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  1. Se pencher sur les symboles cachés que renferment les chefs-d'œuvre de l'histoire de l'art, c'est poser le pied sur un terrain glissant. Ouvrir la porte d'un monde parallèle habité de geeks illuminés et de fans de Dan Brown ; se frotter à des théories démentielles, des décryptages tirés par les cheveux et des hallucinations à la limite de la paranoïa aigüe. Eh oui, bien mal nous en a pris, au cours de nos recherches la curiosité nous a poussés à consulter l'ami Google et, le moins que l'on puisse dire, c'est que nous n'avons pas été déçus. En caressant la barre de recherche dans le sens du poil, nous sommes tombés sur une mine d'or de blogs complètement perchés qui nous ont notamment permis de découvrir que des agneaux, des serpents, des cercueils et des mots cryptés en anglais (« Judgement Day », « Japan », « Ending »...) se cachaient dans la plupart des tableaux de Van Gogh (si, si). 

    Heureusement, nos lointains souvenirs de cours d'histoire de l'art et des sources autrement saines d'esprit nous ont remis dans le droit chemin, et grâce à elles nous avons pu retenir une petite sélection d'œuvres qui ont, indubitablement, quelque chose à cacher : un symbole improbable, un message cocasse, un détail qui fâche, une boutade. Car si le sujet nourrit autant de fantasmes, c'est bien parce que les arts plastiques ont toujours été un terrain propice à l'énigme, d'innombrables artistes ayant succombé à la tentation de glisser de petites audaces dans leur travail. Autant de secrets de Polichinelle invisibles au premier coup d'œil, destinés à éluder la censure, à se venger d'un mécène radin, à mettre un peu de mystère ou de piment dans une toile... C'est la récente polémique autour du lapin glissé par les sculpteurs dans l'oreille de la statue de Mandela à Prétoria en signe de protestation contre leurs conditions de travail qui nous a donné envie de nous pencher sur d'autres œuvres qui s'évertuent, elles aussi, à occulter le fond de leurs pensées. De Man Ray à Corot et de Vermeer à Michel-Ange : quelques exemples qui devraient vous aider à mettre les groupies du 'Da Vinci Code' à l'amende (cliquer sur la flèche à droite de l'image pour activer le diaporama).

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    Lait chaud.
     Jean Vermeer, 'La Laitière', c. 1660


    Au XXe siècle, c’étaient les hôtesses de l’air. Au XVIIe aux Pays-Bas, on allait chercher moins loin : pour faire rêver les mecs, le summum du sex appeal c’était d’opter pour la filière laitière (même pas besoin de BEP). Un boulot de coquine qui n’est pas passé inaperçu de l’œil concupiscent de Jean Vermeer. Dans cette fameuse toile, la laitière s’impose au premier abord comme un modèle de vertu – pure, généreuse, nourricière, elle prépare un repas dans un intérieur humble, sagement concentrée sur sa tâche.

    Mais en regardant de plus près, quelques détails suggestifs viennent rancir la facture idéale du portrait. Après tout, madame, plantureuse, cruche en main, s’échine à faire couler un nectar blanc qui n’est pas sans rappeler d’autres fluides corporels, sensiblement de la même couleur. Quand on connaît la réputation des soubrettes-option-laitages de l’époque, on peut facilement y déceler une métaphore un brin lascive. Et si ce n’était pas suffisant, le peintre flamand en rajoute une couche, à peine visible, dans la partie inférieure droite de son tableau. Derrière le petit objet rectangulaire (une chaufferette, dont on se servait pour se réchauffer les pieds), sur les petits carreaux de faïence à l’hollandaise, on distingue parmi les motifs bleus un petit Cupidon (à gauche). Autant d’éléments camouflés qui lorgnent vers le désir charnel et ont donné lieu à des interprétations parfois plausibles, parfois tirées par les cheveux, mais qui laissent en tout cas planer le mystère sur ce chef-d’œuvre de la peinture flamande.

