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Slimka ne sera jamais comme les autres. Plus de dix ans après son arrivée dans le circuit, le rappeur genevois revient avec Le Grand Mystico, un deuxième album où il immerge l’auditeur dans un cirque dystopique. On l’a rencontré pour comprendre la genèse de ce disque en forme de manifeste artistique à l’esthétique (son look avec ses pics punks, la pochette, les clips) aussi léchée que le pouce d’un malfrat comptant ses liasses. Préparez-vous, ça pique à balles réelles.
Ça fait plus de dix ans que tu sors des projets. Celui-ci est un peu différent et nous plonge dans un cirque dystopique. Pourquoi le cirque ?
J’allais beaucoup dans les cirques quand j’étais petit. C’est un univers et des personnages – surtout le cirque du début du XXe siècle – qui m’ont marqué. J’aime les freaks aux physiques difformes, qui font d’une différence une vraie force. Ce sont des gens qu’on a voulu mettre à l’écart pour au final payer pour les voir.
Comment est né ce concept de Grand Mystico ?
Je trouve que mon personnage, mon flow ou mon arrivée dans le game ont quelque chose de mystique. Le Grand Mystico, c’est moi, mais à un moment de ma carrière où je réussis à mettre plus de mots sur ce que je défends artistiquement.
L’aspect visuel a une place prépondérante dans le disque (look, pochette, clip). Quelles sont les références de cette esthétique ?
Si je devais citer des gens, je dirais Michael Jackson, 50 Cent ou Beyoncé, dont la tournée avec la fanfare m’a beaucoup marqué. Ensuite, quand je me lance dans un projet, j’ai toujours plein d’idées, de DA et de références, et je suis aussi très bien entouré, avec un bon graphiste et un bon styliste qui ont réussi à saisir et pousser l’univers dans lequel je voulais aller. Avec le cirque, j’avais aussi envie de sortir du digital pour retourner sur quelque chose de très humain.
Et les pics, ils viennent d’où ?
De mon inspi ! Je sais que plein de gens brandissent des références de pubs ou de mangas, mais ils n’ont pas la base : l’énergie punk !
Tu as écouté du punk ?
Oui, ça ne m’a pas marqué musicalement, mais beaucoup plus en termes de visuel et d’énergie !
Le côté cirque, on le retrouve beaucoup dans les prods, dans l’aspect grandiloquent, avec plein de synthés. Est-ce qu’inventer un monde parallèle t’a permis de tester de nouvelles manières de produire et de nouveaux flows ?
Clairement ! Ça a été un travail de fond et d’échange en studio avec Mr. Lacroix, qui est fou de synthés. Il a capté où je voulais aller en amenant l’univers du cirque avec parcimonie.
Sur cet album, tu t’es entouré de gens avec qui tu as l’habitude de bosser (Varnish la Piscine, Makala…) mais aussi de nouveaux comme Deen Burbigo, Enchantée Julia ou Rounhaa. Qu’est-ce que tu leur as dit pour les faire entrer dans le concept ?
Ça a été très simple, je leur ai fait écouter la musique et ils ont kiffé. Je savais aussi vers qui je me tournais : ce sont toutes et tous des artistes avec une pensée et un geste artistique qui ont été stimulés par ce nouvel univers. Enchantée Julia, c’est une chanteuse qui, au-delà du son, a une vision, et c’est ça que je recherchais. Deen Burbigo, quand tu vois ce qu’il entreprend, c’est bien plus qu’un rappeur. Ils et elles ont tous leur identité. Forcément, ça a marché ; et c’est ce que je voulais au fond : choquer les gens par le son et les feats.
On sent l’envie de provoquer le choc.
J’ai surtout compris quelque chose : ça fait longtemps qu’on sort des sons en Suisse, qu’on propose des choses qui, en toute humilité, auraient pu/dû avoir une certaine notoriété. On a analysé : le souci n’est pas la musique, c’est la manière de l’amener. Les gens ne réagissent qu’à des choses qui les choquent. J’ai fait mes pics et ça a fait parler. J’ai donc décidé d’aller à fond dans mon délire musical, sans demi-mesure. Soit t’aimes, soit t’aimes pas, mais au moins, ça te procure une émotion. Ne pas aimer est une émotion et l’émotion est la clé !
Qu’est-ce que vous avez de différent ou de plus en Suisse ? Comment qualifierais-tu votre rapport à la France ?
Première chose : je n’en serais pas là sans la France, c’est là-bas que j’ai le plus de fans. Mais le truc, c’est que tu as beau essayer d’être proactif, de faire des tournées, d’être sur le terrain un maximum, de passer du temps à Paris, c’est compliqué médiatiquement de tout péter depuis la Suisse. On n’est pas supérieurs mais on est sans doute plus libres, sans trop d’exemples à suivre dans le rap à part quelques grands et des Américains. Mais je pense que ce sont les derniers sons pour lesquels on va avoir ce genre de discours. On sent qu’un palier a été franchi.
Sur l’album, tu célèbres ta mère sur le morceau « T-shirt » et plus loin, tu parles de tes parents et de leur flow. Quelle est leur influence sur le Grand Mystico ?
Mes parents étaient actifs dans la culture hip-hop de Genève, mon père a toujours été libre, tant dans ses propositions que vestimentairement parlant ; ma mère pareil, elle avait un magasin de perles. J’ai toujours créé, elle m’emmenait aux US, je revenais avec de nouvelles sapes, ce qui fait que j’ai toujours baigné dans un univers artistique.
Depuis toujours, mais sur cet album encore, tu glorifies ton authenticité artistique en dehors des codes, en même temps que tu tacles le mou. Quel regard portes-tu sur la scène rap en général ?
Quand je parle de « tous les mêmes », c’est vraiment le mainstream. Dans la nouvelle génération, il y a des choses fabuleuses avec des artistes qui testent plein de choses. Des artistes qui se prennent la tête pour faire des sons et des visuels de fou. Et la niche prend de plus en plus de puissance. Par contre, les artistes mainstream qui font les mêmes sons depuis des années, tu sens qu’on commence à leur demander gentiment de se mettre sur le côté. Les gens ont besoin de nouveauté.
Deux petites questions pour finir. La première : quelle serait la devise du Grand Mystico ?
Liberté radicale !
Enfin, il paraît que les Suisses sont les meilleurs en concert : à quoi peut-on s’attendre au Trabendo le 29 février ?
Ce n’est pas il paraît ! Au Trabendo, ça va être un show de rap très travaillé, avec des lumières et une vraie scénographie. Faut s’attendre à un spectacle avec un entracte pour essayer de pousser le délire un peu plus loin. On se doit de dépasser le simple show parce qu’il n’y a pas de barrière dans la musique et dans l’art en général. Que les gens se disent « Putain je suis allé à un concert, j’ai payé 25 balles mais j’aurais voulu payer 60 € » ! C’est ça qu’on va faire !
Slimka, Le Grand Mystico (Auguri Labels/Colors Records)
En concert le jeudi 29 février 2024 au Trabendo. Billetterie ici.