Montage Time Out
Montage Time Out

75 œuvres d'art incontournables à Paris

Que ce soit dans les collections permanentes ou directement sur l’asphalte, découvrez 75 œuvres incontournables à voir à tout moment à Paris.

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On ne compte plus les expositions que tout Paris a vues, que tout le monde a vues, qu'il faut avoir vu. Des mises en lumière qui occultent les autres trésors que renferment les musées parisiens, notamment au sein de leurs collections permanentes, et les œuvres publiques que l’on découvre au fil des rues. 

Time Out a voulu se pencher sur ces œuvres fidèles au poste, qui s'exposent du matin au soir au Louvre, à Orsay, au Centre Pompidou ou au Quai Branly (même si elles sont parfois prêtées ou en restauration), mais aussi dans des lieux moins connus. Nous avons donc dressé une liste qui évite les pièces à la célébrité écrasante pour se balader vers l'inattendu, l'improbable, l'oublié. 

L’idée était claire : faire (re)découvrir des œuvres qui se distinguent par leur composition, leur beauté, leur étrangeté ou le contexte dans lequel elles sont nées. 75 œuvres qui participent chacune à leur manière à la richesse artistique de Paris

Côté balades architecturales

Pour celles et ceux qui ont envie d'un bol d'art frais à l'air libre, découvrez nos visites architecturales : moderne, orientale ou au cœur de la Cité Universitaire.

1. Musée de l'Orangerie • Les Nymphéas (Claude Monet, 1914-1926)

Près de cent mètres de peinture. Cent mètres d'eaux perlées, étalés le long des murs. Cent mètres de tons bleutés, verts et violets, parfois épicés de touches de rose et de jaune, qui épousent les parois ovales de L'Orangerie. Ce n'est pas pour rien que Les Nymphéas figurent sur les itinéraires de la plupart des tour operators, faisant parfois de ce musée des Tuileries un enfer de fréquentation touristique. Fruit de douze années de travail, les huit panneaux de Monet ne cessent de fasciner par leur dimension, leur beauté presque abstraite et l'impression d'infini qu'ils dégagent. L'artiste aurait voulu y créer l'« illusion d'un tout sans fin, d'une onde sans horizon et sans rivage ». Il y condense aussi toutes les recherches visuelles d'une carrière placée sous le signe de l'impressionnisme et atteint, avec elles, une apothéose tardive.

C'est dans son jardin à Giverny que Monet puise l'inspiration de ces paysages aquatiques, étendues d'eaux saupoudrées de nénuphars sur lesquelles se reflètent nuages et saules pleureurs. Pendant une trentaine d'années, il plante son chevalet parmi les arbres de sa propriété, couchant les oscillations de la nature sur plus de 200 toiles. Celles de L'Orangerie, sans doute les plus abouties, représentent le bassin d'eau à différentes heures de la journée, du petit matin jusqu'au coucher du soleil. Si elles sont accrochées dans le musée dès 1927 (Monet les ayant offertes à l'Etat au lendemain de l'Armistice de 1918), il faudra attendre la rénovation des lieux (2006) pour que Les Nymphéas baignent dans l'épure qui les entoure aujourd'hui.

2. The Frame, Frida Kahlo • Centre Pompidou

Comme quoi, il n’y a pas que la taille qui compte ! D'à peine 30 centimètres de haut, cet autoportrait de Frida Kahlo est devenu l’un des plus célèbres de la peintre mexicaine. Inspirée de l’iconographie catholique, la composition renvoie également aux origines de l’artiste par ses couleurs vives et la présence d’oiseaux, un motif traditionnel du folklore mexicain. Peint directement sur une fine lame d’aluminium, ce petit ex-voto des temps modernes a été inséré dans un cadre acheté par Kahlo quelques heures avant dans un marché du village de Juquila, ce qui lui a inspiré le titre. Un peu comme pour Basquiat, peu d'œuvres de Frida Kahlo sont visibles en dehors du Mexique. Première toile d'un artiste mexicain du XXe siècle achetée par un musée international majeur (le Louvre, en 1939), The Frame est également la seule œuvre de l’artiste visible toute l’année sur le sol français. Et c’est désormais au Centre Pompidou que l’on peut l’admirer ! 

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3. The Kitchen V, Carrying the Milk, Marina Abramovic • Fondation Louis Vuitton

Marina Abramovic, c’est un peu la tante mystique du monde de l’art. Dans son œuvre Carrying the Milk (issue du cycle The Kitchen rendant hommage à la vie de sainte Thérèse d’Avila), l’artiste serbe se met en scène dans la peau d’une mère adoptive aux allures de marâtre, tenant un pot de lait rempli à ras bord gouttant lentement sur ses mains. Filmé dans la cuisine abandonnée de l’université Laboral de Gijón, le court-métrage rend hommage à l’histoire du lieu, construit à l’origine pour accueillir des orphelins (privés du lait de leur mère), et fait référence à la vie de l’artiste, élevée par une grand-mère aussi froide que pieuse. Résultat ? Une sainte Abramovic aussi angoissante que fascinante pour 12 minutes de silence oppressant et de tremblements.

4. Antonia, Modigliani • Musée de l’Orangerie

Qui est cette Antonia, dont le prénom est affiché en haut à gauche de la toile ? Mystère ! Parmi les nombreux portraits réalisés par le peintre maudit, celui-ci a un truc en plus : Antonia est représentée de manière frontale, les bras croisés, un peu comme une Joconde des temps modernes. Assise devant une fenêtre, elle apparaît pensive, presque absente, ses yeux verts semblant à la fois fixer intensément le spectateur et déconnectés, comme dans une sorte d’introspection. Héritier du cubisme, Modigliani livre ici un portrait aux contours géométriques et à la perspective trompeuse : les courbes du visage rond, du cou cylindrique et des yeux en amande contrastent avec la ligne double du nez, tandis que le dessin différent des oreilles suggère une représentation à la fois de face et de profil. Du grand art.

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5. Atelier Brancusi • Princesse X (Constantin Brancusi, 1915-1916)

Non, vous ne venez pas d'atterrir dans un sex shop de luxe, à deux pas du Marais. Et madame, cette créature onctueuse coulée dans du bronze poli n'est pas un godemiché, mais une princesse. Alors évidemment, tout le monde n'est pas franchement de cet avis : en 1916, la morphologie phallique de cette sculpture de Constantin Brancusi lui vaut d'être exclue du Salon d'Antin puis, en 1920, du Salon des indépendants (avant d'y être réintroduite grâce à une pétition signée par une flopée d'amis artistes). Il faut dire que cette Princesse X, née en pleine ère dada, joue rondement sur le double-sens et l'ambiguïté (bien que Brancusi ait prétendu le contraire) : figure féminine épurée à l'extrême – et dont ne subsistent que les courbes d'un buste et d'un visage, les détails d'une main et la suggestion d'une crinière de cheveux –, elle évoque aussi le corps viril et androgyne d'une femme devenue sexe masculin. Condensé de vanité, d'érotisme et d'« éternel féminin », ce bijou luisant qui flirte avec l'abstraction a été légué à l'Etat par le sculpteur en 1957 et réside aujourd'hui dans l'atelier reconstitué de Brancusi, esplanade Beaubourg.

6. Grillo, Jean-Michel Basquiat • Fondation Louis Vuitton

Disséminées parmi une multitude de collections privées, les œuvres de Jean-Michel Basquiat ne sont montrées au public que lors de rares expos temporaires. Heureusement, les Parisiens peuvent compter sur la Fondation Louis Vuitton pour admirer son Grillo, un ensemble mixte sur quatre panneaux de bois réunissant tous les marqueurs de l’art de Basquiat : une couronne à trois pointes, des fragments de textes, des fétiches sortis des mythes haïtiens, du collage, de la peinture, du graffiti. Le nom de la toile évoque le griot, le conteur, rôle que Basquiat a incarné tout au long de sa carrière, créant des ponts entre Caraïbes et Etats-Unis ou art de rue et galeries huppées.

