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Les 50 meilleurs films à mater sur Prime Video

La crème de la crème des films à regarder sur la plateforme de streaming Prime Video. On parie que vous ne les avez pas tous vus !

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En attendant de s’affaisser sur les sièges capitonnés des cinés parisiens, Time Out continue de zapper sur les sites de streaming pour vous aider à bingewatcher le meilleur du grand écran. Cette fois-ci, on met le cap sur la plateforme SVOD d’Amazon: Prime Video ! Et si son catalogue en France était encore (très) léger il y a quelques mois, le géant américain l'a considérablement musclé, en faisant l’acquisition de certains des plus grands films du cinéma d’art et d’essai (à prononcer avec un ton nasillard). Coppola (père et fille), les frères Coen, Agnès Varda... Découvrez notre classement très subjectif à mater en priorité sur Prime.

Les films à mater d'urgence sur Prime Video

1. Le Parrain (1972)

De Francis Ford Coppola, avec Marlon Brando, Al Pacino, Diane Keaton et James Caan

Ah, replonger dans les torpeurs et les fièvres de la famille Corleone... Plus subtil que Les Affranchis, presque moins sanglant que Scarface, le chef-d'œuvre de Coppola offre au public une saga ultra-violente où l’on suit une mafia italienne en pleine perte de contrôle face à un marché noir qui la dépasse. Les codes d'antan s'usent, désormais caducs. L’ancien respect entre les familles est bafoué, doublé par la progéniture du Parrain (Marlon Brando), elle-même motivée par la vengeance immédiate. Seul Michael (Al Pacino) sort du lot. Celui que l'on a écarté de tout le système, et qui ne se destinait pas à embrasser cette carrière trop particulière, se retrouve pourtant bientôt les mains plongées dedans. Le Parrain est un film qui parle d'hier et d'aujourd'hui, de l'usure d'une passation des pouvoirs entre les membres d'un clan que tout finit par séparer. Une intrigue digne des Médicis et l’un des plus grands films américains jamais réalisés.

2. M le Maudit (1931)

De Fritz Lang avec Peter Lorre, Otto Wernicke

Premier film parlant de Fritz Lang, sorti en 1931, le célébrissime M le Maudit faillit ne pas exister. Face à la lourdeur grandissante de l'industrie cinématographique de l'époque, le réalisateur de Metropolis se dit en effet las des contraintes imposées, décidé à abandonner le grand spectacle, voire le cinéma. Lorsqu'un producteur lui propose de réaliser un film sonore et dialogué, Lang pose alors ses conditions : une liberté totale, en termes de scénario comme de montage, sur lesquels les producteurs devront décliner tout droit de regard. Le résultat, imparable exploration du mal aux airs de film noir, M le Maudit reste son œuvre la plus célèbre. Dans une grande ville d'Allemagne, un tueur d'enfants sème la terreur. Bientôt, la pègre décide même de s'allier à la police afin de retrouver le coupable... On s'arrête là : on risquerait de dévoiler la fin du film, l'une des plus cruelles et profondes de l'histoire du cinéma, avec le jeu superbe de l'acteur Peter Lorre.

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3. Cléo de 5 à 7 (1962)

De Agnès Varda, avec Corinne Marchand, Loye Payen, Dominique Davray

Entre cinq et sept heures du soir, Cléo (Corinne Marchand), jeune et jolie chanteuse, déambule à travers Paris dans l'attente anxieuse de ses résultats d'analyses médicales. Fable urbaine en temps réel, promenade philosophique le long de la rive gauche – traversant le parc Montsouris et le quartier de Montparnasse pour y rencontrer une cartomancienne, un garçon de café ou un amant… –, ce film essentiel d’Agnès Varda propose une épatante synthèse entre fiction et documentaire, qui résume avec finesse et sensibilité l'apport majeur de la Nouvelle Vague lors de sa sortie, en 1962.

Mais, en plus de jouer des codes du cinéma-vérité avec habileté à travers une histoire poignante, à la fois extrême et banale (pouvant arriver à quiconque passe par la case hôpital), Cléo de 5 à 7 a, en outre, le charme et la légèreté d’un film d'amis. Précisons : de talentueux amis. Ainsi, dans un court métrage muet et burlesque (Les Fiancés du pont Mac Donald), inséré dans la narration même du film de Varda, on reconnaît Jean-Luc Godard et Anna Karina, Samy Frey, Jean-Claude Brialy, et même Georges de Beauregard, célèbre producteur de Demy, Chabrol ou Melville… Bref, de la Nouvelle Vague… et, à partir de là, de celle qui est l’une de ses plus grandes représentantes. La formidable Agnès Varda.

4. Parle avec elle (2002)

De Pedro Almodóvar avec Javier Cámara et Dario Grandinetti.

Probablement le plus grand chef-d'œuvre du grand Pedro Almodóvar (qui en compte un paquet) Dans le triste et beau Parle avec elle, Almodóvar signe l’un de ses films les plus personnels et intimes de sa carrière. Entre feuilleton et magnifique mélodrame, le long-métrage conte l'amitié naissante de deux hommes, réunis au chevet de femmes qu'ils aiment plus que tout. Dans une narration complexe, qui s’amuse en permanence de la chronologie, Almodóvar traite avec mélancolie tout un tas de sujets comme l’art, la folie, l’amour, le désir et la mort. Un film que lui seul aurait pu chantourner…

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5. Reservoir Dogs (1992)

De Quentin Tarantino avec Harvey Keitel, Tim Roth et Michael Madsen.

Nommer ses personnages en leur attribuant des couleurs : Mr White (Harvey Keitel), Mr Orange (Tim Roth), Mr Blonde (Michael Madsen), Mr Pink (Steve Buscemi) ou Mr Brown (Quentin Tarantino). En faire des gangsters sans scrupules, mais les écouter débattre du sens profond d’une chanson de Madonna. Orchestrer une terrifiante séance de torture, tout en l’accompagnant d’un tube seventies sarcastiquement léger (Stuck in the Middle with You de Stealers Wheel). Dès son premier long métrage, Quentin Tarantino, 29 ans à l’époque, impose sa patte ludique, son style postmoderne et touche-à-tout. Cinévore compulsif, fan de séries B autant que de Jean-Luc Godard, Tarantino explosera surtout sur la scène internationale avec son film suivant, l’incontournable Pulp Fiction. Mais Reservoir Dogs bénéficie déjà de cette touche si particulière, exubérante et bavarde, virevoltante et trash, excessive et joueuse, du réalisateur.

6. 120 battements par minute (2017)

De Robin Campillo avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel, Yves Heck

Dix ans après avoir coécrit Entre les murs (lauréat de la Palme d'or en 2008), Robin Campillo – scénariste et réalisateur à l’origine du chef-d’œuvre Eastern Boys – nous offre ce film de lutte qui suit dans les années 90 les militants d’Act Up à Paris, des gens (les formidables Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel…) qui se battent pour faire entendre auprès des autorités et du grand public leur rage de vivre, à travers des actions coup de poing : assaut du siège d'une société pharmaceutique, coloration de la Seine en rouge sang… Sous ses faux airs naturistes, le film traite aussi – et surtout – de l’amour, du désir et de l’ivresse, magnifiée par la bande originale d’Arnaud Rebotini (César 2018 de la meilleure musique originale), qui abandonne pour un temps les textures noires pour quelque chose de plus « lumineux » et house. Progressivement, la structure du film nous emmène du collectif à l’individu, dans la vie de deux militants – l'un séropositif, l'autre non – qui tombent amoureux sur fond de spleen… En bref ? Un grand film.

