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  1. Place des héros
    © Christophe Raynaud de Lage
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    © Christophe Raynaud de Lage

Avignon In : Place des héros

Krystian Lupa a illuminé un festival d'Avignon en demi-teinte, avant de venir à Paris pour le festival d'Automne

Écrit par
Anaïs Heluin
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Quoi ? • 'Place des héros' de Krystian Lupa 
Où ? •  L'Autre scène - Vedène 
Quand ? • Du 18 au 24 juillet à 15h 

Note : *****
Genre : Théâtre 

L'été dernier déjà, le metteur en scène polonais Krystian Lupa faisait avec ‘Des arbres à abattre’ de Thomas Bernhard un pied de nez au théâtre faussement subversif qui dominait la 69e édition du festival d'Avignon. Il récidive cette année avec ‘Place des héros’ – « Heldenplatz », de son titre original – du même auteur, au sein d'un festival qu'Olivier Py a souhaité placer sous le signe de la révolte. Et qui, à quelques exceptions près – la fable politique 'Tristesses' de Anne-Cécile Vandalem, surtout –, fut beaucoup plus lisse que prévu. La pièce de Bernhard a beau se dérouler à Vienne en 1989, année de sa création au Burgtheater, la scène nationale, le metteur en scène polonais parvient à en montrer toute l'actualité. Chose d'autant plus difficile qu'elle fut écrite en réponse à l'anathème jeté sur l'auteur par le gouvernement autrichien de l'époque. Donc dans un contexte à la fois précis et lointain pour le public français.

Il était une fois Thomas Bernhardt 

Il faut dire que depuis une dizaine d'années, Krystian Lupa ne monte plus que du Thomas Bernhardt. « Ingeborg Bachmann a dit que Bernhard ne représentait pas un nouveau style littéraire mais une nouvelle façon de penser », dit-il dans la feuille de salle. Plus précisément, il aurait « établi de nouveaux critères du mensonge et de la vérité (…), dévoilé une nouvelle architecture intérieure de l'individu et cela d'une façon risquée et subjective ». Architecture postdramatique, mise à mal par la guerre. Par Auschwitz, décidément très présent dans la 70e édition du festival d'Avignon (voir notre critique d'‘Espæce’  d'Aurélien Bory). Dans ‘Place des héros’ comme dans plusieurs pièces du dramaturge autrichien, cette psychologie souffrante et morcelée se déploie à partir d'un suicide. Celui du professeur Josef Schuster, retourné dans son pays natal après un long exil à Oxford afin d'échapper à l'occupation nazie.

Après la complexe et spectaculaire structure mobile utilisée dans ‘Des arbres à abattre’, Krystian Lupa opte pour un dispositif simple : une salle encastrée dans le plateau, ouverte sur la salle, qui accueille deux décors différents. La maison pleine de cartons du professeur, et le parc situé devant le Burgtheater. Installés lors des deux entractes qui fragmentent la représentation, ces décors de type naturaliste sont subtilement mis en doute, voire tournés en dérision, par l'exhibition de leur artificialité. Les personnages aussi par conséquent, condamnés à commenter le geste du professeur. Son intelligence et son courage. Avec sa discrète mise en abîme et l'extrême lenteur de ses dialogues, Krystian Lupa place avant tout le drame dans la parole. Dans le nihilisme qui la traverse, faisant de ceux qui la manient des personnages quasi beckettiens. Absurdes jusque dans leur manière d'exprimer les réalités les plus banales.

En lituanien sur-titré

Interprétés par onze excellents comédiens litunaniens du Lithuanian National Drama Theater inconnus en France, le frère du professeur, la gouvernante Zittel et les autres disent sans détours leur dégoût pour l'Autriche. Ils se répètent, s'enlisent dans l'ennui plus encore que dans la colère. Sans pour autant manquer d'humour. Dans le rôle du frère surtout, Valentinas Masalskis manie l'ironie avec une légèreté d'autant plus remarquable que le moindre de ses mouvements est empreint d'une infinie gravité. Derrière ses longs monologues comme dans les dialogues de la pièce, le souvenir d'un jour funeste : le 12 mars 1938, où Hitler proclame l'Anschluss sur la place des Héros à Vienne. Une date importante dans la montée du fascisme, qui n'est hélas pas sans faire écho au présent.

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