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7. The Welcoming Hands, Louise Bourgeois • Tuileries

Les flâneurs des Tuileries connaissent bien ces mains. Signé Louise Bourgeois, The Welcoming Hands est un ensemble de cinq sculptures en bronze représentant des paumes et des bras entrelacés réalisé en 1996. Modelées d’après les mains de l’artiste – à l’exception de celle d’enfant –, elles sont installées à deux doigts du Jeu de Paume. L’œuvre évoque la propre expérience d’immigration de l’artiste vers les Etats-Unis, elle qui a quitté la France en 1938 pour épouser l’historien d’art américain Robert Goldwater. Acquise en 2000 par l’Etat, l'œuvre reposant sur des socles en granit est un symbole d’accueil et de bienveillance dont on a clairement besoin aujourd’hui. 

8. Les Deux Plateaux, Daniel Buren • Jardin du Palais-Royal

Aussi appelée entre nous “les colonnes de Buren”, les Deux Plateaux squatte la cour du Palais-Royal depuis 1985. Composée de 260 cylindres rayés en noir et blanc, l’installation de Daniel Buren et Patrick Bouchain (en marbre de Carrare et marbre des Pyrénées) joue sur les hauteurs et les effets d’optique, tout en renvoyant à la statuaire antique et à l’architecture classique. Si, aujourd’hui, les 3 000 mètres carrés investis par Buren (choisi par François Mitterrand) sont le spot de shooting favori de tous les influenceurs en ville, leur relooking version art contemporain n’a pas toujours fait l’unanimité. A l’époque, beaucoup s'offusquent de l’installation et les colonnes de Buren sont comparées à un « saccage du Palais-Royal » dans celles du Figaro. Avec les années, la polémique faiblit et s’éteint en 1994, quand Les Deux Plateaux est classée aux monuments historiques, comme le jardin du Palais-Royal – depuis 1920, lui.

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9. Musée d'Orsay • Le Déjeuner sur l'herbe (Edouard Manet, 1863)

Voilà une œuvre qui a bouleversé le monde de l'art, jusque-là encore engoncé dans l'académisme. Présenté au Salon des Refusés de 1863, Le Déjeuner sur l'herbe provoque le scandale, tant pour son propos que pour sa facture. Avec cette scène champêtre, Manet fait un pied de nez aux goûts de son époque (dominée par un érotisme pompier) et réussit à choquer avec la chose la plus banale qui soit en peinture : un nu féminin. Car son nu à lui, Manet le place entre deux hommes en costume contemporain, ôtant du même coup toute possibilité d'interprétation allégorique ou mythologique. Le regard insistant que la femme porte sur le spectateur, impudique et frondeur, ne laisse pas de place au doute : on parle ici de sexe. Et si l'on rechignait encore, le panier de fruits renversé suggère bien que l'on n'a pas consommé que des cerises pendant ce pique-nique à l'ombre des arbres.

A la fois paysage, scène quotidienne et nature morte, Le Déjeuner sur l'herbe, inspiré par Titien et Raphaël, insiste pour s'inscrire dans la continuité d'une longue tradition. Mais il détourne aussi les codes avec beaucoup d'ironie. Rien que les dimensions de la toile (208 x 264,5 cm) seront reprochées à Manet : habituellement réservé à des sujets historiques, ce format est ici appliqué à une situation quotidienne, qui plus est à la morale douteuse. Quant à la peinture en elle-même, elle ne cesse de jouer sur la dissonance : le paysage, juste esquissé, sans profondeur, ressemble à un décor artificiel. Les dégradés sont délaissés au profit de contrastes marqués entre ombre et lumière qui donnent l'impression que les personnages, cadrés de travers, ne sont pas bien intégrés dans la composition. L'harmonie si prisée par l'académisme est brutalement mise à mal, certains voyant même dans cet étrange déjeuner une préfiguration du montage ou du collage.

Manet signe donc une œuvre provocante en forme de manifeste, qui sera maintes fois citée, copiée et parodiée (par Monet, Picasso, Alain Jacquet, John Seward Johnson, Yue Minjun ou le groupe Bow Wow Wow entre autres). Sans doute le premier tableau moderne.

10. La Fée électricité, Raoul Dufy • MAM

Contacté pour décorer le mur courbe du hall du Palais de la Lumière et de l’Électricité à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937, Raoul Dufy imagine cette composition de 600 mètres carrés retraçant l’histoire de l’électricité, entre mythologie et technologie, où l’éclair de Zeus côtoie des centrales électriques. Tel un Jardin des délices, le tableau regorge de détails et allégories que l’on découvre visite après visite au musée d’Art moderne, où il est exposé depuis 1964. Difficile d’imaginer que cet assemblage monumental composé de 250 panneaux en contreplaqué a été réalisé en seulement dix mois ! L’œuvre de Dufy est également une prouesse technique puisqu’elle a été réalisée avec un médium très particulier mis au point par le chimiste Jacques Maroger conférant à la peinture les mêmes propriétés de transparence que l’aquarelle. 

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11. Musée Rodin • Le Penseur (Auguste Rodin, 1904)

C'est un peu le superman de la sculpture : un esprit fort dans un corps d'athlète, qui semble porter sur ses épaules tous les maux et les doutes de ce monde. Réalisé pour les Portes de l'Enfer (le célèbre monument imaginé par Rodin en hommage à la Divine Comédie de Dante), Le Penseur s'appelle d'abord Le Poète : il représente initialement l'écrivain italien, contemplant son œuvre depuis le fronton du grand portail en bronze. Ce n'est qu'en 1888 que la sculpture est exposée de manière indépendante, avant d'être agrandie en 1904. Monumental, et très apprécié du public, le nu aux muscles saillants devient alors l'une des œuvres les plus iconiques de l'artiste – séparé de Dante et de son Enfer, il bascule désormais dans l'anonymat et l'allégorie pour incarner une sorte de métaphore du questionnement existentiel. Recourbé sur lui-même, comme un grand point d'interrogation dressé face au destin de l'homme, ce Penseur en bronze planté au cœur des jardins du musée Rodin évoque le versant classique et lyrique d'un sculpteur partagé, au sommet de sa carrière, entre la rigueur académique et des formes plus évasives, inspirées du « non finito » de Michel-Ange.

12. Les Restes II, Annette Messager • MAC VAL

Œuvre phare du corpus éclectique d’Annette Messager, Les Restes II parodie la tradition du portrait de famille en la mixant avec dérision à celle des trophées de chasse, opposant le bonheur domestique à ce symbole de virilité. Son installation est constituée de peluches en acrylique (grande passion de l’artiste) représentant les membres d’une famille (père, mère, enfants). Des peluches que l’artiste a éventrées, écartelées, scalpées, pour se retrouver avec des bouts de patte, des morceaux de jambe ou d’oreille, tout ça punaisé au mur comme, dit-elle, des ex-voto – ou des animaux empaillés suivant son filtre. Exposée au MAC VAL, cette composition finalement très macabre est présentée dans le cadre du parcours Nevermore, une balade dans les œuvres emblématiques de la collection du musée évoquant le souvenir, la mémoire, l’introspection et la nostalgie.

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13. Marche de soutien à la campagne sur le sida, Chéri Samba • Centre Pompidou

Superstar de la peinture originaire de Kinshasa, Chéri Samba séduit très rapidement la France, où il est l’une des révélations de l’exposition Magiciens de la Terre du Centre Pompidou en 1989. Pas étonnant donc que ce même musée ait fait l’acquisition de quelques-unes de ses œuvres figuratives, célèbres pour leur vraie fausse naïveté, leurs couleurs éclatantes et leurs textes politiques rédigés à même la toile. En 1988, l’artiste transpose sur châssis une manifestation en faveur de la campagne contre le sida dans une démarche pédagogique assumée. On peut y lire “Le sida est encore non guérissable évitable”, ou encore, plus sujet à débat, “Pour nos rapports sexuels, Chéri Samba nous conseille à changer chaque fois la capote après deux minutes de coït de façon que celle-ci ne puisse pas se déchirer dans la chose”. Bon, au moins, l’intention y était.