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7. Lost in Translation (2003)

Par Sofia Coppola avec Bill Murray et Scarlett Johansson

Lost in Translation est principalement connu comme le film qui a révélé le fessier de Scarlett Johansson au monde entier, dans un joli plan d’ouverture devenu culte. Mais c’est aussi celui qui parvint, contre toute attente, à nous faire croire que le décalage horaire pouvait être romantique. On ne saura sans doute jamais ce que Bill Murray a murmuré à l’oreille de Johansson dans les derniers moments du film avant de disparaître dans la foule, mais cette fin ambivalente résume parfaitement le caractère improbable et inattendu du deuxième long métrage de Sofia Coppola. Comme les autres œuvres de la réalisatrice, celle-ci est une énième variation sur l’ennui et la solitude. Mais la bande-son rêveuse et la complicité entre les deux acteurs font de Lost in Translation son itération la plus douce et la plus touchante.

8. Indiana Jones 1, 2 & 3 (1981-89)

De Steven Spielberg, avec Harrison Ford

En imaginant Henry Jones Jr., casse-cou et coureur de jupons qui ne peut vraiment pas encadrer les nazis, on pourrait croire à OSS 117. Evidemment, on vous roule, Indiana Jones avait déjà essuyé les plâtres bien avant Hubert. Harrison Ford et son lasso, Harrison Ford et son chapeau, Harrison Ford qui a peur des serpents… Un homme d'action qui, avant de fouler les terres d'Egypte ou d'Inde, avait tâté du sabre laser (déjà chez George Lucas). Indiana Jones, c'est une saga qui trépigne, virevolte et qui sait aussi doucement se moquer d'elle-même. A redécouvrir pour l'acteur principal, mais aussi pour un truculent Sean Connery (qui aurait perdu son sex appeal aux confins de l'Ecosse), ou pour le grand frère de Joaquin, River Phoenix, qui incarnait Indiana tout jeunot, dans le troisième (et meilleur) volet de la saga.

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9. No Country For Old Men (2007)

D'Ethan et Joel Coen, avec Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin et Woody Harrelson

Alors que certains présentaient True Grit comme le premier western des Coen, force est de constater qu’ils avaient déjà tâté du genre avec le féroce No Country For Old Men. Western contemporain aux vapeurs de série B, ce thriller s’impose comme un coup de maître parce qu’il répond aux exigences hitchcockiennes du genre : plus le méchant est bon, plus le film est réussi. Les deux frères peuvent donc remercier Javier Bardem d’avoir incarné si bien le salaud du film, qui refroidit ses victimes (et ouvre les portes closes) à l’aide d’un pistolet d’abattage accompagné d’une bombonne d’air comprimé.

Autour de lui se débattent un shérif vieillissant (Tommy Lee Jones) et un cowboy faussement vernis (Josh Brolin) qui vient de trouver 2 millions de dollars sur une scène de crime. Bien mal acquis ne profite jamais ? En tout cas, ce larcin vaut bien un grand film des Coen, qui ne sont jamais aussi bons que lorsque leur scénario est épuré et leurs ambitions modestes.

10. Volver (2005)

Par Pedro Almodóvar avec Penélope Cruz et Carmen Maura.

Sorte de condensé jouissif du cinéma de Pedro Almodóvar, Volver est un film sur le retour (volver signifie « revenir » en castillan). Retour au village de la Mancha, où le réalisateur a vécu ses premiers balbutiements. Retour de Carmen Maura, qui s’était méchamment brouillée avec le réalisateur dix ans auparavant. Et retour de Raimunda (Penelope Cruz, qui interprète ici le meilleur rôle de sa carrière) dans le village de ses parents, pour entretenir leur sépulture. C’est surtout LE film où Perdo Almodóvar montre tout son incroyable talent de conteur et de scénariste (il a d’ailleurs raflé le Prix du meilleur scénario au festival de Cannes), lui qui n’hésite pas à alterner en permanence entre comédie (cet humour noir…) et poésie, sans pour autant délaisser son obsession esthétisante. D’une énergie dingue (de la mise en scène au jeu des actrices) Volver est un film de femmes qui parle de transmission, d’amour, de rires et de fureur de vivre. En résumé : un chef-d’œuvre.

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11. Alien (1979)

De Ridley Scott, avec Tom Skerritt et Sigourney Weaver

Ceux qui, à sa sortie, ont reproché à Alien son apparent manque d’action n’avaient précisément rien compris à son génie. Dès le générique, qui déroule lentement mais inexorablement des barres obliques pour former le mot “Alien”, on perçoit déjà la menace indicible qui pèse sur le Nostromo. Et c’est justement parce que ces premières quarante-cinq minutes du film – que certains trouvèrent donc soporifiques – s’attardent sur les tâches quotidiennes de l’équipage du vaisseau spatial, qu’une angoisse pérenne s’installe.

Et, lorsque la tension éclate enfin, le rythme du film tourne à la crise d’épilepsie sous cocaïne. L’argument d’Alien est simplissime mais implacable : une bête très grosse, très méchante, et surtout très visqueuse se retrouve à bord d’une navette : techniquement, il n’y a donc non seulement personne pour vous entendre crier, mais aucun moyen de vous échapper non plus.

La meilleure scène du film reste sans doute celle où un monstre répugnant s’éjecte violemment de l’estomac du capitaine du vaisseau, invoquant à la fois l’imagerie du viol et de l’accouchement. Car Alien, avec force symboles phalliques et métaphores sur l’enfantement, est aussi une puissante critique féministe, incarnée à l'écran par Sigourney Weaver, figure de proue des héroïnes badass au cinéma.

Lors du tournage de cette première scène d’action, bouclée en une seule prise, les acteurs ne savaient d'ailleurs pas à quoi s’attendre, et leur stupeur écœurée dut être à peu près la même que celle du spectateur. Ajoutez à ces accès de violence une ambiance moite et claustrophobe, des éléments visuels futuristes et quasi-visionnaires, et vous obtenez simplement l’un des meilleurs films de science-fiction jamais réalisés.

12. Van Gogh (1991)

De Maurice Pialat avec Jacques Dutronc et Alexandra London

Maurice Pialat était un franc-tireur, de ceux qui peuvent dire, en recevant une Palme d'or, que « si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ! ». Pour son avant-dernier film, le metteur en scène de Police s'attaque à un sujet en or, en choisissant les derniers jours de la vie du peintre hollandais légendaire Vincent Van Gogh. Il fait ici appel au trop rare Jacques Dutronc, acteur fin et discret choisissant souvent ses rôles avec discernement. Regard perçant, physique svelte, visage émacié, tourments intérieurs, il est magnifique en peintre torturé et amoureux, et emporte le César du meilleur acteur. Le film, naturaliste, sec, sans musique, en devient incroyablement charnel : la peinture étalée sur la toile en gros plans a quelque chose d'érotique.

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13. La Vie d’Adèle (2013)

De Abdellatif Kechiche avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux.

