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Peut-on manger vegan et prendre du plaisir ? Entretien avec Sébastien Kardinal

Écrit par
Eva Yoro
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Outre sa portée éminemment polémique (et un brin provoc), cette question fait surtout écho à des discours entendus çà et là. Impossible de nier l’amplification du mouvement vegan, notamment à Paris. Les restaurants spécialisés en cuisine végétale se multiplient et les festivals vegan commencent à fleurir dans la capitale. Si ce courant répond à des motivations éthiques et spirituelles, il comprend également une alimentation « stricte », refusant toute exploitation animale (viande, poisson, œufs, produits laitiers, miel, etc.). En dépit du nombre croissant de ses adeptes, le veganisme souffre de nombreux a priori. Oui, on serait bien tenté de réduire la cuisine végétalienne au tofu et au steak de soja mais ce serait passer à côté de l’essentiel. Mais alors, que mangent les vegans et comment parviennent-ils à prendre réellement du plaisir ?  

Pour répondre à nos interrogations, nous avons fait appel à Sébastien Kardinal, cofondateur de VG-Zone, site influent pour les végétaliens et vegans, qu’il chapeaute avec sa compagne, Laura VeganPower, photographe et spécialiste en pâtisseries végétales. Auteur de nombreux ouvrages sur la cuisine végétalienne ('A la française, la tradition façon vegan', 'Ma petite boucherie vegan' ou encore 'Certains l’aiment cru'), cet épicurien s’amuse à égayer la bouffe végétale, notamment en travaillant le simili-carné. C’est dans le très raffiné et cosy café Fragments, à deux pas de Bastille, que Sébastien Kardinal nous a donné rendez-vous. L’occasion d’en savoir un peu plus sur cette cuisine dont on parle tant. Et de se débarrasser aussi de quelques idées reçues…

© Laura Veganpower

Time Out : Bonjour Sébastien, avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous dire depuis combien de temps êtes-vous végétalien ?

Sébastien Kardinal : Je suis devenu végétarien à 14 ans, je vais en avoir 44. Végétalien, ça fait neuf ans. J’avais différents problèmes de santé quand j’étais végétarien parce que j’abusais du fromage et des œufs. J’avais du cholestérol et 18 kilos de plus. Je me suis alors posé des questions sur l’équilibre de mon alimentation puis j’ai commencé à me renseigner sur le végétalisme sur Internet. 

Quelles ont été vos motivations ?

Ado, je ne mangeais pas de viande parce que je n’aimais pas ça. Je n’étais pas dans une démarche militante. La seule fois où j’ai entendu parler de la Veggie Pride, je me suis dit que ça avait l’air chouette. J’ai très vite fait demi-tour quand j’ai vu les punks à chien, les hippies, les rastas qui avaient l’air tous bizarres. J’adore les marginaux, je ne juge pas les gens, c’était juste la concentration, le côté communautariste, toutes les caricatures étaient là, je me suis dit que je n’avais rien à voir avec eux. Une nana maigre au possible avec des dreads qui n’en finissaient pas m’a donné un tract sur l’abolition de la viande et la fermeture des abattoirs. Je ne m’attendais pas à ça, j’imaginais un truc hyper festif, comme la Gay Pride avec des gens fiers d’être veggie, un truc qui donne envie quoi. Au contraire, tout ce qui y était diffusé, c’était sur la culpabilisation, avec des messages du style « viande = meurtre », « pas de sang sur mes mains », « pas dans mon assiette ». Sur le coup, ça m’a choqué. En fait, le simple fait que les gens puissent être végétariens pour la cause animale m’avait paru complètement bizarre.

Le côté éthique est donc venu plus tard ?

Oui. Je suis parti de mon petit monde, très égocentré. Puis, j’ai découvert que le végétarisme et le végétalisme pouvaient être motivés par différentes choses : l'environnement, les animaux, la santé ou la spiritualité. J’ai donc fait une synthèse de tout ça en me disant : « Là, ils ont raison, là ça me parle », sans entrer non plus dans une radicalité. Il y a neuf ans, j’ai rencontré ma compagne qui était végétalienne. J’ai donc commencé à adapter ma cuisine pour elle à la maison. Par contre, à l’extérieur, je mangeais du fromage et des œufs, mais le germe du doute était planté. Progressivement, j’ai perdu l’habitude de consommer des produits d’origine animale à tous les repas, ça me manquait moins, j’ai fini par ne plus y prendre goût. Ce n’était pas par culpabilité, je n’étais juste plus satisfait de ce que je mangeais. 