14. Kristen McMenamy 3, London, Juergen Teller • Palais Galliera

Connu pour son goût pour le trash, le photographe Juergen Teller se plaît à déglamouriser les top models dans la mouvance héroïne-chic popularisée par Kate Moss au début des années 1990. C’est dans ce contexte qu’il réalise le portrait du mannequin Kristen McMenamy, nue, clope au bec et cicatrice sur le ventre, publié dans le Süddeutsche Zeitung en 1996 et qui a bien évidemment fait scandale. Une photo nue, sans édition, pour vendre des vêtements, quelle idée ! Pourtant, même si le modèle est dans le plus simple appareil, la composition intègre tout de même une marque, et par extension le domaine du luxe, en inscrivant Versace sur la poitrine de Kristen (entouré d’un cœur maladroitement dessiné au rouge à lèvres) et en ornant son cou de bijoux hors de prix. Un tournant pour la photographie de mode qui a compris qu’il ne s’agissait pas uniquement de vendre des fringues, mais bien une attitude et un style de vie. 

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15. Others, Maurizio Cattelan • Bourse de Commerce

C’est l’une des œuvres emblématique de la Bourse de Commerce. Installée sur la balustrade intérieure du troisième étage du bâtiment, Other est le cauchemar des ornithophobes (ceux qui ont peur des oiseaux). Postée sous la coupole, une armée de pigeons ultra-réalistes interpellent les visiteurs. S’il n’est pas rare de les croiser dans les rues de Paname, on ne s’attend pas à les voir dans un musée, et surtout pas à la très chic fondation de François-Henri Pinault. Créée pour la Biennale de Venise en 1997, cette installation, d’abord intitulée Tourists, faisait une analogie entre ces hordes de pigeons qui défèquent sur les piazzas vénitiennes et les amateurs d’art abîmant les monuments et œuvres qu’ils sont venus visiter par milliers. Un petit taquet pour le monde de l’art que Maurizio Cattelan passe son temps à troller.

16. La Fuite en Egypte, Sandro Botticelli • Musée Jacquemart-André

Réalisé par le maître italien Sandro Botticelli, ce tableau de 1510 représente la Sainte Famille et son âne pendant la Fuite en Égypte, un épisode des Évangiles largement représenté dans l’iconographie de la Renaissance. Mais à cause du cadrage serré choisi par Botticelli, cette toile représente en fait une Vierge à l’Enfant déguisée. L’occasion de se pencher sur les représentations du petit Jésus de la Renaissance, source de fous rires inépuisable, dont Botticelli est l’un des plus grands représentants. Corps trop musclés, visages d’adulte désabusés, proportions aléatoires… Pourquoi les artistes du Quattrocento n’arrivent-ils pas à peindre les bambins de façon réaliste (et mignonne) ? À la fin du Moyen Âge, hormis les scènes de Nativité, les peintres n’avaient pas à représenter d’enfants puisque, jusqu’ici, le Christ n’apparaissait que sous sa forme adulte. La faute à un manque d'entraînement, donc ? Pas seulement. La légende dit que Jésus étant un homme dans un corps de nouveau-né, les peintres tentent de traduire cette double nature dans des portraits hybrides. On comprend mieux. 

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17. Portrait de Sarah Bernhardt, Georges Clairin • Petit Palais

Elle fut la première star internationale parmi les comédiens. Présenté au Salon de 1876, le Portrait de Mlle Sarah Bernhardt, sociétaire de la Comédie-Française de Georges Clairin attire toute la haute société qui se pâme devant la beauté de l’actrice en robe de satin blanc, accompagnée de son fidèle toutou Hamlet. D’une nonchalance captivante, Sarah Bernhardt semble avoir été saisie sur le vif par le peintre avec un rendu quasi photographique. Outre sa beauté indéniable, la toile – l’une des préférées de la comédienne – marque aussi un tournant dans l’histoire de l’art avec son esthétique Art nouveau, ses lignes, ses courbes et son goût pour une féminité exacerbée. Léguée par Maurice, fils de Sarah, en 1923 au musée du Petit Palais, l’œuvre continue aujourd’hui de célébrer le mythe de l’actrice la plus célèbre de son temps pour laquelle Jean Cocteau a inventé l’expression “monstre sacré”. 

18. Le Grand Camée de France • BNF

Provenant du trésor de la Sainte Chapelle, le Grand Camée de France (Ier siècle ap. J.-C.) devient l’un des bijoux du Cabinet des médailles de la BNF en 1791. Haut de 31 centimètres et large de près de 27 centimètres, il est le plus grand camée que l’Antiquité nous ait légué. Le but de ce médaillon XXL ? Assurer la continuité et la légitimité de la dynastie des Julio-Claudiens au travers d’une technicité sans pareille, d’un traitement inégalable de la sardonyx (la pierre polychrome) et d’un ensemble de 24 figures représentant les grands noms de la famille (Auguste le fondateur, Germanicus à dos de Pégase ou encore l’autocrate Caligula…) et des barbares capturés. Ben oui, fallait pas les emmerder, les Julio-Claudiens ! 

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19. Centre Pompidou • SE 71, l'arbre (Yves Klein, 1962)

Yves Klein disait de la monochromie que c'était la « seule manière physique de peindre permettant d'atteindre à l'absolu spirituel ». Le monde, il aurait voulu l'enduire de bleu. Du bleu Yves Klein, ce fameux « IKB » (International Klein Blue) électrique et profond, dont il fait enregistrer la formule chimique à l'Institut national de la propriété industrielle en 1960. Un bleu intense qui, lorsqu'on le voit « en vrai », semble aspirer le regard, provoquant chez l'observateur quelque chose de sensoriel, de déstabilisant, de magnétique.

C'est au début des années 1950 que « le peintre de l'immatériel » se met à réaliser des quantités de grandes toiles monochromes : les monoblue, monopink et monogold s'entassent dans son atelier comme autant de manières, dira-t-il, de « transmuer dans l'objet, dans la forme, dans le son ou dans l'image, en la façonnant, cette âme universelle colore ». Etalés sur la toile à l'éponge, les pigments s'expriment à l'état pur. L'artiste n'est là que pour sublimer la couleur en la prélevant, comme une évidence.

Un jour, Klein remarque la beauté de son outil de travail : imprégnée de bleu jusqu'à la moelle, l'éponge s'abandonne aux pigments comme il aimerait que l'univers s'imbibe tout entier de son IKB. L'artiste décide immédiatement d'en faire la matière première d'une série de « reliefs éponges » et de « sculptures éponges ». Avec leurs ondulations, leurs granulations et leurs crevasses aux faux airs de cratères, ces œuvres évoquent quelque chose d'organique : tantôt proches du végétal, tantôt de la roche ou du corail. Sculpture la plus monumentale qu'Yves Klein ait réalisée de son vivant, L'Arbre du Centre Pompidou est l'une des dernières œuvres qu'il réalise avant de décéder des suites d'un souffle au cœur, en 1962, à l'âge de 34 ans.

20. Le Serment du Jeu de Paume, Jacques-Louis David • Musée Carnavalet

Ceux qui ont été un peu peu attentifs en cours d’histoire au lycée connaissent déjà cette œuvre. Signé Jacques-Louis David (et non pas Jean-Louis, plutôt branché cheveux), le Serment du Jeu de Paume couche sur toile l’un des moments clés de 1789, la réunion des députés de la Nation jurant de ne pas se séparer avant d’avoir donné naissance à une Constitution. Alors qu’on célèbre le premier anniversaire du serment en 1790, la Société des amis de la Constitution propose au déjà très célèbre David d’illustrer ce moment historique. Le projet est colossal : un tableau de 10 x 6 mètres, un budget de 72 000 livres et 3 000 souscripteurs. Alors grand nom du néoclassicisme, David refuse l’allégorie mythologique pour cette toile, tenant à célébrer la nouvelle Nation française pour ce qu’elle est (en un poil plus épique, honnêtement). Malheureusement, l’état de la politique française est encore instable et suite à de nombreux bouleversements et aux difficultés de financement du tableau, l'œuvre reste inachevée, laissant tout de même au musée Carnavalet l’une des plus belles ébauches de l’histoire de l’art. 