Tout simplement magnifique, La Vie d'Adèle se pose comme une évidence, à l'image de certains films d'Eustache, de Renoir, d'un réalisme époustouflant et d'une contemporanéité palpable. Plongée dans ce film-fleuve de trois heures qui passent comme une lettre à la poste, Adèle (Adèle Exarchopoulos, éblouissante) traverse l'adolescence. Lycéenne curieuse, elle lit Marivaux et s'initie à l'amour, d'abord avec un lycéen gentiment banal, puis avec Emma, étudiante des Beaux-Arts aux cheveux bleus (Léa Seydoux, en lesbienne magnétique), avec laquelle elle vivra une passion complice et complexe. Lumineux, le film d'Abdellatif Kechiche s'impose comme une ode à la vie, une affirmation joyeuse de son intensité, où le désir se voit représenté simplement, dans des scènes d'une authenticité bouleversante qui, bien que frontales, se situent à l'opposé de toute pornographie. Toutefois, il serait injuste de limiter La Vie d'Adèle à un itinéraire sensuel ou sentimental. Tout le quotidien de la jeune héroïne s'y retrouve en effet : parents, amis, travail, politique... L'histoire d'Adèle paraît simple, humble ; elle se révèle en fait d'une densité bouleversante.

14. Brazil (1985)

De Terry Gilliam, avec Jonathan Pryce, Robert De Niro et Kim Greist

Remarquablement imaginatif, totalement surréaliste, le film culte de Terry Gilliam décrit la lente descente aux enfers d’un modeste fonctionnaire rêvasseur, pris au piège d’une société absurde et totalitaire. Décharnant le 1984 d’Orwell (massacré quelques années plus tard par Michael Radford), évoquant le Docteur Folamour pour le rôle de Michael Palin et l’adaptation du Procès de Kafka par Orson Wells, citant Casablanca et Metropolis, Brazil développe une esthétique que l’on retrouvera dix ans plus tard chez plusieurs très grands noms du cinéma en devenir : Tim Burton, le duo Caro/Jeunet, ou les frères Coen pour Barton Fink et Le Grand Saut. Non content de poser les bases de ce qui deviendra également le mouvement steampunk (quoi qu’on pense de celui-ci), Gilliam, en moquant le totalitarisme, dresse également un remarquable portrait des craintes quotidiennes sous l’ère Thatcher. Les rêves mécaniques de Lowry, borne de départ onirique du film, rappellent les espoirs ouvriers brisés par une Angleterre qui n’a pas manqué de réaliser sa prophétie : presque aussi froide et anxiogène que les décors du film, gigantesques et pourtant fermés. Un cauchemar devenu réalité ?

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15. A Touch of Sin (2013)

De Jia Zhangke, avec Wu Jiang, Wang Baoqiang, Zhao Tao, Luo Lanshan

Prix du scénario au Festival de Cannes, A Touch of Sin suit quatre itinéraires de révolte, au sein de la Chine contemporaine. Un ouvrier rageur devant la corruption de ses supérieurs, une guichetière de sauna violentée par un client, un travailleur clandestin qui prend les armes... Les personnages de cet étonnant film polyphonique du Chinois Jia Zhangke partagent tous une même problématique : la soumission à un pouvoir sans autre légitimité que la contrainte physique et financière qu'il impose. Contre laquelle chacun, à sa manière, va tenter de se dresser, avec l’héroïsme du désespoir.

Violent, burlesque, jouant de la caricature sans jamais oublier de faire preuve d'un réalisme convaincant (rappelons que Zhangke est aussi un grand documentariste) : A Touch of Sin varie les registres avec brio, se permettant de promener le spectateur à travers la Chine mondialisée, sans que celui-ci ne sache jamais à quoi s'attendre. Capable de mouvements décalés et inattendus, la narration, déroutante, fait alterner de splendides moments de contemplation urbaine, rurale, et des explosions de violence à froid, aussi drôle que grinçante, en réponse aux humiliations du néo-libéralisme, à sa corruption et son népotisme décomplexés.

Surtout, à travers ces diverses fuites en avant, où les individus, isolés, tentent à leur risques et périls de redéfinir leur singularité, Zhangke délaisse en partie la quiétude stylistique de ses films les plus célèbres (Still Life ou 24 City), pour une poésie sèche, rebelle, abrupte, d’une portée éthique qui dépasse les frontières. Un très grand et précieux film politique sur le monde d’aujourd’hui. Et un superbe film, tout court.

16. Les Dents de la mer (1975)

De Steven Spielberg, avec Roy Scheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss

Les Dents de la mer a beau être devenu l'archétype du blockbuster estival, autant que la matrice de tous les Piranha 3D sortis depuis (le film d'Alexandre Aja étant d'ailleurs également une réussite, dont on s'est laissé dire que Jean-Luc Godard lui-même était fan), le long métrage de Steven Spielberg n'est pas non plus sans rappeler les grandes fresques marines d'un Conrad ou d'un Melville... Sauf qu'il fait de son Moby Dick un requin d'une intelligence redoutable, perverse et sanguinaire, qui terrorise (et dévore goulûment) les joyeux touristes d'une petite station balnéaire.

On connaît l'histoire ; bientôt, Roy Scheider, Richard Dreyfuss et Robert Shaw partent à l'assaut du thalassoraptor... Evidemment, depuis 1975, Spielberg a souvent succombé à la guimauve, au tape-à-l'œil facile, voire à des détournements honteux de ses propres œuvres (l'impardonnable Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal) et, du coup, paraît souvent un tantinet surestimé. Pourtant, il serait regrettable d'oublier l'immense maîtrise du suspense dont ses premiers films témoignent.

Reprenant ici le thème général (et assez kafkaïen) d'un harcèlement absurde et meurtrier (déjà à l'œuvre dans Duel, en 1971, dans lequel un automobiliste se retrouvait pourchassé pendant deux heures par un semi-remorque sans qu'il parvienne jamais à comprendre pourquoi), Spielberg orchestre une tension dramatique mémorable, montée en puissance qui convoque par moments une maestria toute hitchcockienne. A l'époque, le futur réalisateur de Rencontres du troisième type n'a que 29 ans – c'est ce qu'on appelle un génie précoce...

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17. Amour (2012)

De Michael Haneke avec Emmanuelle Riva, Jean-Louis Trintignant

Amour est un film poignant, dévastateur et juste : huis clos sur un couple d’octogénaires, Georges et Anne (superbement interprétés par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva), face à la mort et au déclin physique. Mais enfin, c’est surtout un film sur l’amour (bien vu), dans ce qu’il a de moins niais, de plus viscéral ; la question étant, au fond : peut-il tenir à hauteur de la mort ? Or, Haneke répond par l’affirmative. Et disons-le tout de suite, ça dessèche la gorge, d’autant plus qu’il n’y a pas une once de pathos. La profonde simplicité de son motif, alliée à la réalisation au couteau du grand Autrichien – à coups de plans fixes précis, avec un beau sens des volumes, et d’une utilisation virtuose du hors-champ – fait de ce film un choc autant esthétique qu’émotif.

Hors du couple, à peine quelques intervenants : leur fille (Isabelle Huppert, parfaite comme à son habitude), un ancien élève (le pianiste Alexandre Tharaud dans son propre rôle), ou le couple de gardiens de l’immeuble parisien où logent Anne et Georges. Avec, au centre, leur corps-à-corps avec la mort. On n’en dira davantage, afin d’éviter de gâcher quoi que ce soit de ce film au scénario minimal, mais précisons que ce qui fait de cet Amour une œuvre incomparable, c’est qu’une nouvelle fois (après Le Ruban blanc en 2009), Haneke laisse derrière lui la violence de Funny Games ou de La Pianiste pour s’attacher à une élégie de la douleur sobre, sincère.