  2. Lapin agile.
    André Prinsloo et Ruhan Janse van Vuuren, 'Nelson Mandela', 2013

    On savait que certains avaient un chat dans la gorge, on apprend maintenant que d'autres ont un lapin dans l'oreille. Les deux sculpteurs qui ont réalisé l'immense statue installée à Pretoria à l'effigie du héros de la nation sud-africaine ont en effet avoué dans une interview en janvier dernier qu'ils avaient caché un lapin dans l'oreille de Nelson Mandela. Pourquoi un lapin ? D'abord parce qu'on ne les aurait pas autorisés à signer leur œuvre, ensuite parce qu'en afrikaans le mot « lapin » signifie également « hâte », référence aux très courts délais qu'ils ont dû respecter pour achever cette sculpture monumentale.

    Le problème, c'est que cette boutade artistique déplaît aux officiels sud-africains, qui ne l'entendent pas de cette oreille (haha). André Prinsloo et Ruhan Janse van Vuuren ont eu beau expliquer que le mammifère était quasiment invisible – pas facile en effet d’apercevoir un conduit auditif placé à 10 mètres de haut –, le gouvernement n'a rien voulu entendre (hahaha), et a ordonné que le lapin soit raboté dans les plus brefs délais. Dommage que ces révélations leur aient mis la puce à l'oreille (hahahaha), ç'aurait sûrement été plus cocasse de découvrir la petite supercherie d'ici quelques années, par hasard, sans trop comprendre comment ce petit rongeur avait bien pu aller se blottir dans l'oreillette de Madiba.

    © DR

  3. Au chaud sous la couette.
    Man Ray, 'L'Enigme d'Isidore Ducasse', 1972

    Chez les dadaïstes, le délit d’omission prend une autre envergure. Ici, c’est l’acte même de cacher, et de provoquer le désir de voir (la « pulsion scopique ») chez l’observateur, qui crée la tension de l’œuvre. Avec ‘L’Enigme d’Isidore Ducasse’, Man Ray installe un trouble et un mystère qui préfigurent les « érotiques voilées » des surréalistes (ces objets emballés destinés à titiller l’envie de les « déshabiller ») ou les bâtiments drapés de Christo. Sous la grosse couverture et la ficelle, se cache une machine à coudre semblable à celle qu’utilisait Isidore Ducasse, aka Le Comte de Lautréamont, écrivain tant admiré par les surréalistes pour avoir été sensible à la beauté de « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ». Et pourtant, on a beau savoir ce que renferme le voile, « le secret », par sa seule omniprésence, incite au vertige. L’original de l’œuvre ayant disparu, cette copie (issue des collections de la Tate, Londres) a été réalisée avec le consentement de l’artiste en 1972.

    © Man Ray Trust / ADAGP, Paris & DACS, Londres 2002

  4. L'Eden est pavé de mauvaises intentions.
    Michel-Ange, 'Le Jugement dernier', 1536-1541


    Michel-Ange était du genre teigneux. Rancunier même, au point que si vous le cherchiez, il était capable de vous pourrir pour l'éternité. Le facétieux artiste toscan aimait en effet à dissimuler dans ses œuvres des messages cachés. Par exemple, derrière 'L'Esclave mourant' qui orne le tombeau du pape Jules II se cache une pomme, symbole de péché : quand on connaît les relations houleuses qui divisaient les deux hommes, on comprend que sa signification n'a sans doute rien de positif.

    Mais son œuvre la plus riche en symboles masqués (aussi parce qu'elle alimente un paquet de fantasmes de mecs qui ont trop lu Dan Brown) reste bien sûr 'Le Jugement dernier', la monumentale fresque de la chapelle Sixtine. L'un des diablotins à queue de serpent serait un dignitaire du Vatican qui avait ouvertement critiqué Michel-Ange (ça lui apprendra). Plus loin, l’un des deux angelots qui lisent par-dessus l'épaule du prophète Zacharie ferait un signe discret en coinçant son pouce entre l'index et le majeur – l’équivalent, pour l’époque, d’un majeur bien dressé. Et quand on sait que le prophète Zacharie en question porte les traits du pape Jules II (les relations houleuses, tout ça), le message commence à s’éclaircir. Le peintre va même jusqu'à glisser son autoportrait dans la scène : l'impressionnant cadavre évidé que tient à bout de bras saint Barthélémy aurait ses propres traits, soulignant la souffrance éprouvée lors de cette interminable mission.

