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Espæce
© Christophe Raynaud de Lage

Avignon In : Espæce

A partir d'’Espèces d'espaces’ de Georges Perec, Aurélien Bory imagine un univers sombre peuplé d'hommes qui tentent de s'en échapper. En vain.

Écrit par
Anaïs Heluin
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Quoi ? • 'Espæce' d'Aurélien Bory 
Où ? • Opéra Grand Avignon, Avignon 
Quand ? • Du 15 au 23 juillet à 18h

Note : **

Genre : Cirque 

Les 17 et 18 novembre 2016 à la Maison des Arts de Créteil

Face à un mur gris, austère, cinq hommes et femmes se prêtent à une activité a priori peu théâtrale : ils lisent. A la recherche d'une direction peut-être. D'un échappatoire. Mais le livre que Aurélien Bory leur a mis dans les mains n'est pas de ceux qui donnent des réponses. ‘Espèces d'espaces’ (1974) de Georges Perec bouscule les certitudes les plus ancrées. Celles qui touchent à notre manière d'habiter. De percevoir les rues qu'on emprunte chaque jour. Ainsi, pour poursuivre l'interrogation de l'espace scénique qu'il mène depuis une quinzaine d'années avec des pièces aux dispositifs souvent spectaculaires, le metteur en scène tente de mettre en pratique le mode d'emploi donné par Perec afin de « glacer le temps, figer l'histoire en quelque sorte en instantanés ». Résultat : un univers anxiogène, au sein duquel des interprètes issus de disciplines différentes (danse, cirque, chant lyrique, théâtre) se débattent.

Face au mur

Aussi impressionnante que le plan incliné de ‘Plan B’ (2003), le premier spectacle d'Aurélien Bory, ou que la cage tissée de fils de ‘Plexus’ (2012) avec la danseuse Kaori Ito, la scénographie de ‘Espæce’ impose à Guilhem Benoit, Mathieu Desseigne Ravel, Katell Le Brenn, Claire Lefilliâtre et Olivier Martin-Salvan courses et contorsions. Mais aussi danse et chants. Articulé, avec deux issues de secours, le mur contre lequel ils s'appuient d'abord ne cesse de se dérober et de les chasser. Il les force au mouvement. « Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner », écrivent-ils d'ailleurs en début de spectacle, en formant les lettres grâce aux livres qu'ils tiennent entre les mains. Extraite de l'essai de Perec, cette citation résume avec clarté les déplacements incessants des interprètes. Leurs fuites. 

On peine toutefois à voir ce qu'il y a de propre à Georges Perec dans cette succession de petits exodes. Aurélien Bory met en scène la même humanité traquée que dans bon nombre de ses autres spectacles. Il décline son travail autour de la contrainte spatiale et des stratégies d'adaptation humaines sans parvenir à porter sur scène la question de l'ordinaire, centrale dans ‘Espèces d'espaces’. En l'absence de texte autre que la citation liminaire, rien ne nous invite en effet à interpréter les parois mouvantes d''Espæce’ comme l'expression d'une résistance du corps ou du langage à la description de paysages urbains ordinaires.

Une pièce labyrinthique sans porte de sortie 

Aurélien Bory ne rejette pourtant pas toute forme narrative. Entre deux moments de courses acrobatiques et dansées, quelques tableaux évoquent la biographie de Perec. Dans le – sublime, au demeurant – chant en allemand entonné par Olivier-Martin Salvan par exemple, on entend la mort de la mère de Perec à Auschwitz. Ce qui peut expliquer l'atmosphère apocalyptique de la pièce, mais qui brouille le lien entre espace et écriture que le metteur en scène avait pour projet d'explorer. Passionné par son sujet, Aurélien Bory a sans doute voulu trop en dire. Ce qui produit l'effet inverse. De sa forme riche et labyrinthique, on ne retient au final qu'une métaphore un peu trop explicite de nos sociétés contemporaines. De l'absence d'issues possibles. Même la dérision semble promise au désespoir. L'art aussi, hélas.

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