18. Taxi Téhéran (2015)

Par Jafar Panahi avec Jafar Panahi

En 2010, le cinéaste iranien Jafar Panahi, critique vis-à-vis du régime politique de son pays, a été condamné à ne plus réaliser de films ni sortir d'Iran pour une durée de vingt ans. Après Ceci n'est pas un film, coréalisé l'année suivante avec Mojtaba Mirtahmasb, le réalisateur brave une nouvelle fois les autorités avec ce Taxi Téhéran, film malin et minimaliste, aussi drôle que courageux.

Reprenant un dispositif jadis exploité par son compatriote Abbas Kiarostami dans le formidable Ten (2002), Panahi transforme ici sa voiture en studio de cinéma. Sous la casquette d'un chauffeur de taxi, le cinéaste joue, entre fiction et documentaire, à interagir avec le peuple de Téhéran, qu'il s'agisse de passagers anonymes (dont un truculent vendeur de DVD interdits, fan de cinéma et qui ne tarde évidemment pas à le reconnaître) ou de quelques-uns de ses proches (dont sa nièce, fillette espiègle au bagou étonnant).

Son humanité profonde, souvent ludique, parfois tragique, combinée à un sens de l'humour habile et touchant, confère à Taxi Téhéran une tonalité véritablement singulière, qui suffit à faire de lui une réussite. Surtout, la dynamique instaurée par Panahi pour un cinéma libre et les risques qu'il encourt en réalisant ce film (une épée de Damoclès de six ans de prison, tout de même) en font une puissante œuvre historique et politique. Mais toujours à hauteur d'homme, pleine de compassion, de douceur et de sagesse. Un film nécessaire et précieux, comme bien peu savent l'être.

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19. La Nuit des morts-vivants (1968)

De George A. Romero, avec Duane Jones, Judith O'Dea, Marilyn Eastman

C’est ici que commença le cinéma d’horreur des temps modernes. Tourné en 1968, le film culte à petit budget de Romero ouvrit en effet la piste à tous les autres, y compris Wes Craven (La Dernière Maison sur la gauche), David Cronenberg (Frissons), Tobe Hopper (Massacre à la tronçonneuse) ou encore Sam Raimi (Evil Dead). L’histoire est classique : isolé dans un coin reculé de campagne, un groupe de personnes se retrouve assailli par des mangeurs de cerveaux toujours plus nombreux.

Mais caractérisé par une approche radicalement subversive, un nihilisme social viscéral et un militantisme anti-Vietnam enragé, ce film de zombie révolutionnaire piétine allègrement toutes les règles, tabous et conventions préalablement établis : l’acteur principal, afro-américain, finit abattu par la police (celle-ci l’ayant pris pour un zombie) lors du générique de fin. Ainsi, si Romero réalisa par la suite d’autres films de zombies (Dawn of the Dead, Day of the Dead, Land of the Dead), aucun d’entre eux ne parvint à égaler celui-ci.

20. A nos amours (1983)

De Maurice Pialat avec Sandrine Bonnaire, Evelyne Ker, Dominique Besnehard

Certainement l'un des plus grands films de Pialat, A nos amours est un film exceptionnel. D'abord, et même si c'est secondaire, il est troublant d'y trouver une BO composée par Klaus Nomi... Mais surtout, le film frappe par son casting surprenant et impeccable, où une très jeune Sandrine Bonnaire – dont c'est le premier rôle – se retrouve avec Dominique Besnehard pour grand frère (pourtant davantage connu comme agent d'acteurs), et Maurice Pialat lui-même comme paternel. Bonnaire y interprète Suzanne, une Lolita de province, qui, à 16 ans, s'amuse de l'amour et découvre la sensualité près des bords d'autoroute et des lignes d'arrêt d'urgence. Son peintre préféré, c'est Bonnard, « parce que c'est sensuel »... Troublante avec son visage d'enfant, Suzanne enchaîne les coucheries. Ce qui déplaît à son père, certes, mais celui-ci, de toute façon, a décidé de foutre le camp.

Vers son milieu, le film vire alors au drame familial : la mère (Evelyne Ker) devient tout bonnement hystérique, le frère pas mieux, et l'on échange des amabilités comme « fallait pas me faire, c'est dégueulasse d'avoir des gamins », ou « les gens qu'on aime beaucoup, on voudrait qu'ils soient morts »... Ambiance. Un soir, le père reviendra pour en mettre plein la gueule à à peu près tout le monde. Très calmement. Et l'on sent bien que Pialat prend un malin plaisir à ce jeu de massacre, où pourtant rien n'est excessif ou faux. Cadres, décors, dialogues naturalistes (« Quitte-moi pas ») : tout y est minutieux, précis, sobre, direct. Lapidaire comme une formule d'André Gide – « Famille, je vous hais ! »

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21. Le Silence des agneaux (1991)

De Jonathan Demme, avec Anthony Hopkins, Jodie Foster et Ted Levine

Face-à-face de Clarice Starling (Jodie Foster), jeune recrue du F.B.I, et du psychiatre anthropophage Hannibal Lecter (Anthony Hopkins). Des très nombreuses adaptations mettant en scène le personnage d’« Hannibal le cannibale » créé par Thomas Harris, le film de Jonathan Demme reste sans comparaison celui qui aura le plus marqué les esprits. D’abord par le jeu de ses acteurs principaux (qui récolteront un Oscar chacun), mais aussi à travers son climat malsain, sombre et inquiétant – loin du grand guignol assez raté de sa suite, Hannibal, où Jodie Foster se verra remplacée par Julianne Moore sur un scénario nettement moins convaincant. Traquant un dépeceur de jeunes filles surnommé Buffalo Bill, notre héroïne a ici recours à l’aide du terrible docteur Lecter, emprisonné sous haute surveillance, qui se révèle être le seul à pouvoir véritablement analyser la personnalité du tueur en série. L’un des films les plus angoissants du début des années 1990 et une référence qui aura contribué à relancer le genre du thriller au crépuscule du XXe siècle.

22. A History of Violence (2005)

Par David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris, William Hurt

A sa sortie en 2005, ce film de David Cronenberg fut une excellente surprise : délaissant le registre fantastique dans lequel il excellait (La Mouche, eXistenz...), le réalisateur canadien y faisait preuve d'une savoureuse retenue, optant pour un réalisme décalé tout à fait personnel. D'autant que A History of Violence marquait en outre le début de la fructueuse collaboration entre le cinéaste et l'excellent Viggo Vortensen, qui resterait son acteur-fétiche pour ses deux films suivants (Les Promesses de l'ombre et A Dangerous Method). 

Scrutant les non-dits d'une famille américaine, le film suit l'histoire de Tom Stall (Mortensen), célébré par les médias pour avoir abattu deux cambrioleurs. Seulement, on apprend au fur et à mesure que Tom n'a pas nécessairement eu un passé très reluisant – ni très honnête. En fait, sur un synopsis assez classique et une histoire de vengeance somme toute plutôt banale, Cronenberg livre une magistrale leçon de mise en scène de la violence, jouant avec le rythme de ses scènes d'action en leur imprégnant une étrangeté extrêmement jouissive. Intelligent, joueur, transgressif, A History of Violence est certainement le dernier film de Cronenberg à faire la plus complète unanimité. Bref, on peut déjà appeler ça un classique.

