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‘Sex Doll’ – et cinq (bien meilleurs) films à voir sur la prostitution

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Malgré la présence de la talentueuse Hafsia Herzi, ‘Sex Doll’, le nouveau film de Sylvie Verheyde, ne parvient jamais vraiment à décoller, compilant les clichés sans grande conviction. D’où notre retour sur ce thème récurrent du cinéma, en cinq films nettement plus réussis.

Tout de même : dire de la prostitution qu’elle représente « le plus vieux métier du monde », cela ne revient-il pas à légitimer implicitement la marchandisation de tous les domaines de l’existence, jusqu’aux plus intimes ? Puisqu’au fond, l’expression ne paraît dater que de 1888 – loin des origines de l’humanité, donc – et de la nouvelle de Rudyard Kipling, ‘Sur le mur de la ville’. Soit en plein essor du libéralisme économique hardcore ayant accompagné la révolution industrielle.

Ainsi, son caractère de marchandisation à l’extrême (acheter un corps vivant comme on s’achète une paire de baskets), pourrait bien faire de la prostitution une sorte de théorème sociétal, exprimant de façon radicale les rapports de domination sous-jacents à telle ou telle époque, à travers l’alliance du sexuel et de l’économique. Déjà figure majeure de la littérature fin-de-siècle (notamment en France, chez Balzac, Maupassant ou Baudelaire…), la prostituée a logiquement inspiré l’art du siècle suivant : le cinéma.

‘Sex Doll’ : poupée dégonflée ?

Autant dire qu’on en aura vu à l’écran, des péripatéticiennes, tapineuses, entraîneuses, courtisanes, cocottes, filles de joie, sirènes ou catins. Dans ‘Sex Doll’ de Sylvie Verheyde, Hafsia Herzi en est la variante moderne. Escort de luxe à Londres – archétype de la ville riche et du capitalisme effréné (ce qui reste d’ailleurs relativement sous-exploité dans le film) –, son personnage, Virginie, bosse pour une maquerelle sans état d’âme (Karole Rocher). Jusqu’au jour où elle entame une relation avec un jeune homme ténébreux, Rupert (Ash Stymest), qui, en bon Samaritain version hipster tatoué, tentera de l’aider à se frayer un chemin vers la rédemption.

Or, si Hafsia Herzi rayonne dans ce rôle où on ne l’attendait pas vraiment, le scénario semble un peu se contenter d’enfiler les perles classiques du film de prostitution ; même si, heureusement, celle-ci est ici traitée sans voyeurisme excessif (on n’est quand même pas non plus dans un reportage de Bernard de la Villardière).

      

Hélas, comme dans ‘Jeune et Jolie’ de François Ozon, les clients de Virginie paraissent sans épaisseur, réduits à des rôles de michetons plus ou moins dégueulasses. Non pas que les clients des prostituées ne puissent pas être des types sordides, entendons-nous bien...

Mais quand on voit le niveau d’intimité et de complexité qu’on peut trouver, par exemple, dans la roman graphique ‘23 Prostituées’ de Chester Brown (ed. Cornélius), on se dit que ‘Sex Doll’ porte finalement bien son titre. Et que ladite poupée manque d’air. D’où notre envie de jeter un coup de projecteur sur cinq films ayant réussi à traiter du thème de la prostitution avec moins de clichés – ou davantage de délicatesse.

Top 5 : La prostitution au cinéma

1/ ‘Belle de jour’ (1966) de Luis Buñuel

Certainement la prostituée la plus mythique du cinéma français : Séverine (Catherine Deneuve), jolie bourgeoise, sexuellement insatisfaite, s’ennuie ferme avec son mari. Elle décide donc de se prostituer dans une maison de passes ; d’abord à titre d’expérience, avant d’y prendre étrangement goût.

Deneuve est ici sublime de fausse froideur. Et les clients qu’elle croise (Pierre Clémenti, Michel Piccoli…) paraissent tous surprenants, dandies inquiétants ou apôtres du libertinage. Fort éloigné des réalités de la prostitution (qui apparaît avant tout comme un travail, alors que Séverine espère ici y trouver un plaisir paradoxal), ‘Belle de jour’ n’en est sans doute que plus beau. La prostitution comme image mythique, fantasmée, idéalisée. Surréelle.

   

2/ ‘Vivre sa vie’ (1962) de Jean-Luc Godard

Si la question de la prostitution revient souvent dans les films de Godard, le plus souvent comme symbole de l’exploitation économique la plus violente – par exemple, avec le personnage d’Isabelle Huppert dans ‘Sauve qui peut (la vie)’ – ‘Vivre sa vie’ reste probablement son film le plus fort (et le plus beau) sur ce thème.