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21. Musée d'Orsay • Les Raboteurs de parquet (Gustave Caillebotte, 1875)

Lorsqu'il hérite de la fortune de son industriel de père, Gustave Caillebotte peut enfin se consacrer à sa passion : la peinture. Il peint, donc, mais devient aussi le mécène de ses amis Degas ou Renoir, et finance des expositions impressionnistes. Si bien qu'à l'époque, il est davantage reconnu en tant que collectionneur qu'en tant qu'artiste. Ce n'est que dans les années 1970, en France mais aussi aux Etats-Unis, que ses toiles seront enfin considérées à leur juste valeur, et en premier lieu ces Raboteurs de parquet.

D'un « sujet vulgaire », l'une des premières représentations du prolétariat urbain, Gustave Caillebotte tire un tableau insolite, d'une grande modernité, qui fut comparé aux blanchisseuses de Degas ou aux glaneuses de Millet (leur ancêtre rural, en quelque sorte). La composition, au cadrage déséquilibré et à contre-jour de surcroît, propose une perspective très inhabituelle. Caillebotte semble s'être inspiré de la photographie, ce qui ajoute encore au côté documentaire de ces hommes œuvrant à la rénovation d'un sol haussmannien. Le jeu des ombres et des reflets, le travail sur la luminosité et le rendu des mouvements des travailleurs en font un tableau atypique, marqué à la fois par l'art antique (dans le rendu des torses nus), le réalisme d'un Courbet et l'impressionnisme.

22. Jeune fille tenant une couronne de laurier, Rosalba Carriera • Louvre

Il n’y avait pas beaucoup de femmes peintres respectées au XVIIIe siècle mais la Vénitienne Rosalba Carriera s’est fait une place grâce à son usage exceptionnel du pastel qui devient, dans ses mains, une véritable baguette magique. Un portrait de Louis XV au pastel lui ouvre les portes de l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris en 1720, jusqu’alors peu encline à accueillir des femmes. Indéniable, son talent s’exprime dans ce portrait de jeune fille aux doux accents mythologiques (la couronne de laurier renvoyant à Apollon) et ringardise le classicisme français pour imposer un nouveau style : le rococo. 

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23. Bouquet of Tulips, Jeff Koons • Jardin des Champs-Élysées

En hommage aux victimes des attentats de novembre 2015, le plasticien américain Jeff Koons décide, en 2016, de faire un cadeau à la capitale : un bouquet de tulipes colorées de 12 mètres de haut. Un geste accepté avec plaisir par la maire de Paris Anne Hidalgo, mais trois ans plus tard, son installation, prévue devant le Palais de Tokyo puis délocalisée près du Petit Palais, a beaucoup moins fait sourire les Parisiens, nombreux à souligner l’opportunisme et le manque de tact de l’artiste. Pour beaucoup, le fait qu’il impose sa monumentale offrande dans le paysage public (en même temps que l’ouverture de la FIAC, drôle de coïncidence) relève plus de l’ego trip que de l’acte désintéressé. L’allure même de l'œuvre embête, avec son format démesuré, les tulipes sont comparées à des anus et la main tenant le bouquet est qualifiée de “moignon”, rappelant les séquelles de certains survivants des attentats. Si les Parisiens ont fini par tolérer le présent, ce sont aujourd’hui les pigeons qui se vengent.

24. Rythme n°1, Robert Delaunay • MAM

C’est probablement l'œuvre la plus emblématique du musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Réalisée à l’occasion de l’exposition du groupe des Réalités nouvelles à la galerie Charpentier en 1939 (considéré comme le premier salon d’art abstrait), cette œuvre “orphiste” – comme la définit Apollinaire – s’appuie sur les courbes et les contre-courbes pour créer du mouvement, un peu à la manière de ces vidéos avec effets d’optique qu’on voit défiler sur Instagram. Delaunay utilise également les théories des couleurs pour appuyer cette sensation hypnotique, alignant les couleurs complémentaires et dissonantes (rouge/vert, rouge/bleu) pour augmenter cette impression de tourbillon qui s’active par le simple regard. Cédée à la Ville de Paris à la suite de l’exposition, cette série est l’aboutissement du travail de peintre et de théoricien de Robert Delaunay, qui sera malheureusement interrompu par sa disparition en 1941. 

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25. Inside the Horizon, Ólafur Eliasson • Fondation Louis Vuitton

Connue pour ses expos mirobolantes, la Fondation Louis Vuitton s'appuie aussi sur une petite collection permanente avec notamment l'œuvre Inside the Horizon, une commande faite à l’artiste islando-danois Ólafur Eliasson. Cette grande promenade de miroitements dorés (43 colonnes de verre) s’intègre à la perfection dans l’ouvrage de Frank Gehry, sublimant le bassin sur lequel elle prend place en jouant avec l’eau mouvante et l’architecture remarquable du bâtiment du bois de Boulogne, entre une partie lumineuse représentant la conscience et une partie sombre qui incarne notre subconscient. Entre les deux, une connexion sous la forme du signe infini. Complètement intégrée au reste du musée, la pièce s’efface discrètement dans le vaisseau de verre, sans qu’on oublie jamais sa présence. 

26. Le Jardin d'hiver, Jean Dubuffet • Centre Pompidou

Il n’y a pas beaucoup d’œuvres dans lesquelles on peut entrer et s’asseoir. C’est le cas de cette installation conceptualisée entre 1969 et 1970 par Dubuffet. Après avoir franchi une petite série de marches, le spectateur se retrouve en immersion totale dans le monde bichromatique de l’artiste français, père de l’art brut. Né de sa passion pour l’époxy et le polyuréthane, ce “jardin” – qui s’apparente plus à une grotte – alterne noir et blanc dans un ensemble sinueux et irrégulier. Plutôt que de lisser le sol et les murs, l’artiste, devenu ici architecte, souligne les erreurs, s’en amuse à l’aide des tracés sombres et nous propose, au lieu de simplement contempler l’ensemble, d’y vivre une expérience méditative. Un premier pas dans l’univers en 3D de Dubuffet avant de filer à la Closerie Falbala, la version XXL de ce jardin d’hiver à Périgny-sur-Yerres (94).

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27. Centre Pompidou • Sylvia von Harden (Otto Dix, 1926)

En choisissant de peindre le portrait d'une femme émancipée qui picole et fume seule à une terrasse de café, le monocle vissé à l'œil, Otto Dix se penche sur la nouvelle société de l'entre-deux-guerres au cœur d'un Berlin moderne où il passe deux ans, entre 1925 et 1927. Le peintre allemand raconte les intellectuels comme il raconte, dans ses tableaux les plus corrosifs, les gueules cassées de 14-18 : sans fard, sans magnifier la réalité, mais en esquissant des figures ambiguës, charismatiques dans leur laideur. De même, ses compositions sont toujours troublées par des détails qui viennent ironiquement briser leur harmonie : ici, le bas défait jure avec l'apparente assurance de la journaliste, comme sa robe jure avec le mobilier art déco qui l'entoure. Avec sa peau grisâtre, ses doigts arachnéens, son corps osseux et son allure masculine, Sylvia Von Harden est devenue, sous le pinceau d'Otto Dix, l'un des visages qui résume le mieux la Nouvelle Objectivité.

28. Composition aux deux perroquets, Fernand Léger • Centre Pompidou

“J’ai horreur des peintures discrètes”, disait Fernand Léger. C’est sûrement pour ça que son tableau Composition aux deux perroquets fait 400 x 480 cm, un format plus proche de la fresque murale. Trônant à l’entrée du niveau 5 du Centre Pompidou, la toile est l’un des chefs-d'œuvre de l’art moderne et cristallise à elle seule les inspirations des artistes des années 1930. Fasciné par l’architecture et proche de Le Corbusier, Léger met en scène des éléments brutalistes autour desquels gravitent quatre acrobates sculpturaux et des formes vaporeuses. Enfin, deux perroquets discrets apportent à l’ensemble une touche d’humour et de décalage, renvoyant à l’amour du peintre pour le bestiaire rigolo de son aîné naïf, le Douanier Rousseau.