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23. L'Esquive (2004)

Par Abdellatif Kechiche avec Osman Elkharraz et Sara Forestier

Césars en 2005 du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Abdellatif Kechiche, du meilleur scénario et de l’espoir féminin pour Sara Forestier, L’Esquive est un film intelligent et subtil sur la France contemporaine, sur sa jeunesse, la banlieue, le désir et l’école. Tourné en Seine-Saint-Denis avec de jeunes comédiens amateurs, L’Esquive ressemble à un documentaire, captant l’éloquence immédiate des moindres gestes en nous montrant un groupe d’adolescents défavorisés qui répètent Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. A travers un passionnant jeu de miroir entre littérature et quotidien, entre patrimoine culturel et urgence sociale, L’Esquive est sans le moindre doute un des films les plus marquants des deux dernières décennies sur la jeunesse et sa situation en France. Sans doute un peu comme La Haine, dix ans plus tôt. Mais dans un tout autre style.

24. Fantastic Mr Fox (2009)

De Wes Anderson

Adapté du Fantastique Maître Renard de Roald Dahl, cet unique film d'animation de Wes Anderson est aussi certainement l'un de ses meilleurs longs métrages : une esthétique impeccable, un remarquable sens de l'humour et du décalage, le tout servi par un excellent casting vocal (George Clooney, Meryl Streep et Bill Murray en VO  ou Mathieu Amalric et Isabelle Huppert en VF). Si le réalisateur de Grand Budapest Hotel a ses admirateurs (farouches) et ses détracteurs (généralement minoritaires), ce Fantastic Mr Fox aura certainement le mérite de mettre tout le monde d'accord, s'affirmant comme l'un des meilleurs films d'animation de ces dix dernières années.

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25. Saint Laurent (2014)

Par Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux

En se concentrant sur une décennie culturellement mythique (1967-1976), le Saint Laurent de Bertrand Bonello semble faire un choix nettement plus judicieux que le film de Jalil Lespert. D’abord, il y a la méticulosité du travail, rendue de façon extrêmement précise. D’une certaine manière, le film lui-même fait dans le cousu main de luxe. Comment fonctionne un atelier, quel sacerdoce créatif et quelle pression nerveuse l’élaboration d’une collection exige-t-elle, à chacun des échelons de la chaîne de production… Et puis, il y a évidemment le personnage hors-du-commun d’Yves Saint Laurent, incarné par un Gaspard Ulliel qui tient clairement son plus grand rôle à ce jour, bien au-delà du simple mimétisme avec ce portrait d'un génie précoce, bipolaire, alternant euphorie et dépression, audace et malaise, sérieux et déglingue. 

Mais enfin, tout cela ne serait rien sans l’intelligence et la finesse de la mise en scène de Bonello, qui réussit, mine de rien, un véritable tour de force en termes de réalisation, collant esthétiquement au plus près de Saint Laurent sans jamais renier son propre style – mais plutôt en le développant, en le prolongeant avec une subtilité et un sens du détail référencé parfois vertigineux. D’abord chronologique, la narration finit ainsi par mêler les époques dans un tourbillon sensoriel qui évoque clairement la progression d’A la recherche du temps perdu, Marcel Proust étant par ailleurs évoqué comme l’auteur-culte du couturier. Force est de conclure que son Saint Laurent ressemble fort à un chef-d’œuvre du genre.

26. Old Boy (2003)

Par Park Chan-Wook avec Min-sik Choi, Yoo Ji-tae, Kang Hye-Jeong, Ji Dae-Han

Adapté d’un manga de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi publié au Japon à la fin des années 1990, ce cinquième long métrage de Park Chan-wook, deuxième volet de sa trilogie sur la vengeance (entre Sympathy for Mister Vengeance et Lady Vengeance), fut une jolie claque lors de sa sortie en 2003, prouvant combien la nouvelle vague du cinéma sud-coréen pouvait, en matière de thriller, concurrencer les meilleurs films de genre américains. Après quinze ans de séquestration sans raison apparente, un père de famille rageur décide de traquer le mystérieux commanditaire de son enlèvement. D’une cruauté digne d’une tragédie antique, mêlant manipulation, hypnose et soupçons incestueux, Old Boy s’affirme d’une virtuosité implacable sur le plan de la réalisation, jouant sur les codes de l’horreur, de la traque, mais aussi sur un humour noir où violence trash et grotesque froid se répondent jusqu’à créer chez le spectateur un mélange assez inédit de jubilation et d’inconfort. L’une des pierres angulaires du renouveau de cinéma sud-coréen – et sans doute aussi la première fois qu’on voit le héros d’un film dévorer un poulpe vivant…

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27. Elle (2016)

Par Paul Verhoeven avec Isabelle Huppert et Laurent Lafitte

Adapté du roman Oh… de Philippe Djian, Elle tient un véritable joker avec l’impeccable Isabelle Huppert. Elle interprète ici Michelle, fondatrice parisienne d’une boîte de jeux vidéo qui se retrouve traquée et violée par un mystérieux assaillant en combinaison de ski. Par ailleurs fille d’un célèbre tueur de masse, la personnalité complexe de l’héroïne ne cesse de relancer l’intrigue par ses réactions inattendues, qui risquent d’en déranger plus d’un – après tout, on est dans un Verhoeven. D’une certaine manière, Elle semble parfois compiler trois films en un. Par moments comédie de mœurs à la française, notamment lors d’une scène de dîner particulièrement jouissive, le film évolue vers le thriller pervers et sophistiqué, dans lequel Michelle scrute chacun des hommes de son entourage, les soupçonnant tour à tour d’être son violeur sans visage. Enfin, le long-métrage plonge dans des eaux troubles, qui pourraient s’apparenter à une provocation dérangeante, une misogynie toxique ou au portrait psychologique complexe d’une femme singulière. Tourné entre Paris et une villa de Saint-Germain-en-Laye, voilà un film dont on se souviendra longtemps.

28. L'Inconnu du lac (2013)

De Alain Guiraudie avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou et Patrick D'Assumçao

Partagé entre son amitié naissante pour le doux et bedonnant Henri (Patrick D’Assumçao) et son désir grandissant pour Michel (Christophe Paou), inquiétant sportif TBM bardé d’une moustache à la Tom Selleck, Franck (Pierre Deladonchamps), trentenaire beau gosse qui investit un lieu de drague naturiste pour hommes au bord d’un lac du Sud-Ouest, se confond ici peu à peu avec le soleil, le vent dans les pins, l’immensité aqueuse du lac. Autant que la sensualité torride des corps, celle de la nature traverse L’Inconnu du lac, avec une attention panthéiste et délicate, accordée au clapotis de l’eau comme aux lueurs du crépuscule. Un peu comme si Terrence Malick avait subitement envie de baiser. A la fois prosaïque et mystique, le début du film, lumineux, se voit toutefois bientôt détourné par une étrange histoire de noyade et de tueur en série. Métaphore du sida, de l’homophobie ou d’une excitation liée au danger, au déraisonnable, cette seconde partie du film réussit à trouver un ton inédit, à mi-chemin entre la comédie et le thriller. Film couillu dans tous les sens du terme, L’Inconnu du lac finit alors par pénétrer le spectateur de son étrangeté complice, douce et maline, à la fois film de genre, toile impressionniste et essai sur l'érotisme.

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29. The Big Lebowski (1998)

De Joel et Ethan Coen, avec Jeff Bridges, John Goodman, Steve Buscemi et Julianne Moore

Né dans les années 1980, il est plus que probable que vous ayez partagé quelques francs éclats de rire avec les deux anti-héros de cette pochade, pleine d’épaisses vapeurs de weed, des frangins Coen. Au centre du film : Jeffrey Lebowski (Jeff Bridges), dit « le Dude », joueur de bowling invétéré, immense fumeur de spliffs et buveur de White Russians. Autour de lui, paumés à L.A., ses deux potes, le bourru Walter (John Goodman) et le maigrichon Théodore (Steve Buscemi). Bientôt, les trois compères se trouvent embarqués dans les ennuis du Dude, que des malfrats confondent régulièrement avec son homonyme, milliardaire paraplégique (David Huddleston – le big Lebowski du titre, donc), dont on découvre bientôt la femme nymphomane (Tara Reid) et la fille, artiste militanto-barrée (Julianne Moore), qui qualifie ses œuvres de « vaginales ».