Pas de viande, pas de poisson, pas d’œufs, pas de lait ni miel… Forcément, la majorité des gens assimile la cuisine végétalienne à quelque chose de relativement triste…

C’est le début de la macrobiotique, dans les années 1970, qui a donné au végétarisme cette idée assez poussiéreuse de repas équilibrés, ascétiques, avec pas trop de gras, peu de sel, pas de ci, pas de ça…  Aujourd’hui, il existe encore une certaine génération qui s'imagine que lorsqu'on est végétarien ou végétalien, on mange de la salade, des légumes vapeur, des céréales bouillies et que ça s’arrête là. 

Différentes tendances affluent en ce moment : la healthy food, le sans gluten, le bio, le crudivorisme... Il y a un vrai marché à saisir, à Paris et dans les autres grandes métropoles. Alors, parmi tous ces courants « à la mode », le véganisme fait l’objet de nombreux amalgames.

Oui, on s’imagine que les vegans mangent forcément sans gluten et que leur alimentation est dite saine, et on a en tête l’idée de la petite Parisienne qui va faire son yoga, boire un green smoothie et qui rentre le soir chez elle se faire une salade de graines germées avec un buddha bowl. Il y a un gros mélange. Derrière le mot « vegan », il y a beaucoup de choses qui se greffent qui vont au-delà du végétalisme qui est simplement une alimentation strictement végétale.

Parlons justement de cette nourriture végétale : elle est finalement peu intégrée dans la cuisine française traditionnelle. 

En effet, le légume y fait plutôt figure de garniture. Il n’est pas là pour être mangé, il est presque là pour donner bonne conscience. Quand on regarde les plats traditionnels français, il y a de l’oignon, de la carotte, de la pomme de terre, du champignon et puis de temps en temps un truc de fou : du haricot blanc, du chou fermenté pour la choucroute ou un navet qui se glisse par là. Mais c’est tellement maigre ! Tout tourne autour de la viande et du poisson. Alors que la France est un véritable grenier. Tout pousse ici, quasiment. Le végétalisme permet de se réapproprier ce monde végétal. Il y a d’autre part beaucoup de légumes qui sont associés aux mauvais souvenirs d’enfance parce qu’ils ont été mal cuisinés à l’époque des cantines scolaires.  Du coup, il y a une exclusion du monde végétal et de certaines denrées et une méconnaissance pour les préparer correctement, alors que le monde végétal offre beaucoup de possibilités, beaucoup plus d’éclectisme qu’une cuisine carnée traditionnelle.

© Laura Veganpower

D’où l’idée de votre livre 'A la française' ? [ouvrage qui compile 40 recettes inspirées de plats traditionnels régionaux revisités façon vegan] 

L’objectif de ce livre était double. Il s’agissait d’une part de casser cette image de cuisine macrobiotique triste et d’autre part, de réconcilier les familles. Le moment du repas, c’est quelque chose d’assez sacré, c’est un moment de convivialité et de partage. Et il y a une vraie fracture sociale qui peut se produire dans certains milieux autour de l’assiette. Je sais qu’il existe une frange de personnes qui ne fréquentent quasiment plus leur famille parce que chaque repas avec elle est un calvaire, parce qu’il n’y a pas d’échange, il y a des piques qui sont envoyées de gauche à droite et finalement, ce sont des moments de stress donc on préfère arrêter. C’est triste.

Quel accueil a reçu votre livre ?

Il y a pas mal de gens qui sont revenus vers moi en me remerciant car leurs parents qui ne voulaient pas entendre parler de cuisine végétalienne font depuis mes recettes pour les recevoir et que tout le monde se régale. J’ai eu plein de témoignages comme ça. Ce que j’avais comme idée était une intention avant tout personnelle. Je n’avais aucune prétention à ce que cela fonctionne. Et si, ça a fonctionné.

On remarque dernièrement une tendance qui séduit de plus en plus les végétaliens : celle de la junk et de la street food, autrement dit une alimentation non saine et non diététique. Selon vous, parler de cuisine végétalienne non saine, est-ce un non-sens ?