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29. Le trône de Dagobert • BNF

C’est la star du trésor de Saint-Denis ! Le trône de Dagobert Ier, roi des Francs de 629 à 639, est exhumé par le fameux abbé de Saint-Denis, Suger, grand amateur de bling et de reliques. Le siège est restauré vers 1130 dans le cadre de la reconstruction de l’abbaye qui bénéficie ainsi de la notoriété du roi des Francs, fondateur de l’abbaye). Cependant, rien n’atteste que l’arrière-arrière-petit-fils de Clovis ait un jour posé son royal derrière sur le trône en bronze, d’autant que le siège présente des décorations carolingiennes datant de 200 ans après son règne. Peu importe pour Napoléon, qui a validé le mythe en utilisant ce fauteuil pliable pour distribuer les premières Légions d'honneur au camp de Boulogne en 1804. 

30. Le Triptyque de Noirmoutier, Agnès Varda • Fondation Cartier

Qui de mieux pour représenter le 7e art dans ce top que la réalisatrice Agnès Varda ? Conservée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, son Triptyque de Noirmoutier est un ensemble de trois courts-métrages datant de 2004-2005 présentés simultanément sur trois écrans en bois repliables. Au centre, une scène intimiste entre trois personnages se déroule dans une cuisine. Cinéaste mais surtout artiste, Varda implique le spectateur dans l’expérience et lui propose d’ouvrir les panneaux latéraux du dispositif pour découvrir ce qu’il se passe hors-champ. Avec cette installation, il s’agit de dépasser le dispositif du spectacle d’images spécifique au cinéma au profit d’une œuvre totale, qui a tout à fait sa place au musée. 

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31. Le Centaure mourant, Antoine Bourdelle • Musée Bourdelle

Niché dans le jardin intérieur du magnifique musée Bourdelle, le Centaure mourant (1914) d’Antoine Bourdelle est la transposition en relief de sa fresque La Mort du Centaure. Alors que la créature mi-homme mi-cheval est habituellement associée à la barbarie et au chaos, Bourdelle préfère l’imaginer en créature sage et spirituelle, à la manière de Chiron le pédagogue à qui des héros tels qu’Achille, Hercule ou les Dioscures doivent leur éducation. Ici représenté dans une position évoquant plus la sensualité que la mort imminente, le centaure en bronze culminant à presque 3 mètres de haut est accompagné d’une lyre, en référence à Apollon, qui doit son goût pour la musique et la poésie à… Chiron, encore lui ! La légende dit qu’il s’agit d’un autoportrait de l’artiste en bête. Une œuvre reliée au tout à l’ego donc.

32. Centre Pompidou • Fontaine (Marcel Duchamp, 1917)

Inutile d'en tartiner des caisses sur l'urinoir – pardon, la Fontaine signée R. Mutt – de Marcel Duchamp : depuis le milieu du XXe siècle, la majeure partie de l'art contemporain s'échine à courir après ! Souvent péniblement d'ailleurs ; c'est même tout le problème. Car en s'affranchissant de l'ensemble des conventions et valeurs admises jusqu'à lui, l'ex-Dada pince-sans-rire a réussi à plonger le milieu de l'art dans une aporie que ses multiples – et paresseux – suiveurs (Hirst, Koons et leurs comparses) ne sont pas près de résoudre. Encore faudrait-il qu'ils en aient envie...

A sa décharge, le peintre du Nu descendant un escalier n'imaginait probablement pas qu'on parlerait encore de ses géniales potacheries plus d'un siècle plus tard. Provocation, geste pré-punk ou ironique os à ronger lancé à la critique, beaucoup d'encre aura tout de même coulé sur (dans ?) cette inévitable pissotière, inscrite désormais dans l'histoire, à tort ou à raison, comme l'estocade fatale à une certaine idée de la modernité. Pourtant, réduisant à néant la doxa artistique et ses aspirations au sublime comme au laid, Duchamp prétendait simplement rechercher, à travers ses ready-made, un état d'indifférence tranquille, une distance je-m'en-foutiste, qui aura pesé à sa suite comme un ricanement sur toute velléité expressive ou sensible.

Bref, Duchamp aura effectivement détruit l'art à la papa avec son intelligence dévastatrice, son sourire de vieux maître zen et son œil de gosse insolent. Incontournable, il a le charme d'avoir été le premier à envoyer au diable toute transcendance ou critère de goût, comme toute autorité en matière d'art ; ce pour quoi on ne saurait que lui être reconnaissant. D'autant qu'il reste immanquablement l'un des artistes (au moins français) les plus cool du siècle dernier, qui aura donné au XXe siècle sa Joconde. Sur laquelle il nous invite à uriner, même.

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33. Petit Palais • Trois baigneuses (Paul Cézanne, 1879-1882)

Des baigneurs et des baigneuses, Cézanne en a peint des tas. On estime à plus de 200 tableaux et dessins le nombre d'œuvres qu'il a consacrées aux corps nus de barbotteurs, égarés dans des paysages verdoyants. Parmi elles, cette toile tape dans l'œil de Matisse en 1899 : après l'avoir achetée chez le collectionneur réunionnais Ambroise Vollard puis jalousement conservée chez lui pendant près de quarante ans, le peintre fauve en fait don au Petit Palais en 1936. Il dit en admirer la composition « très dense », tout en diagonales fuyantes. Cette construction mouvementée, qui inscrit la chair des trois femmes dans une sorte d'osmose primitive avec le paysage alentour. La blonde, la rousse et la brune se trouvent ici comme noyées dans des empâtements de peinture, à l'ombre d'arbres voûtés qui délimitent le tableau. En surgit une harmonie poétique, une plénitude qui relève davantage de l'allégorie que de la scène de genre. Toujours à l'affût d'une peinture de la sensation, formée d'un tissage inédit de formes et de lignes de perspective, Cézanne, avec ses Trois baigneuses, fait entrer l'air frais. Ca sent déjà le fauve, et comme un avant-goût de cubisme.

34. Musée du Louvre • Tête d'idole (Kéros, 2700-2300 av. J.-C.)

Nez triangulaire. Marbre poli à outrance. Formes géométriques simplifiées à l'extrême. Un portrait signé Brancusi ? C'est à s'y méprendre – mais non, raté. Malgré son épure et ses traits stylisés, cette statue aux airs de création d'art moderne nous vient en fait de la Grèce antique. Conçue entre 2700 et 2300 avant Jésus Christ, elle surplombait à l'origine un corps de femme de près d'1m50 de haut et revêtait sans doute des touches de peinture indiquant ses yeux et sa bouche. Aujourd'hui, seules les légères saillies des oreilles et du nez, subtilement taillées dans la pierre, énoncent la structure du visage. Parfaitement conservée, cette tête issue de l'île de Kéros reste l'un des témoignages les plus probants des idoles qui fleurissaient alors dans l'archipel des Cyclades.

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35. Musée Gustave Moreau • L'Apparition (Gustave Moreau, 1876)

Dans cette sélection d'œuvres majeures à contempler au détour des rues et des musées parisiens, il nous était difficile de passer à côté des peintures de Gustave Moreau. D'abord parce que cet artiste du XIXe siècle est incontestablement l'un des grands maîtres du symbolisme et que son œuvre, créée à contre-courant de toute forme d'académisme, offre à qui veut bien l'observer un dépaysement étrange, poétique et fascinant.