Sur un scénario improbable de faux polar aux airs de grand millefeuille (inspiré de la narration de Raymond Chandler pour Le Grand Sommeil), cette comédie dresse une galerie de portraits décalés auxquels s’entremêlent les délires narcotiques de ce gros branleur de « Dude ».  Plus de vingts ans après sa sortie, The Big Lebowski reste l’un des longs métrages marquants des frères Coen, pour la simple et bonne raison qu’ils ont réussi à y retranscrire un archétype d’une immense sympathie : celui du bon vivant fier de l’être, post-hippie placide, amoureux peinard des plaisirs de la vie (fumette, picole, bavardage, jeu et filles dénudées). Comme une sorte de personnage de Blier, mais version US – et définitivement West Coast.

30. Le Passé (2010)

De Asghar Farhadi avec Tahar Rahim, Bérénice Bejo et Ali Mosaffa.

Après avoir ausculté la classe moyenne iranienne dans A propos d’Elly et Une séparation, Asghar Farhadi se penche sur la société française à travers l’histoire d’une famille recomposée. Ahmad (Ali Mosaffa), l’ex-mari de Marie (Bérénice Bejo), revient en France pour officialiser un divorce ayant traîné, quatre ans après leur séparation. Serein et rassurant, Ahmad reprend peu à peu des habitudes dans cette maison qu’il a habitée, et où Marie tient à l’accueillir. Quitte à délaisser quelque peu Samir (Tahar Rahim), son nouveau compagnon.

Dans Le Passé, Farhadi fait preuve d’une rare finesse d’analyse des rapports humains, parvenant à signifier beaucoup à travers des détails pourtant anecdotiques, à l’image de la première rencontre des deux hommes. Cette justesse est mise à contribution pour faire sentir au spectateur l’intensité de l’intime, toucher du doigt la profondeur « d’autres vies que la sienne ». Comme si le banal recelait une dimension secrète, à l’image d’un Rahim fatigué et sombre, parfait dans son rôle.

Lentement, la tension psychologique monte, certains des premiers rôles s’effacent au profit de personnages jusqu’alors secondaires, et là encore la direction d’acteur fait des merveilles. Inutile d’en dévoiler plus ici sur un scénario ouvert, laissant au spectateur le soin de conclure lui-même – après un long plan-séquence – cette histoire. Insistons plutôt sur le talent et la sensibilité d’un grand réalisateur, capable de mettre les spectateurs face à leurs fausses représentations, notamment en confrontant un touriste étranger iranien (Ahmad), une immigrée travaillant au noir (Naïma) et son patron enfant d’immigrés (Samir). Et Farhadi de montrer comment chacun, lesté de ses expériences et de son passé, s’arrange avec la réalité.

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31. Fight Club (1999)

De David Fincher, avec Brad Pitt, Edward Norton et Helena Bonham Carter

Vous connaissez la règle numéro un du Fight Club ? On ne parle pas du Fight Club. Et comme la règle numéro deux est à peu près la même – « on ne PARLE PAS du Fight Club ! » –, on hésite à vous en entretenir davantage, ne serait-ce qu’histoire d’éviter de vous spoiler le twist final du film de David Fincher, qui, à l’époque, provoqua moultes engueulades à l’heure de l’apéro sur le sens à lui donner. Toujours est-il que sous ses airs (et son titre) de film d’action, Fight Club se révèle davantage comme un étonnant thriller psychologique, voire une comédie anticonsumériste, oscillant entre ironie et anarchisme. Adapté du roman éponyme de Chuck Palahniuk publié en 1996, le film organise la rencontre de haut vol d’Edward Norton (alors tout juste sorti d’American History X) en employé déprimé et d’un Brad Pitt qui apparaît au sommet de sa carrière – après avoir enchaîné des réussites comme Entretien avec un vampire, Seven ou L’Armée des douze singes. Ensemble, ils donneront naissance à un groupuscule de mâles hilares à l’idée de se casser la figure dans des parkings… tout en fomentant de plus sombres desseins. Mais comment on l’a déjà dit : on ne parle pas du Fight Club. On le vit.

32. La Grande Bellezza (2013)

Par Paolo Sorrentino avec Toni Servillo, Carlo Verdone

Un film qui commence par une citation du Voyage au bout de la nuit (« Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déception et fatigues... ») pour enchaîner par une séquence complètement cinglée et décadente sur du Bob Sinclar (et un remix de A far l'amore comincia tu de Raffaella Carrà) : dès les premières minutes, La Grande Bellezza annonce la couleur. Variation contemporaine sur La Dolce Vita de Fellini, le long métrage de Sorrentino suit un fantastique Toni Servillo en écrivain désabusé à travers les soirées mondaines de Rome, entre fêtes sur les toits, apéritifs en terrasse, esthétique, art contemporain, souvenirs et sexualité omniprésente… Un cocktail détonnant, mêlant goût de l’absolu et vulgarité bling-bling, pour un film qui vaut bien quelques jours de vacances romaines…

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33. Carol (2015)

Par Todd Haynes avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler, Sarah Paulson

Inspiré d’un roman de jeunesse signé Patricia Highsmith, le sixième long-métrage de Todd Haynes (Velvet Goldmine, Loin du paradis) se glisse dans les vies contrariées de deux femmes amoureuses dans les années 1950. Jouées par Cate Blanchett et Rooney Mara, elles se rencontrent dans un grand magasin new-yorkais où l’une travaille comme vendeuse tandis que l’autre, mariée, vient y faire ses achats. Elles entament une relation timide et interdite : le monde contre leur bulle. Avec une délicatesse infinie, Haynes filme la naissance du désir lesbien et sa répression simultanée par les codes normatifs. Carol se déploie alors comme un beau mélodrame et un grand film d’amour où rien ne compte plus que deux mains ou deux bouches qui se frôlent, où les détails des sentiments chuchotés s’incarnent avec fièvre. On pense parfois à In the Mood for Love de Wong Kar-wai, ce qui situe l’intensité de cette romance qu’on n’oublie pas.

34. Drive (2011)

Par Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston, Albert Brooks.

On l'a tant répété qu'il s'agit presque d'un lieu commun… mais tout de même, c'est un comble que le film noir soit issu d'un des endroits les plus ensoleillés du monde : la Californie ! Pourtant, alors que les pionniers de ce courant se sont donné beaucoup de mal pour dissimuler la beauté solaire de leur environnement, dès la fin des années 60 certains cinéastes se sont emparé des poncifs du genre - sombres héros, bandits armés jusqu'aux dents, demoiselles en détresse - pour les exposer en pleine lumière, rendant instantanément le film noir plus brillant, plus saisissant et, paradoxalement, beaucoup plus froid.

C'est donc au beau milieu de cet univers que se trouve plongé le mutique héros de Drive, réminiscence subtile, habilement orchestrée par Nicolas Winding Refn sur fond de synthés rutilants. Ryan Gosling y interprète un conducteur anonyme, chauffeur occasionnel de voitures en fuite, dont la vie bascule le jour où son chemin croise celui d'Irène (Carey Mulligan), une mère de famille en difficulté dont le mari croupit en prison...