Non. Dans tous les cas, la cuisine végétalienne est plus saine. A moins de travailler avec de très très mauvais produits de manière très crasseuse mais à la base, dans l’alimentation végétale, il n’y a pas de produits mauvais pour le corps. Là où les choses peuvent être discutables, ce sont sur les méthodes de cuisson, comme la friture par exemple. Il n’est pas plus négatif de manger des frites en tant que végétaliens qu’en tant qu’omnivores. Un burger frites vegan sera toujours plus sain qu’un burger frites avec de la viande. Après, c’est juste une question d’idéologie personnelle. Les gens qui cherchent à manger de façon saine ne vont pas aller sur ce genre de plats, ou alors de manière anecdotique. Mais ce n’est pas antinomique parce qu’effectivement, si on reprend le terme vegan, l’idée est d’avoir une philosophie de vie qui s’engage à ne pas utiliser de produits qui ont nécessité la mort, la souffrance ou l’exploitation d’animaux. Donc la nourriture « junk » n’est pas moins vegan qu’une nourriture « healthy ».

Comprenez-vous cette envie pour certains végétaliens de se réfugier dans ce que l’on appelle « la comfort food » ?

Oui, il y a un enjeu stratégique, c’est populaire. Le burger frites, c’est transgénérationnel, il touche toutes les couches sociales, hommes comme femmes. Il se mange avec les mains, c’est complet, c’est nourrissant, c’est normalement pas cher. Les burgers, les donuts, les crèmes glacées, les cupcakes, ça fait partie de cette cuisine populaire qui va potentiellement séduire un public jeune qui n’a pas envie de mâcher une carotte crue. C’est séduisant parce que c’est appétissant. C’est beaucoup plus simple de faire baver les gens avec un bon gros burger qui suinte, bien food porn, qu’avec des carottes râpées ou des graines germées. On peut faire une cuisine très élitiste, végétale, très raffinée, hautement gastronomique mais pas populaire. Or aujourd’hui, le végétarisme et a fortiori le veganisme cherchent une légitimité et cherchent à séduire parce qu’il y a urgence. Il y a des centaines de milliers d’animaux qui meurent tous les jours, ce n’est pas anecdotique. Moi, ma démarche, c’est la culture du plaisir qui me semble autant efficace que la culture de la culpabilité, qui est agressive. 

Alors, vous constatez que les choses commencent à bouger ?

Oui, vous savez, il y a un signe qui ne trompe pas, c’est l’attrait actuel de marques de la grande distribution sur le produit végétal. Ca, c’est totalement nouveau. Avant, on avait juste Sojasun. Et là, tout à coup, on a la marque Céréal Bio qui a sorti des produits de simili-carnés (steak, nuggets, escalope viennoise…), Vegan Deli qu’on trouve chez Monoprix. Elles se sont positionnées en termes de marketing dans le rayon viande, c’est là où c’est génial. Les rayons se vident et se remplissent, ça marche ! Pourquoi ? Parce qu’il y a aussi des gens qui viennent pour acheter des nuggets de poulet et qui se disent : « Ah, je vais essayer ça. » Et comme c’est bon, ils en rachètent. Stratégiquement, c’est super intéressant. Herta, le roi de la saucisse, a sorti une gamme qui s’appelle « le bon végétal », avec 10 références (5 végétariennes, 5 végétaliennes). Carrefour a également sorti sa gamme, Carrefour Veggie. Tout ça, en un an ! Moi, je n’ai qu’un rêve, c’est que Charal ne disparaisse pas mais ne fasse que des steaks de seitan, qu’ils arrêtent la viande. Dans un élan darwiniste, pour qu’une entreprise continue à survivre, il faut qu’elle s’adapte à un marché en situation réelle. C’est s’adapter ou mourir. 

Envie de tester des adresses vegan à Paris ? Sébastien Kardinal a partagé ses coups de cœur :

-       Le Tricycle, 51 rue de Paradis, métro Poissonnière (10e)

-       Gentle Gourmet Café, 24 boulevard de la Bastille, métro Bastille (12e)

-       Saveurs Végét’halles, 41 rue des Bourdonnais, métro Les Halles (1er)

-       Brasserie Lola, 99 rue du Théâtre, métro Commerce (15e)

-       Super Vegan, 12 rue Berzélius, métro Brochant (17e)

-       Loving Hut, 92 boulevard Beaumarchais, métro Saint-Sébastien-Froissart (11e)

-       Hank Burger, 55 rue des Archives, métro Rambuteau (3e)

-       Hank Pizza, 18 rue des Gravilliers, métro Arts et Métiers (3e)

-       Las Vegan, 30 boulevard de Bonne Nouvelle, métro Bonne Nouvelle (10e)

-       Oatmeal, 11 bis rue Vauquelin, métro Censier-Daubenton (5e)

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