Ensuite parce que l'homme a vécu à Paris et qu'à la fin de sa vie il a choisi de léguer son atelier et la totalité de ses œuvres à l'Etat français, en formulant le souhait de voir celui-ci transformé en musée. « Séparées, disait-il, [mes compositions] périssent ; prises ensemble, elles donnent un peu l'idée de ce que j'étais comme artiste et du milieu dans lequel je me plaisais à rêver. » Belle envie. Aujourd'hui encore au numéro 14 de la rue de la Rochefoucauld, on peut donc visiter le pavillon du peintre, trois étages superbes qui abritent ses trésors. Aux murs, une multitude de toiles sont exposées. Lyriques et sensuelles, puisant dans les mythes, les voyages ou la littérature la force de leur troublant pouvoir d'évocation, elles hypnotisent leurs visiteurs. André Breton lui-même succomba à cet immense et incroyable enchevêtrement : « La découverte du musée Gustave Moreau, quand j'avais 16 ans, a conditionné pour toujours ma façon d'aimer (...) Je rêvais d'y entrer la nuit (...). Surprendre ainsi La Fée aux griffons dans l'ombre, canter les intersignes qui volettent des Prétendants à L'Apparition. »

Et le poète a toujours raison. Jonché de ces innombrables tableaux, le musée lui-même s'apparente à une œuvre d'art, magnétique et foisonnante. Mais l'exercice l'ordonne. Il a donc fallu faire un choix parmi toute cette matière artistique. Et après avoir longtemps hésité entre Jupiter et SéméléLes ArgonautesLes Prétendants ou Le Triomphe d'Alexandre Legrand, c'est finalement L'Apparition qui emporta nos faveurs. Moins connue que sa toile jumelle exposée au musée d'Orsay, elle n'en est pas moins fascinante. Gustave Moreau y reprend un passage de la bible, le mythe de Salomé et de la tête de saint Jean-Baptiste. A côté des innombrables peintres qui ont mis cette fable en lumière au fil des siècles, Gustave Moreau passe pour l'enfant terrible, le gamin lunaire qui réinvente les histoires et déplace les codes.

Cette tête qui flotte au milieu de la scène, frappée de stupeur et de pitié, ces personnages qui s'effacent au second plan, dessinés sur la peinture, presque tatoués sur la toile. Et cette Salomé qui dans un seul geste danse, envoûte, regrette, ordonne et condamne. Le tableau porte en lui une étrange tension, romanesque et vaporeuse. Et illustre à merveille cette façon qu'avait le peintre symboliste de rêver ses sujets, sans limites ni carcans.

36. Musée Guimet • Tête de Jayavarman VII (Fin XIIe - début XIIIe siècle)

Le règne de Jayavarman VII voit le retour des Khmers au Cambodge et à Angkor : après un long exil, le glorieux roi reprend ces territoires. Sans doute par manque de confiance dans le shivaïsme qui n'avait pas su protéger son peuple, il se tourne vers le bouddhisme mahayana, qu'il instaure comme religion d'Etat.

Ce changement de religion engendre une nouvelle esthétique, et explique la sobriété de cette tête de grès. Le souverain apparaît très humble, les yeux baissés, apaisé. Le « sourire d'Angkor », doux et énigmatique, flotte sur ses lèvres. Dans le style du Bayon (fin XIIe-début XIIIe siècle), les sculpteurs délaissent les canons habituels de la jeunesse et de la beauté pour leur préférer un style plus naturaliste, plus dépouillé, plus sensible. Ici, pas de parure ni d'insignes de royauté : la puissance du monarque de la reconquête s'impose d'elle-même, tout en retenue, par la pureté des lignes de son crâne et l'harmonie sereine qui se dégage de la pierre. Un des chefs-d'œuvre de l'histoire de la sculpture, symbole d'une période brillante qui prendra fin au milieu du XIIIe siècle, avec le retour du shivaïsme.

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37. Musée du Louvre • Une odalisque (Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1814)

Parfois, en art, la subversion ne tient pas à grand-chose. Trois petites vertèbres peuvent suffire à remettre en cause l'histoire et les conventions. Trois vertèbres qu'Ingres ajoute au dos de sa demoiselle de harem, dans un mépris total de l'anatomie et de l'enseignement de son maître, Jacques-Louis David. Trois vertèbres comme un manifeste : n'en déplaise aux critiques et aux gardiens du temple qui le dénoncent alors violemment, Ingres montre ici à quel point l'art n'est pas soumis à un quelconque réalisme, le peintre pouvant parfois sacrifier la vraisemblance au profit de la beauté.

Pourquoi l'odalisque (qui, en turc, signifie « la femme du harem ») est-elle si belle ? Parce qu'elle n'existe pas. A une peinture fidèle à son modèle, le plus célèbre des violonistes préfère, pour répondre à une commande de la reine de Naples, basculer dans un onirisme ouaté. Dans un Orient fantasmé, il reprend le motif du nu de dos (notamment éprouvé par Vélazquez dans la Vénus à son miroir). Le contraste entre la chair lumineuse et l'ombre de l'arrière-plan souligne les courbes soyeuses du corps féminin, tandis que l'extraordinaire réalisme des tissus ou des plumes de paon met en valeur cette beauté à la pose inconfortable, dont l'irréelle sensualité trône aujourd'hui sur le Louvre.

38. Cité de l'architecture • Unité d'habitation Le Corbusier (Le Corbusier, 1945-1952)

« Le premier devoir de l'urbanisme est de se mettre en accord avec les besoins fondamentaux des hommes. La santé de chacun dépend en grande partie de sa soumission aux "conditions de nature". (...) Le soleil, la verdure, l'espace sont les trois premiers matériaux de l'urbanisme. » La Charte d'Athènes, texte fondateur de l'urbanisme moderne publié en 1941 par Le Corbusier, pose les bases de ce que sera « l'unité d'habitation ». Cette nouvelle manière d'aborder le logement collectif trouve son application après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des problèmes de logement apparaissent et qu'il faut tout reconstruire. Ce seront ces principes qui guideront l'élaboration de la Cité radieuse à Marseille, édifiée entre 1945 et 1952.

Construit comme une barre sur pilotis, l'ensemble architectural du Corbusier tente de concrétiser cette idée de « village vertical », réunissant dans un seul bâtiment tous les équipements nécessaires à la vie en collectivité : gymnase, piscine, école maternelle, auditorium et commerces divers. Point d'orgue de la galerie de l'architecture moderne et contemporaine de la Cité de Chaillot, un appartement type de la Cité radieuse a été reproduit en taille réelle, permettant de visiter l'un des habitats les plus innovants du XXe siècle.

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39. Centre Pompidou • Arlequin (Pablo Picasso, 1923)

Lorsqu'il peint cet arlequin en 1923, Picasso est déjà une superstar du monde de l'art. Depuis l'Armistice, ses toiles font le tour des grandes expositions de la capitale – accrochées, parfois, auprès des maîtres de l'avant-guerre (Matisse, Derain) ; associées, d'autres fois, à l'Esprit Nouveau, au cubisme ou à l'émergente Ecole de Paris. Déjà, la critique voue un respect immense à cet artiste capable de jongler librement avec les styles, d'exceller dans tous les domaines et de parler plusieurs langages plastiques comme s'il s'agissait, à chaque fois, d'une langue maternelle.

A l'heure où le « Retour à l'ordre » impulse une recrudescence du classicisme dans l'art parisien de l'après-guerre, le peintre espagnol joue peut-être plus que jamais les équilibristes entre avant-garde et académisme. En témoignent plusieurs tableaux sur le thème de l'arlequin, qu'il réalise entre 1915 et 1923 : certains, outrageusement cubistes, d'autres étonnants de naturalisme. Celui du Centre Pompidou, partiellement dessiné sur la toile brute, partiellement peint avec une finesse d'éxecution ingresque (notamment au niveau du visage, portrait de son ami peintre Joaquín Salvado), s'inscrit dans une série de toiles hybrides, d'aspect volontairement inachevé, que Picasso imagine à cette époque. Il y condense plusieurs styles, comme pour briser la magie de l'illusionnisme et célébrer, au contraire, l'artifice de la représentation artistique : en ce sens Arlequin se rapproche peut-être davantage du collage que d'une quelconque tradition naturaliste. Et trahit, derrière ses airs classiques, un tempérament furieusement moderne.

40. Olympe de Gouges, Nam June Paik • Musée d’Art moderne

Pionnier de l’art numérique et grand nom du mouvement d’avant-garde Fluxus, Nam June Paik rend ici hommage à une figure incontournable du féminisme et de la révolution, Olympe de Gouges. L'œuvre est une sculpture vidéo anthropomorphe constituée de 12 télévisions couleur en bois, d’un lecteur vidéodisque permettant à chacun des postes d’émettre des images simultanément et d’un drapeau français surmonté d’une gerbe de fleurs, façon monument aux morts. Dans les vidéos, Paik mélange le film Napoléon d’Abel Gance, un défilé de mode et des idéogrammes chinois évoquant la vie d’Olympe de Gouges (“femme française”, “vérité”, “liberté”…), dont la carrière a été marquée par sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et ses nombreux combats en faveur de l’émancipation féminine. Des idées probablement un poil trop novatrices pour le XVIIIe siècle puisqu’elle fut condamnée à mort en 1793 puis guillotinée. 