Évidemment, tout ça manque parfois un peu de profondeur ; mais qu'à cela ne tienne, Drive reste un film absolument irrésistible, rondement mené, et éblouissant.

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35. La Planète des singes (1968)

La Planète des singes de Franklin J. Schaffner, avec Charlton Heston, Roddy McDowall et Kim Hunter (1968)

Tiré de l’œuvre de l’écrivain et résistant français Pierre BoulleLa Planète des singes est définitivement entré au panthéon de la mémoire collective au fil de ses nombreuses – et plus ou moins heureuses – adaptations cinématographiques. Celle-ci, la première, sans doute la meilleure, est due à l’américain Franklin J. Schaffner.  Inspiré de Darwin et gratifié d’un Oscar d’honneur pour l’exceptionnel travail de maquillage réalisé par John Chambers, le film conserve un charme d’époque et une ambiance prenante – nettement supérieur au remake réalisé par Tim Burton en 2001. A noter qu’il s’agit également d’un des rares films où l’Apocalypse se trouve traitée par le biais d’univers parallèles, et devant lequel le spectateur découvre, stupéfait, l’extinction de l’humanité dans le silence d’une plage déserte, d’où l’observe, vestige d’une civilisation disparue, une statue de la Liberté en ruine...

36. L'Enfance nue (1968)

De Maurice Pialat, avec Michel Tarrazon, Raoul Billerey, René Thierry

Quand il réalise son premier long métrage, L’Enfance nue, Maurice Pialat a déjà 40 ans révolus. Cet âge avancé pour un réalisateur débutant le met alors dans une situation particulière, celle de devoir trouver sa place dans un cinéma alors dominé par la Nouvelle Vague.

Coproduit par François Truffaut et Claude Berri, L’Enfance nue se présente donc comme l’inverse des 400 Coups, dans la mesure où Pialat refuse de soumettre son histoire au pathos et n’incite pas spécialement le spectateur à éprouver de l’empathie pour le personnage de l’enfant. Joué par un comédien amateur, le jeune François est un gamin de la DDASS à problèmes, bien plus turbulent que le Doinel de Truffaut, qui chaparde et tue des chats. Recueilli par un couple de personnes âgées grâce auquel il trouve enfin un foyer longtemps espéré, l’enfant ne s’assagit pas pour autant, au contraire.

Car l’œuvre de Pialat ne s’embarrasse pas de belles morales ni de beaux sentiments. Tourné sans artifices, aussi nu et dépouillé que son titre le laisse entendre, L’Enfance nue fait surgir la rage qui bout dans les veines du réalisateur, toujours soucieux de coller au plus près de la vie, quitte à devenir tyrannique sur le plateau. Pour Pialat, la distinction entre le temps du cinéma et celui de la vie ne devait pas biaiser l’acte de création, ce qui explique pourquoi ses films restent aussi bouleversants aujourd’hui.

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37. Au-delà des montagnes (2015)

Par Jia Zhangke avec Zhao Tao et Zhang Yi.

Faisant suite à la colère jouissive, comique et contemporaine de A Touch of sin, ce film de Jia Zhang-ke apparaît comme son complément formel, son double inversé : embrassant cette fois la course du temps sur trois époques et une trentaine d’années, Mountains my depart se teinte, au fur et à mesure, d’une mélancolie non seulement individuelle, mais aussi collective, générationnelle, culturelle. Le récit débute en 1999. À l’aube du XXIe siècle, un triangle amoureux se dessine entre une jeune femme et deux hommes. Mais on est loin de Jules et Jim... Écartelée entre le premier de ces prétendants, Lianzi, ouvrier doux et réservé, et le second, Zang, jeune affairiste profitant des opportunités du capitalisme émergeant en Chine, Tao – l’héroïne interprétée par la muse et compagne du cinéaste, Zhao Tao – va devoir faire un choix. De celui-ci naîtra un enfant, bientôt baptisé Dollar. On vous laisse deviner lequel des deux hommes en est le père...

38. The Vast of Night (2019)

De Andrew Patterson avec Sierra McCormick et Jake Horowitz.

Dans cette liste largement dominée par des longs-métrages qui ont dépassé les dix piges d’âge, The Vast of Night apparaît comme une exception. Et un parfait ovni : écrit sous pseudonyme, monté, produit et réalisé par un inconnu au bataillon (Andrew Patterson), ce film de SF, racheté par Amazon Prime, nous transporte dans la nuit noire d’une minuscule commune du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis. Le pitch ? Alors qu’un bruit bizarre se dégage des radios et des lignes téléphoniques, les rumeurs en ville font écho d’une présence dans le ciel de Cayuga. On ne vous en dit pas plus… Mais sachez que tout, dans ce film, prend des allures mystérieuses et (très) inquiétantes. Bien aidé par des acteurs irréprochables ((Sierra McCormick et Jake Horowitz) et une bande-son qui appuie parfaitement le film, The Vast of Night plaira tant aux amateurs de la série culte La Quatrième Dimension qu’aux adeptes de SF vintage comme Rencontres du troisième type. Un vrai moment de cinéma.

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39. Timbuktu (2014)

Par Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki

Malgré la complexité et la contemporanéité de son thème politique (l’occupation de la ville de Tombouctou par des troupes de mercenaires djihadistes), Abderrahmane Sissako parvient à trouver un ton inattendu et étonnamment équilibré, à la fois gracile et profond. Avec humour et délicatesse, c’est en effet par l’absurde que le cinéaste mauritanien traite la violence quotidienne du régime de terreur instauré par les extrémistes religieux. Absurdité des règles imposées, où musique ou football se voient interdits, où les femmes se retrouvent à devoir cacher leurs mains sous peine de se les faire couper. Absurdité aussi, mais presque comique cette fois-ci, d’une interdiction du tabac, alors que le chef des djihadistes se cache en permanence pour fumer ses clopes. Ou encore absurdité fondamentale d’un détournement de l’Islam au profit d’un régime d’oppression, usant du religieux comme pure contrainte idéologique et politique.

Remarquablement servi par ses acteurs non professionnels, Timbuktu parvient à instaurer un climat à la fois menaçant et serein, contemplatif et inquiet, parsemé de scènes d’une densité qui laisse sans voix. A l’heure où les médias font leur beurre sur les apprentis terroristes recrutés sur Facebook, le film d’Abderrahmane Sissako tombe donc à point nommé pour rappeler avec justesse l’absurdité du fondamentalisme. Au fond, banale instrumentalisation par la violence d’un désespoir politique.

40. Black Coal (2014)

Par Diao Yinan avec Liao Fan et Gwei Lun Mei.

Ours d’or du meilleur film à la dernière Berlinale (coiffant au poteau The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson), le troisième long métrage du Chinois Yi’nan Diao, polar âpre et sinueux, nous plonge dans une Mandchourie glaciale, où la violence et la pauvreté suintent, omniprésentes.

Etonnant film que ce Black Coal avec lequel, moins d’un an après l’excellent A Touch of Sin de Jia Zhang-ke, le cinéma chinois nous offre à nouveau une œuvre tendue, sombre, d’une puissance inattendue, et sur laquelle planent les ombres de Raymond Chandler ou James M. Cain. S’inspirant du Faucon maltais de John Huston et du Troisième Homme d’Orson Welles, le réalisateur Yi’nan Diao y use des codes du film noir pour imposer une esthétique sans concession, doublée d’une sourde problématique morale. Un ex-flic, tombé dans l’alcoolisme et enquêtant à plusieurs années de distance sur une série de meurtres (où les cadavres se retrouvent découpés et éparpillés comme des pétales de rose), s’y éprend d’une jeune femme manifestement liée aux victimes.