    Michel-Ange est même allé encore plus loin dans la version originale de la fresque, où il représente saint Blaise en train d'enfiler, tranquillou, la pulpeuse Catherine d'Alexandrie, nue et penchée en avant. Les autorités religieuses crient au sacrilège et demandent à Daniele da Volterra, un ancien assistant de l'artiste, de rhabiller la demoiselle (hop, une jolie tunique verte pour cacher la misère) et de tourner la tête de Blaise vers Jésus (plutôt que vers la croupe de la dame). Ce qui vaudra à Daniele, pour la postérité, le surnom de braghettone : le faiseur de culottes. Non, décidément, pour ne pas être ridicule devant l'éternité, mieux valait ne pas chercher des noises à Michel-Ange…

  5. Une fesse peut en cacher une autre.
    Miséricorde de Saint-Bertrand-de-Comminges, Haute-Garonne

    Le Moyen Age n’était pas toujours aussi austère que sa réputation le laisse penser, et ses artistes, bien qu’inféodés pour la plupart au pouvoir ecclésiastique, étaient souvent loin d’être des culs-bénits. Alors, quand ils ne taillaient pas des halos de saints ou des ailes de chérubins, les sculpteurs chargés d’orner les cathédrales trouvaient parfois le moyen de se lâcher – notamment lorsqu’il s’agissait de représenter l’enfer, qu’ils imaginaient peuplé de monstres, de femmes nues, de créatures anthropomorphes et de luxure.

    Le lieu idéal pour ouvrir la boîte de Pandore et donner libre cours à ces expressions de bassesse se trouvait, ni plus ni moins, juste en-dessous du fessier des moines : « les miséricordes », ces petits bancs accrochés au mur qui permettaient au clergé de rester debout pendant des heures tout en reposant discrètement leur arrière-train, furent pendant l’époque médiévale un terrain propice aux vices artistiques. C’est sous l’assise, hors de la portée de vue des fidèles, que les sculpteurs déversaient leurs frustrations, s’adonnant souvent à une débauche de scènes grotesques. Le haut-relief glissé sous cette miséricorde de la cathédrale Saint-Bertrand-de-Comminges (chemin de Compostelle) en constitue un exemple remarquable. Corps de femme, pattes de grenouille, sexe en forme de visage : l’artisan a dû se faire plaisir en réalisant cette créature ailée aux jambes écartées et à l’expression lascive. Gardienne damnée du popotin des moines.

    Photo : © Père Igor

  6. Miroir, mon beau miroir.
    Jan van Eyck, 'Les Epoux Arnolfini', 1432


    Dans 'Les Experts', il y a toujours un moment où le mec zoome sur une photo et décèle, dans le reflet d'une paire de lunettes, le visage du tueur. Eh bien sachez que même au XVe siècle, ce genre de bourde arrivait. Dès 1432 en effet, cette tête en l'air de Jan van Eyck honore une commande du riche marchand Giovanni Arnolfini, qui souhaite s'immortaliser aux côtés de sa future épouse.

    Malin, le peintre flamand a alors une idée pour accentuer la perspective de son tableau subtilement éclairé et décupler l'impression d'espace : placer un miroir au fond de la pièce. Dans cette toile pétrie de symboles (le chien évoque la fidélité, les fruits le péché, la fenêtre la condition du marchand, le lit celle de la femme, etc.), le miroir représente sans doute la virginité de la madame (qui, dixit les spécialistes, n’est pas représentée enceinte – la courbe de la robe était tout simplement à la mode à l’époque). Bref, l'idée est malicieuse, et jusque-là tout va bien.

