Aurore Guez : « On a mis l’art à la poubelle ! »
© Aurore Guez
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Aurore Guez : « On a mis l’art à la poubelle ! »

Autodidacte surgie en plein Covid, Aurore Guez bouscule le monde de l’art avec ses visages tordus, ses couleurs saturées et son projet « Bring Attention To Art », une chasse à la peinture grandeur nature dans Paris.

Marine Delcambre
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Aurore Guez est arrivée dans le monde de l’art sans prévenir, comme un bug dans le système. En plein Covid, cette Parisienne s’est mise à peindre pour évacuer, sans plan de carrière ni discours appris. Résultat : des visages non genrés aux traits volontairement tordus, des personnages sortis tout droit de son cerveau, et une colorimétrie saturée qui accroche le regard et brouille les certitudes.

Au début, ses toiles vivaient sur Instagram – logique, c’était là qu’on exposait quand les musées étaient fermés. Mais rapidement, Aurore Guez a eu envie de sortir du cadre. Littéralement. Alors elle a collé ses créations dans la rue, pour interroger l’élitisme des galeries et rendre l’art à celles et ceux qui passent. Dernièrement, elle a poussé le trait en imaginant Bring Attention To Art, une “chasse à l’art immersive” dans Paris. L’artiste cache ses toiles, balance des indices, et invite les curieux à les retrouver. Un projet mi-manifeste, mi-jeu de piste, pour redonner à la peinture un rôle central dans la culture urbaine. 

Premier rendez-vous : le 21 octobre à 20 h, près du Grand Rex. L’idée ? “Ramasser l’art” ensemble. “On a mis l’art à la poubelle”, lâche-t-elle. “Souvent, j’ai l’impression qu’on s’en fout un peu de la peinture. C’est devenu un truc décoratif, poli, inoffensif. Un objet de salon réservé à celleux qui savent.” Et d’ajouter : “Pour moi, l’art, c’est pas un mur bien décoré ni un placement financier. C’est censé déranger, susciter quelque chose. Donner envie.” Peindre pour provoquer. Cacher pour mieux révéler. Avant de partir planquer ses toiles, Aurore Guez a pris le temps de répondre à nos questions.

Aurore Guez : « On a mis l’art à la poubelle ! »
© Aurore Guez

« On a mis l’art à la poubelle. » C’est une phrase très forte. À quel moment avez-vous ressenti ce basculement, cette impression que la peinture ne comptait plus ?

Aurore Guez : « En allant dans des expositions de peinture : je suis souvent la seule jeune de mon âge, ou alors nous sommes très peu. Pour moi, il y a plusieurs formes d’art — la mode, la musique, la photo… Mais j’ai l’impression que la peinture a perdu sa “coolness”. Pas de show, pas de tapis rouge, pas de buzz autour de cet art-là. Sur Instagram, on la consomme comme quelque chose de sacré, presque intouchable. Mais dans la vraie vie, on ne la croise plus. Elle a disparu du quotidien. »

Vous parlez de « peinture devenue un objet poli, sans vie, réservé à celleux qui savent ». Est-ce une critique du marché de l’art, du public, ou d’un certain entre-soi culturel ?

A.G. : « Je crois qu’on a tous participé à ce polissage. Aujourd’hui, la peinture appartient aux musées. On s’est mis à parler un langage que plus personne ne comprend. Moi-même, au début, je suis allée voir les galeries : j’y ai découvert un monde très fermé, presque hermétique. L’art, dans ce système, est devenu victime de ses propres codes. »

Vous cachez vos œuvres : c’est une performance, un jeu, une exposition à ciel ouvert ?

