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'La Mort de Louis XIV' d'Albert Serra : Jean-Pierre Léaud, soleil couché

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Dans 'La Mort de Louis XIV' d'Albert Serra, Jean-Pierre Léaud agonise en Roi-Soleil au crépuscule. Et permet surtout au cinéaste catalan de livrer son œuvre la plus picturale. Et radicale.

Un méta-film austère et troublant

'La Mort de Louis XIV' est un quasi-huis clos. Un huis clos sans suspense - impossible de spoiler un film dont le titre lui-même annonce la conclusion -, étouffant comme une agonie, vécue au jour le jour, au fil de bilans de santé de plus en plus sombres. Sur le papier, cela sonne sec. Très sec. Et on ne va pas se mentir, à côté du dernier-né d'Albert Serra, même son précédent film, 'Histoire de ma mort' (inspiré de la vie de Casanova et de la légende de Dracula), prendrait presque des airs ludiques de train-fantôme. 

Pourtant, plusieurs dimensions assez vertigineuses coexistent dans ce chant funèbre. La première, évidemment, c'est celle qu'y apporte l'immense Jean-Pierre Léaud. Roi incontesté de la Nouvelle Vague - chez Truffaut et Godard, évidemment, mais aussi chez Rivette ou Garrel... -, Léaud apparaît ici incroyablement affaibli, le souffle court, la voix fantomatique. Si bien qu'on ne sait plus très bien qui souffre, de l'acteur ou du personnage. Antoine Doinel déguisé en monarque ou bien l'inverse.

Or, le fait que Serra n'ait presque conservé de ses prises que les râles, les moments de souffrance intenses, crée un malaise assez poignant chez le spectateur. De son Jean-Pierre Léaud métamorphosé, diminué, immobile, presque muet, subsiste pourtant une incroyable intensité du regard. Ce regard hallucinant de Léaud, perçant, froid, tour à tour menaçant et rieur. Bien sûr, c'est un rôle. Et ceci n'est qu'un film. N'empêche, on ne peut s'empêcher de voir, derrière le faux biopic monarchiste, une sorte d'oraison funèbre de la Nouvelle Vague. D'autant plus bouleversante qu'elle s'exprime sans une once de pathos.

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Un véritable essai sur la couleur

Outre cette poignante et paradoxale performance d'acteur (d'autant plus glaçante que ses ressources paraissent minimales), 'La Mort de Louis XIV' fait une part étonnamment belle aux seconds rôles, en particulier à l'excellent Patrick d'Assumçao, acteur venu du théâtre, découvert au cinéma en 2013 dans 'L'Inconnu du lac' d'Alain Guiraudie, ici remarquable de subtilité et d'équilibre dans le rôle du médecin Fagon.

Mais surtout, à mesure que les scènes se succèdent et se répètent douloureusement, que la gangrène envahit le corps souffrant du roi, une autre dimension du film se fait peu à peu jour. Celle de la plasticité des couleurs. Et d'un authentique climat d'hypnose en quadrichromie : noir, blanc, rouge et or. 

On savait déjà l'ambition esthétique d'Albert Serra. De la frugalité en noir et blanc du 'Chant des oiseaux' à la luminosité glauque d''Histoire de ma mort', le Catalan a toujours su affirmer sa singularité à travers la puissante picturalité de ses longs métrages. Mais sans doute jamais son cinéma n'était parvenu à ce degré d'incandescence, à ce jeu majestueux et funèbre sur les clairs-obscurs, quelque part entre Goya et Georges de La Tour. 

Chamboulant, fascinant, écrasant, 'La Mort de Louis XIV' est un film inconfortable et claustrophobe, traversé de transperçants moments de grâce, de poésie suspendue. Comme une mort lente et douloureuse du cinéma lui-même. En attendant la résurrection, peut-être ? Après tout, ça ne nous surprendrait pas tant que ça qu'Albert Serra se lance dans une vie de Jésus. De Lazare. Ou, peut-être plutôt, de Judas.

   

 

>>> 'La Mort de Louis XIV' d'Albert Serra, avec Jean-Pierre Léaud (distribution Capricci). En salles à partir du mercredi 2 novembre.

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