    Jusque-là seulement, car lorsqu'il achève sa toile, Jan van Eyck se rend compte soudain qu'il s'est sans doute lui-même piégé dans le reflet du miroir : en regardant de près, on voit l’image de deux hommes (dont celle de l'artiste, semble-t-il) se réverbérer sur la surface polie ! Alors pour sauver la face, le peintre de la Renaissance décide de dire qu'il a fait exprès. Habile retournement qui, depuis, en a fait l'un des autoportraits cachés les plus fameux de l'histoire de l'art.

  7. Crâne ecrasé.
    Hans Holbein le Jeune, 'Les Ambassadeurs', 1533


    Non, une drôle de météorite ne s'est pas écrasée au beau milieu de cette séance de pose, sans que les deux modèles de Hans Holbein le Jeune, imperturbables, s'en aperçoivent. Chef-d'œuvre de la Renaissance du Nord, ce double portrait de Jean de Dinteville (ambassadeur de France à Londres) et Georges de Selve (ambassadeur lui aussi et figure ecclésiastique) célèbre l'humanisme, la science et la culture du XVIe siècle, tout en arborant, au premier plan, un message un brin moralisateur. Devant les instruments de mesure, le globe, le luth et les livres placés sur les étagères – signes de culture et de conaissances savantes – la composition cache (mal) une vanité destinée à rappeler la finitude de la vie. En effet, cette forme étrange qui semble avoir atterri mystérieusement sur le le sol n'est autre qu'une anamorphose : si l'on regarde la toile depuis un angle oblique, on s'aperçoit qu'il s'agit en fait de la représentation déformée d'une tête de mort. Un élément qui apporte une autre dimension au tableau : ici, Holbein avertit son public de l'insignifiance de la présomption de l'Homme face à la faucheuse qui guette, à chaque instant. Un message bourré de connotations religieuses que vient souligner le crucifix, discrètement caché derrière l'épais rideau vert, dans le coin supérieur gauche de la peinture.

  8. Instrument à vents.
    Jérôme Bosch, 'Le Jardin des Délices', 1500-1505

    Dans l’enfer de Jérôme Bosch, tous les coups sont permis – même avec une flûte. Dans ce fabuleux triptyque truffé de personnages épicuriens et de saynètes cocasses, le peintre flamand s’en donne à cœur joie pour immiscer, sournoisement, des tas de petits vices dans sa composition. Non loin des damoiselles et damoiseaux qui se baladent cul-nu dans le Jardin des Délices en croquant des pommes, le panneau de droite nous plonge dans un enfer gorgé de conduites peu catholiques. On se poignarde, on brûle tout, et on s’engouffre même des instruments de musique dans l’anus – comme ce monsieur qui s’acoquine avec une flûte, ni vu ni connu. Pécheur parmi les pécheurs au cœur de l'un des plus fascinants chefs-d'œuvre de la Renaissance du Nord, dans lequel Bosch met l'observateur en garde contre la fragilité de la vie et les conséquences des plaisirs éphémères de la chair.

  9. Petite rougeur.
    Camille Corot, 'L’Etang, souvenir des marais du Beauvaisis', c. 1869-70


    Docteur ès paysages, Camille Corot avait pour habitude d’insérer dans ses toiles une touche de couleur vive, souvent du rouge, qui venait buter contre sa palette de verts, de gris et de bruns. Proche de l’Ecole de Barbizon, ami des impressionnistes, le peintre français a même fait de ce petit tic une véritable marque de fabrique dans ses œuvres tardives, prenant comme prétexte, par exemple, un vêtement coloré de paysan ou une fenêtre subrepticement éclairée dans la nuit, pour relever sa composition d’une petite note lumineuse. Cas d’école avec ce tableau éthéré : en regardant bien, on s’aperçoit que le chapeau rouge du personnage assis au bord de l’étang vient percer, discrètement, la monotonie vaporeuse de la végétation alentour. Du Corot dans toute sa finesse.

    © Musée de Saint-Lô

Ce que cache l'art

[DIAPORAMA] Symboles et messages dissimulés dans l'art, de Michel-Ange à Man Ray

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