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41. Musée du Louvre • Les Trois Grâces (Lucas Cranach, 1531)

Ce n'est qu'en mars 2011 que Les Trois Grâces de Lucas Cranach font leur entrée au Louvre. Conservé par la même famille depuis le XIXe siècle, le tableau a pu être acheté par le musée pour 4 millions d'euros grâce, en bonne partie, à des dons de particuliers. En quelques jours seulement, plus de 7 000 personnes ont répondu à l'appel pour fournir le million qui manquait, et faire de cette peinture réalisée sur un petit panneau de bois l'un des nouveaux joyaux du Louvre, aux côtés de La Joconde et de la Victoire de Samothrace. En parfait état de conservation, ces trois nus féminins renvoient aux figures mythologiques personnifiant l'abondance, la splendeur et l'allégresse, qui inspirèrent aussi Raphaël, Rubens, Boucher, Botticelli et bien d'autres.

Cranach l'Ancien en donne une version très personnelle, d'une ironie surprenante et extrêmement moderne. Loin des courbes épanouies qui les caractérisent habituellement, les trois Grâces affichent ici des formes androgynes et affectent des poses étranges. Celle qui nous tourne le dos, la colonne penchée, le cou déformé, les oreilles pendantes, semble même étonnamment disgracieuse, tandis que sa voisine garde le petit doigt en l'air, moqueuse. Au carrefour du réalisme des peintres du Nord et de la volupté des Italiens, Cranach signe l'un des chefs-d'œuvre de la Renaissance allemande, servi par un savoir-faire d'une finesse stupéfiante, à l'image du voile dentelé et transparent qui recouvre les trois personnages.

42. Musée d'Orsay • L'Origine du monde (Gustave Courbet, 1866)

Tout a été dit sur cette œuvre, certainement la plus célèbre de Gustave Courbet, dont le titre, à lui seul, ressemble à une provocation : sans Genèse ni Big Bang, l'origine du monde serait donc simplement un sexe de femme, sensiblement entrouvert, et offert au regard. Lieu dérobé d'où le désir émerge, et où il aboutit. Sans visage, sans bras ni jambes, le tronc de cette femme anonyme, vulve en gros plan, apparaît ainsi à la fois comme un savoureux blasphème de l'athée et communard Courbet, et comme un acte fondateur de la pornographie en art. Car si le sexe féminin, depuis les déesses préhistoriques de la fertilité, n'est franchement pas nouveau dans l'histoire de la représentation, c'est sans doute avec Courbet qu'il est apparu pour la première fois aussi brut, réaliste, direct (et velu), loin des chastes épilations d'Ingres ou de la pudique main posée sur le pubis de l'Olympia de Manet – qui fit pourtant scandale trois ans plus tôt.

Seulement, avant de devenir le mont de Vénus le plus célèbre de l'histoire de la peinture, puis de se retrouver au musée d'Orsay en 1995, L'Origine du monde connut un destin souterrain des plus mouvementés. D'abord vendu par Courbet avec une autre toile érotique – le très beau grand format Le Sommeil, aussi intitulé Les Deux Amies – au diplomate turc Khalil-Bey, L'Origine du monde fut ensuite récupéré par un collectionneur hongrois, avant de finir, caché derrière un panneau peint par André Masson, dans l'appartement du psychanalyste Jacques Lacan et de sa femme Sylvia (ancienne compagne de l'écrivain Georges Bataille et inoubliable actrice d'Une partie de campagne de Renoir – mais c'est une autre histoire).

Ceci dit, malgré son aura de chef-d'œuvre maudit et la surabondance d'images pornographiques dans l'iconographie contemporaine, L'Origine du monde continue de déranger, immanquablement, de troubler, aujourd'hui encore, l'œil qui s'y engage. Il suffit pour s'en rendre compte d'observer les regards, entre gêne et fascination, des visiteurs du musée d'Orsay. Frontale, stoïque, aussi magistrale qu'obscène, la toile de Courbet, grandeur nature, reste effectivement bouleversante de crudité pour qui s'y attarde, et d'une beauté mystérieuse et paradoxale ; comme un ex-voto aux puissances mêlées de la sensualité (les tétons qui pointent, le corps à l'abandon) et de l'enfantement (la rondeur naissante du ventre, le titre de l'œuvre). Ainsi l'origine du monde apparaît-elle à la fois comme la maman et la putain, la fertilité et le vide, l'innocence et la dépravation. Bref, la femme, dans toutes ses dimensions imaginaires, de la plus triviale à la plus mystique. Au fond, L'Origine du monde ne serait-elle pas l'une des toiles les plus féministes du XIXe siècle ? A voir.

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43. Musée d'Art moderne • Nu dans le bain (Pierre Bonnard, 1936)

Sublimer le banal. Arroser le quotidien de lumière et de couleurs vaporeuses. C'est peut-être ce que Pierre Bonnard (1867-1947) a fait de mieux – notamment dans une série de toiles représentant sa femme, Marthe, allongée dans sa baignoire. Variation particulièrement fascinante sur ce thème, le Nu dans le bain du musée d'Art moderne présente une vision un peu hallucinée de madame flottant langoureusement dans l'eau. Ici, les formes se mélangent et se chevauchent dans un dense tissage de couleurs ; la lumière qui traverse la fenêtre se distille dans les reflets de l'eau, du carrelage et de la peau mouillée de Marthe, créant une confusion étrange entre le monde extérieur et l'intérieur de la salle de bain.

Noyée parmi les éclats de couleurs chaudes et froides, la chair du modèle paraît presque se dissoudre dans la peinture. « La forme des jambes dans la baignoire crée une silhouette énigmatique, à la fois très éthérée et assez évocatrice, nous confie Fabrice Hergott, directeur du musée. C'est l'un des chefs-d'œuvre de Bonnard. Il introduit quelque chose d'ambigu, de l'ordre du rêve et de l'érotisme, dans un sujet d'une très grande banalité que personne, je crois, n'avait vraiment peint jusque-là. En tout cas pas de manière aussi féerique. »

44. Beaubourg • La Fontaine Stravinsky (Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely, 1983)

Dans la continuité d'un Centre Pompidou pétulant et coloré, planté comme une incongruité au milieu de l'un des plus vieux quartiers de Paris, La fontaine Stravinsky, avec ses couleurs éclatantes et ses formes naïves, est l'autre touche de fantaisie de Beaubourg. Aux commandes de ce projet de 1983, deux artistes proches du Nouveau Réalisme, sorte de pop art à la française : Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, alors mariés depuis douze ans. Pour cette fontaine conçue comme un hommage au compositeur russe, les deux sculpteurs tentent de donner corps à la musique. Tandis que les sculptures vives de Niki de Saint Phalle renvoient à L'Oiseau de feu ou au Sacre du printemps notamment, les installations mouvantes de Jean Tinguely forment un ballet mécanique, qui travaille aussi sur le son (des jets d'eau, des constructions métalliques). Ce n'est pas un hasard si l'œuvre se situe au pied de l'IRCAM, l'Institut de recherche en musique contemporaine.

Avec ses airs enfantins, ses sirènes pulpeuses, ses rondeurs et ses machinations brinquebalantes, la Fontaine des automates, en mouvement perpétuel, dégage quelque chose de ludique, d'insouciant, mais aussi d'insaisissable, qui relève de la magie ou du surréel. D'ailleurs, qu'il la regarde s'agiter aux pieds du Centre Pompidou, dont elle paraît être une excroissance, ou qu'il l'observe de l'autre sens avec en toile de fond l'église Saint-Merri, le visiteur percevra différemment cet exubérant mécano. Une œuvre à la croisée des disciplines, entre architecture, sculpture, musique, peinture, mécanique et design urbain.

