On le connaît pour ses portraits uniques, aux visages allongés et aux cous de 36 mètres de long. Mais aurions-nous pu admirer les toiles d’Amedeo Modigliani sans le soutien indéfectible de son marchand de toujours, Paul Guillaume ? Pour répondre à cette question, le musée de l’Orangerie (dont la collection permanente doit beaucoup à Guillaume) consacre une expo à cette collaboration fructueuse – peut-être l’une des plus marquantes du siècle dernier – et réunit un riche ensemble de toiles (dont quatre portraits du marchand), sculptures et dessins témoignant de cette amitié interrompue par le décès de l’artiste, six ans plus tard, à 35 ans.
L’un est artiste fauché, porté sur la bouteille et incroyablement talentueux ; l’autre est un collectionneur à l'œil aiguisé, au portefeuille bien garni et au temps particulièrement précieux. La rencontre a lieu en 1914 grâce au poète Max Jacob, et Guillaume s’amourache immédiatement des portraits de femmes aux yeux de chat de Modigliani, lui conseillant au passage de zapper la sculpture – on y reviendra. Le ton est donné dès la première salle, car c’est un grand portrait du mécène par son poulain qui accueille le visiteur, annoté du lourd de sens “Novo Pilota”, soit “nouveau pilote” en français. Le message est clair : désormais, Mogliani laisse les manettes à Paul Guillaume.
Il faut dire que, dans le contexte de la modernité, le rôle du marchand d’art est plus qu’essentiel et permet aux avant-gardes de se faire une place au soleil, malgré le rejet systématique des institutions, encore frileuses. Loin d’être uniquement commercial, le lien entre les deux hommes est renforcé par des influences communes et un goût partagé pour l’art extra-occidental. La deuxième salle de l’expo confronte d’ailleurs des portraits peints par l’Italien, dont on retiendra la magnifique Femme au ruban de velours de 1914, des masques du Gabon et… des sculptures d’Amedeo, d’ailleurs si exceptionnelles qu’on se demande pourquoi le marchand a tant forcé pour que son protégé raccroche le burin (paraîtrait que ça se vend moins bien).
La toute petite expo se poursuit avec une superbe galerie de portraits recontextualisant le milieu parisien dans lequel évoluait Modigliani grâce à Paul Guillaume qui l'introduit à la fine fleur de Montmartre. L’occasion surtout de (re)découvrir des chefs-d'œuvre du peintre, comme la célèbre Belle Droguiste (1918), et d’observer à quel point l’artiste s’inscrit – et même représente – son époque, en s’inspirant notamment des cubistes et de l’art naïf, tout en réalisant une peinture… intemporelle. Petite mais costaude, c’est l’expo idéale pour refaire sa culture modiglianesque et en prendre plein les mirettes.