A.G. : « Avec les réseaux, les abonnés peuvent devenir des chiffres dans la tête des créateurs. Mais derrière, il y a des humains, des gens curieux qu’il faut réinviter à vivre l’art. C’est comme ça que l’idée m’est venue. Je voulais rendre mon art accessible. Depuis petite, j’ai toujours été celle qui invente les jeux. Alors j’en ai créé un grandeur nature : il faut trouver la toile cachée, venir sur place, et jouer pour la gagner. C’est une chasse au trésor immersive, à la frontière entre performance et art participatif. Je suis performeuse, créatrice d’univers et peintre— c’est ma manière d’habiter le monde. »

Aurore Guez : « On a mis l’art à la poubelle ! »
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Cacher vos toiles, c’est un acte de résistance ? Les gens qui les trouvent deviennent collectionneurs malgré eux ?

A.G. : « Les toiles ne sont pas toujours dans la rue — parfois elles se glissent dans des lieux du quotidien. Mais oui, c’est clairement un acte de résistance. On résiste à cette idée que, pour accéder à l’art, il faut connaître quelqu’un ou “comprendre quelque chose”. On entend souvent : “J’y connais rien à l’art.” Ici, il n’y a rien à connaître, juste à vivre.  Avec ce concept, n’importe qui peut devenir collectionneur. Parce que mes toiles, je ne les vends pas — je les fais vivre, et parfois, je les fais gagner. »

Vous voulez « donner accès à l’art ». Le problème de l’art contemporain selon vous, c’est d’abord un problème d’accès ?

A.G. : « Oui. Les musées se vident, les artistes ne se parlent qu’entre eux, et la peinture a été oubliée du public. Je veux la désacraliser. Aujourd’hui, la peinture est devenue un accessoire — on la voit sur des vêtements, dans des décors de défilés… Elle est secondaire.
Moi, je veux qu’elle redevienne la source. Que d’autres arts — la musique, la mode, la scénographie — puissent naître de la peinture, et pas l’inverse. »

Vous souhaitez recréer un lien direct entre l’œuvre et le public, sans cadre institutionnel. Peut-on vraiment se passer des galeries et musées ?

A.G. : « Je respecte profondément le travail des galeries et des musées, on est tous dans le même camp. Je les fréquente d'ailleurs moi même très souvent, pour m'inspirer. Mais je refuse qu’ils soient le seul endroit où l’art peut exister. Ce que je cherche, c’est ouvrir d’autres portes d’entrée, d’autres chemins vers l’émotion. »

Aurore Guez : « On a mis l’art à la poubelle ! »
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Un artiste ou un mouvement qui vous a inspirée ?

« Banksy. Pour moi, il a ouvert la voie. Avec Dismaland, il a prouvé qu’on pouvait rendre l’art performatif, vivant, social. J’ai envie de continuer dans cette lignée — moi aussi, j’ai des choses à dire à travers ce médium-là. »

Votre indépendance, c’est un choix ou une nécessité ?

A.G. : « On ne m’a pas proposé de cadre, alors j’ai décidé de créer le mien. C’est difficile, parce qu’il faut inventer une nouvelle voie, mais c’est aussi ça qui est excitant. »

Vous écrivez : « Quatre fois par an, on assiste à la Fashion Week. Les yeux sont rivés sur les podiums, les looks, les shows. Personne ne dit : “Tu vas à la foire d’art ce week-end ?” ». Qu’est-ce qu’il faudrait pour que les gens (re)parlent de peinture comme d’un concert ou d’un défilé ?

A.G. : « Qu’on réapprenne à vivre la peinture comme une intention première. Pour moi, l’art est une expérience, pas un monument. J’ai besoin de vivre les choses pour m’en souvenir — alors c’est ce que je propose aux autres. Je préfère qu’on vive ma toile pendant quelques minutes, plutôt qu’on l’accroche et qu’on l’oublie. »

Et la suite ?

A.G. : « Le 21 octobre, on prépare un Bring Attention to Art encore plus vivant, plus participatif, dans un lieu exceptionnel — un vrai berceau de l’art vivant. Et ce n’est que le début. On a déjà quelques coups d’avance… Considérez cet article comme un indice. »

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