Formé de douze « tableaux », le long métrage suit Nana (Anna Karina, innocente et sublime), jeune vendeuse de disques qui, expulsée de son appartement parce qu’il lui manque 2000 francs, sera contrainte de se livrer à la prostitution pour survivre.

Pudique et d’une inventivité narrative incroyable, ‘Vivre sa vie’ livre une vision assez diamétralement opposée à celle que développera ‘Belle de jour’. Où la prostitution n’est rien d’autre qu’un prolétariat du sexe, exploité jusqu’au pire. Mais ici raconté avec une délicatesse poignante.

   

3/ ‘L’Apollonide, souvenirs de la maison close’ (2011) de Bertrand Bonello

Film choral suivant la quotidien d’un luxueux bordel parisien à la fin du XIXe siècle, ‘L’Apollonide’ est sans doute le film qui a fait connaître Bonello au grand public – malgré les succès critiques du ‘Pornographe’ avec Jean-Pierre Léaud en 2001, ou de ‘De la guerre’ avec Mathieu Amalric en 2008.

Huis-clos satiné où alternent érotisme, omniprésence du risque et brusques explosions de violence, le film bénéficie d’un casting impeccable, côté prostituées (Hafsia Herzi, déjà, aux côtés de Céline Sallette, Adèle Haenel, Alice Barnole ou Esther Garrel) comme côté clients (Xavier Beauvois ou Jacques Nolot). Surtout, Bonello réussit à instaurer ici une atmosphère capiteuse, opiacée, et une temporalité singulière, toute en échos et spirales.

    

4/ ‘Guilty of Romance’ (2011) de Sion Sono

Voici un film japonais baroque, poétique, troublant, trash, parfois hilarant. Pour faire court, disons qu’il commence en métamorphosant ‘Madame Bovary’ en polar crado, se poursuit à la manière de ‘Belle de jour’ (encore lui !), pour finir comme un récit détraqué de Georges Bataille. Rien que ça.

Le film s’organise essentiellement autour de deux arcs narratifs. Le premier est celui d'un film noir et pluvieux, où une commissaire de police, Kazuko (Miki Mizuno), tente d'identifier le cadavre d'une jeune femme retrouvée morte, sauvagement découpée dans un « love hotel » du quartier de Shibuya, à Tokyo.

En parallèle et en flash-back, le film suit les expérimentations sexuelles d’Izumi (Megumi Kagurazaka), innocente femme au foyer qui, peu à peu, va laisser son désir l'entraîner vers la pornographie, puis la prostitution de luxe, notamment sous l'impulsion de Mitsuko (Makoto Togashi), une prof de littérature perverse qui lui enseigne le sexe comme un langage, dont le dérèglement constituerait selon elle une forme ultime de poésie vécue.

Une œuvre excessive, par l’un des plus grands poètes du cinéma nippon contemporain, Sion Sono – hélas encore trop méconnu sous nos latitudes (même s’il reste l’un des invités récurrents de l’Etrange Festival au Forum des images).

   

5/ ‘Atlas’ (2014) d’Antoine d’Agata

« Le processus d'érosion des discours esthétiques et des langages documentaires figés rend nécessaire l'invention de formes hybrides ou inédites qui renouvellent ainsi notre perception du réel. » C'est en effet un objet hybride que nous propose Antoine d'Agata. Documentaire construit comme un journal intime, film enchaînant des plans fixes qui se déploient au ralenti, images silencieuses soulignées par des voix-off extraites d'entretiens réalisés avec prostituées, 'Atlas' trace un sillon exigeant et original.

Si l'immobilité de la caméra rappelle que d'Agata est avant tout photographe, la lenteur des plans et les voix lancinantes de ces prostituées qui racontent leurs existences dévastées donnent une dimension supplémentaire à ces images. Dur, dérangeant, 'Atlas' dégage tout de même une incroyable beauté.

La magnificence de certains plans, le jeu des couleurs, le travail des lumières et la langueur du montage troublent nos sens. On finit par avoir l'impression de vivre un rêve primitif et délicat, une lente agonie narcotique, où plus rien d'autre n'existe que des corps qui tentent de trouver le réconfort comme ils peuvent.

   

     

A voir aussi : 'La Rue de la honte' de Kenzi Mizoguchi, 'Irma la Douce' de Billy Wilder, 'Taxi Driver' de Martin Scorsese, 'Paradis : Amour' d'Ulrich Seidl, 'Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles' de Chantal Akerman, 'Like someone in love' d'Abbas Kiarostami, 'Leaving Las Vegas' de Mike Figgis, 'Much Loved' de Nabil Ayouch, 'La Porte du Paradis' de Michael Cimino...

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