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45. Musée d'Art moderne • Pretty much every film and video (Douglas Gordon, 1992-2014)

Docteur ès video art, Douglas Gordon entre dans les collections permanentes du musée d'Art moderne. Mais alors en grande pompe : acquise par le musée en 2003, son installation Pretty much every film and video work from about 1992 until now vient d'être enrichie de 43 nouvelles œuvres. Soit au total 82 films, qui fuseront et crépiteront désormais sur une centaine de postes, dans une salle spécialement dédiée à l'artiste écossais. Un bel hommage à ce monstre de la vidéo qui revisite depuis les années 1980 les grands classiques du cinéma (Vertigo, Taxi Driver, etc.), et dont le long-métrage sur Zinédine Zidane co-réalisé avec Philippe Parreno (Zidane, un portrait du XXIe siècle) lui a valu une consécration internationale en 2006.

46. Musée du Louvre • Le Radeau de la Méduse (Théodore Géricault, 1819)

En 1816, la fière Méduse, frégate française partie coloniser le Sénégal, s'échoue lamentablement sur un banc de sable. Comme les chaloupes sont trop peu nombreuses, 150 hommes doivent construire un radeau pour tenter de rejoindre la terre ferme. S'ensuivent treize jours de cauchemar où les survivants, rendus fous par la soif et la faim, s'entretuent et se livrent à des actes de cannibalisme. Ils ne seront que dix à en réchapper.

Pendant trois ans, Théodore Géricault se documente sur le sujet, tentant de concilier l'art et le réel. Il interroge les rescapés, fabrique une maquette de la scène, va jusqu'à étudier des cadavres dans son atelier, avant de présenter au Salon de 1819 une gigantesque toile de 5 mètres sur 7, dont la noirceur fascine et scandalise. Aujourd'hui considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de la peinture du XIXe siècle, Le Radeau de la Méduse, dont la légendaire composition pyramidale et la force des clairs-obscurs ont fait la renommée, est devenu l'incarnation du romantisme. Métaphore de la solitude humaine ou de l'espoir, le tableau fut aussi interprété, à l'époque, comme une critique de l'esclavage (un homme noir se tenant au sommet de la pyramide des corps, telle une figure de proue), voire comme une charge contre le régime en place. Finalement, grâce à Géricault, ce qui aurait dû rester comme l'un des épisodes les plus sinistres de la marine française devint une œuvre hors du commun.

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47. Musée de la Chasse et de la Nature • La Nuit de Diane (Jan Fabre, 2006)

C'est en admirant le plafond du Palais Royal de Bruxelles peint par Jan Fabre, un plafond complètement recouvert de scarabées, que le directeur du musée de la Chasse et de la Nature (alors en rénovation) a eu l'idée de proposer à l'artiste anversois de décorer la petite pièce consacrée à Diane. « Quand je suis allé le voir pour lui faire part de mon projet, raconte Claude d'Anthenaise, il a réfléchi, pas l'air totalement enthousiaste, et m'a dit : "J'ai très envie de travailler sur Diane : c'est un personnage important dans ma mythologie personnelle, et puis c'est en quelque sorte une passeuse vers la mort. Je pense donc faire un plafond avec des hiboux, vu qu'ils représentent à la fois les oiseaux de la nuit et les messagers de la mort." Jan Fabre s'est donc approprié cette mythologie pour en faire quelque chose de très personnel : un plafond surprenant, sur lequel les chouettes sont complètement dilatées, beaucoup plus grosses que nature. »

Le cabinet de Diane est désormais surplombé par cet amas de plumes, apaisant et inquiétant à la fois, ouaté comme les murs en velours de soie vert qui l'entourent. En guise d'yeux, Fabre a serti ses hiboux de prothèses humaines, qui rendent si dérangeant le regard des volatiles. On se sent observé par six paires d'yeux – de fait, des yeux humains avec des têtes d'oiseaux. Un écrin saisissant pour les deux toiles accrochées dans cette pièce, signées par deux autres Anversois : Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel.

48. Musée Marmottan-Monet • Au bal (Berthe Morisot, 1875)

Dans les années 1870, Berthe Morisot (1841-1895) fait partie des représentants de ce nouveau courant qui fait tant jaser le Paris artistique : l'impressionnisme. La belle-sœur d'Edouard Manet participe notamment à la deuxième exposition du mouvement, en 1876, à propos de laquelle le critique du Figaro Albert Wolf déclarera : « Le passant inoffensif attiré par les drapeaux qui décorent la façade entre et à ses yeux épouvantés s'offre un spectacle cruel : cinq ou six aliénés dont une femme, un groupe de malheureux atteints de la folie de l'ambition. » A la même époque, lors d'une vente aux enchères chez Drouot, un de ses détracteurs insulte Berthe de « prostituée », ce qui fait sortir de ses gonds son ami Pissarro et déclenche une bagarre qui oblige la police à intervenir.

Voilà pour le contexte, heurté, violent et machiste de surcroît, qui en dit long sur l'ambition et la ténacité d'une femme à la pointe de l'avant-garde. Peint en 1875, alors que Berthe Morisot maîtrise pleinement son art, Au bal est l'un des tableaux les plus connus de cette coloriste virtuose, à la palette jalonnée de petites touches argentées qui donnent à sa peinture un raffinement éthéré. Ici, les formes se dissolvent, perdues dans des effets de transparence, tandis que les taches de couleur des fleurs mettent en valeur la pâleur de la jeune fille, dont le regard semble hésiter entre séduction et gravité. Longtemps sous-estimée, Berthe Morisot n'est réhabilitée que depuis quelques dizaines d'années.

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49. Musée du Louvre • Le Scribe accroupi (Egypte, 4e ou 5e dynastie, 2600-2350 av. J.-C.)

Qui est le scribe accroupi ? Mystère. La statue, découverte en 1850, a beau figurer parmi les chefs-d'œuvre les plus célèbres du Louvre, l'identité de son modèle reste, elle, à ce jour inconnue. Il y a toutefois fort à parier qu'il ne s'agissait pas d'un quelconque scribouillard, destiné à compter les moutons des bergers de l'Egypte antique (dont il provient) ou à griffonner des poèmes mièvres pour le premier venu. Son traitement complexe et raffiné suggère que cet homme assis en tailleur, la peau ocre-rouge, le regard incroyablement perçant, était un personnage éminent, probablement rattaché à l'élite égyptienne. Peut-être même s'agissait-il d'un fils de Pharaon représenté en fonctionnaire studieux – un papyrus légèrement déroulé dans une main, un outil d'écriture dans l'autre (sans doute un roseau, aujourd'hui disparu).

Dos droit, mains délicates, yeux vibrants en cristal de roche, incrustés dans un visage aux pommettes saillantes... Avec ses couleurs vives et son réalisme minutieux (l'artiste a même pris la peine de souligner les tétons à l'aide de deux chevilles en bois et de modeler un léger bourrelet au-dessus du pagne), cette sculpture en calcaire remarquablement bien conservée reste l'un des vestiges les plus extraordinaires de l'art égyptien.

50. Arts Déco • Chiffonnier (André Groult, 1925)

A l'occasion de l'Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, André Groult (1884-1967) réalise une « chambre de madame ». Dans des tons gris et rosés, il conçoit une salle tout en rondeurs autour d'un lit à baldaquin, d'un fauteuil, de bergères, de chaises et d'un étonnant chiffonnier. Avec ses courbes moelleuses et ses tons crémeux, ce petit meuble ventru qu'on dirait sorti d'un vieux Walt Disney surprend, révolutionnant le genre de ces commodes hautes destinées à accueillir, dans leurs multiples tiroirs, les travaux de couture de la maîtresse de maison. Un meuble réservé aux femmes donc, qui prend ici des formes anthropomorphiques, calquant sa silhouette sur les hanches des demoiselles, ses pieds devenant des cuisses charnues dans un mouvement girond. Une ressemblance qui ne doit rien au hasard évidemment (Groult confessera avoir voulu « galber jusqu'à l'indécence » son chiffonnier), comme le souligne le placage en galuchat (du cuir de poisson, une matière particulièrement noble) qui va jusqu'à reproduire l'emplacement des seins. Réticent à l'Art nouveau, André Groult puise ainsi son inspiration dans le mobilier Restauration et Louis-Philippe, pour leur insuffler, avec sensualité, une fraîcheur et une fantaisie inédites.

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