangent de la merde, que les animaux ou la moitié des herbes disparaissent, mais ne font rien. Moi j’ai décidé d’agir. Je suis économiquement viable, j’emploie seize personnes, tout est local, mes légumes poussent en biodynamie, j’ai du poisson sauvage, et je paie tout le monde à la fin du mois. A mon échelle, c’est un acte d’engagement. »

A Lille, Florent a aussi monté sa cantine flamande le Bloempot avec son meilleur ami Kevin Rolland, il y a deux ans. Son prochain projet ? « Ouvrir un lieu où on pourra manger pour 10 € avec sa bière brassée et des plats à base de légumes, de porc, pas de bœuf, c’est une idiotie écologique. »

Quelques heures après notre rencontre, on retrouve le chef sur la scène d’Omnivore. Il arrive sous un tonnerre d’applaudissements puis cuisine, entre autres, « un navet primeur, moutarde et foie de génisse râpé », « jaune d’œuf en saumur, œufs de poule, salsifi, poutargue ». A la fin de son show,  le chef sort une petit chose jaune et rabougrie sous les acclamations du public : « C’est un citron bio des Flandres : bon c’est clair, on n'est pas prêt d’ouvrir un bar à jus !» C’est tout le mal qu’on lui souhaite...

Ses adresses :
Auberge du Vert Mont, 1318 rue du Mont Noir, 59299 Boeschepe
Le Bloempot, 22 rue des Bouchers, 59800 Lille


 

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