En dépit de quelques évidents clichés du genre (femme fatale, enquêteur au bout du rouleau…) et d’un scénario parfois prévisible, Black Coal réussit, souvent magistralement, à nous emporter dans son climat délétère, sans manichéisme, à travers des scènes du quotidien servies par de splendides plans-séquences.

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41. Loulou (1980)

De Maurice Pialat avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu, Guy Marchand

Loulou (Gérard Depardieu), c'est un zonard du début des années 1980, qu’on croirait tout droit sorti d'une chanson de Renaud ; il est flemmard, bon vivant, porte un blouson de motard en cuir… Bref, Depardieu jeune. Il séduit Nelly (Isabelle Huppert), jeune femme, dont le couple avec André (Guy Marchand), un bourgeois quadragénaire, bat franchement de l’aile. Evidemment, les deux hommes se disputent la belle Huppert, sous l'œil sans concession – sans doute conviendrait-il plutôt de dire le scalpel – de Maurice Pialat. Déjà, le film dit beaucoup de la France, de son époque, mais surtout il jette une lumière crue sur la violence que les règles d’une société imposent aux individus qui la composent, jusque dans leur intimité. Et qui réduit toute grandeur d’âme à la survie. Le discours de Pialat sur l'argent est implacable. Le travail, au fond, n'est qu'une domesticité aigre ; en face, la délinquance ne vaut guère mieux, minable et désespérante. Bref, il n’y a pas d’issue. A part peut-être se rendre malade. Comme toujours chez Pialat, la caméra comme le scénario magnifient le drame social par leur cruauté froide. Qui est le signe de leur rigueur éthique.

42. Le Cinquième Elément (1997)

Par Luc Besson, avec Bruce Willis, Milla Jovovich et Gary Oldman

Rares, très rares sont les films de Luc Besson que l’on a pu regarder plusieurs fois avec le même plaisir. Il en va ainsi du Cinquième Elément, le seul long métrage de SF français à intégrer ce classement. Et pour cause : si avec celui-ci se clôt une période pour le réalisateur (à la filmographie jusqu’alors respectable), il s’ouvre également des possibilités pour le cinéma hexagonal, et des brèches dans pas mal de cerveaux de jeunes spectateurs. En ce sens, Le Cinquième Elément a tout d’un film générationnel, qui ne traversera sûrement pas aussi bien le temps que 2001 ou Stalker, mais aura au moins eu le mérite de rendre la SF accessible à tous sans la dévoyer.

Du grand public donc (d’où sans doute le scénario mince), qui s’autorise tout de même un univers riche et inventif, empruntant autant à Blade Runner’ qu’à L’Incal. Si le film a effectivement vieilli, le casting garde le charme des grosses productions des nineties : Bruce Willis en blond peroxydé et désabusé (comme d’hab), Gary Oldman l’éternel méchant, Chris Tucker en présentateur barré, Tricky jouant au bad guy et même Maïwenn dans le rôle d’une diva extraterrestre (si si) – sans oublier Jean-Paul Gaultier aux costumes et Eric Serra à la composition musicale. Nostalgie du futur, quand tu nous tiens.​

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43. Coup de foudre à Notting Hill (1999)

De Roger Michell, avec Julia Roberts et Hugh Grant

Bien qu'il soit difficile d'oublier l'esprit froid et calculateur qui préside à chaque seconde de cette tentative de répéter et d'élargir le succès au box-office du célèbre Quatre Mariages et un enterrement, on ne peut nier qu’en tant que comédie romantique jouant sur nos fantasmes les plus naïfs et inoffensifs, Coup de foudre à Notting Hill reste très agréable. Presque autant qu’il paraît simple. Lorsque le propriétaire de la librairie de Portobello Road, William Thacker (Hugh Grant), renverse accidentellement du jus de fruit sur la star hollywoodienne Anna Scott (Julia Roberts)...

44. Ma loute (2016)

De Bruno Dumont avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche et Valeria Bruni Tedeschi 

Pour les amateurs du cinéma de Bruno Dumont, la série P’tit Quinquin, réalisée par le cinéaste pour Arte en 2014, put être une découverte déstabilisante. Eh bien, avec Ma loute, Dumont va plus loin encore, beaucoup plus loin, accouchant d’un OFNI assez incroyable, qui mêle avec virtuosité les genres et déroute en permanence son spectateur. Première nouveauté : des acteurs-stars, avec un surprenant trio Fabrice Luchini-Juliette Binoche-Valéria Bruni Tedeschi, alors que le cinéaste de Bailleul (Nord) nous avait plutôt habitué à tourner avec des non-professionnels.

Un conte social, cruel, qui cède au policier, tout en passant par le gore, le slapstick, l’envolée mystique, pour finir dans une sorte de délire complet, quelque part entre Jacques Tati, Luis Buñuel, Jean Epstein, Fatty Arbuckle et la Trilogie de la vie de Pasolini. Dumont délire, ses acteurs s’en donnent à cœur joie (avec une mention spéciale à Juliette Binoche, grenouille de bénitier délicieusement hystérique, à l’extrême opposé de sa prestation superbe de retenue dans Camille Claudel 1915)… Et l’on en sort délicieusement déconcerté, avec la sensation d’avoir vu un pur trip, mis en scène d’une main de maître.

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45. Deux Jours une nuit (2014)

Par Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne avec Marion Cotillard et Fabrizio Rongione.

Les longs métrages des frères Dardenne se suivent, et se ressemblent assez. Le point positif : le ton qu’ils développent de film en film parvient à rester juste, pertinent, avec une vision souvent puissante – à mesure, en fait, qu’elle paraît désespérée. Nouvelle fable sociale du duo, Deux jours, une nuit bénéficie d’un thème simple et efficace : Sandra (Marion Cotillard) dispose d’un week-end – d’où le titre du film – pour convaincre ses collègues de renoncer à la prime de mille euros qui leur a été octroyée, afin qu’elle puisse conserver son travail. Aussi le film joue-t-il essentiellement sur la répétition et, assez naturellement, sur un ensemble de variations assez fines ; chacun de ses collègues réagissant subjectivement au discours tenu par l’héroïne.

Etude de la nature humaine en environnement salarial, Deux jours, une nuit décline ainsi les cas de figures, de la violence individualiste au sacrifice généreusement consenti entre camarades. Cela pourrait ressembler à un catalogue, mais les personnages, assez finement brossés, permettent au film d’éviter la démonstration d’un simple théorème de l’exploitation.

46. Retour vers le futur (1985-90)

De Robert Zemeckis, avec Michael J. Fox, Christopher Lloyd et Emma Thompson

Il suffit de voir l’engouement démesuré suscité par la date du 21 octobre 2015 pour constater la popularité de la trilogie Retour vers le futur. Anciennes critiques exhumées, projections façon grand spectacle des films au Grand Rex et au Palais des congrès, articles innombrables autour de la saga (sur la DeLorean, les baskets auto-laçantes ou le hoverboard) : l’écho médiatique est à la hauteur du degré de culte voué à l’œuvre de Robert Zemeckis. Il faut dire que les deux premiers films ont trouvé une formule épatante : ce duo Marty McFly et Doc, dont les allers-retours dans le temps portent l’empreinte géniale du producteur Spielberg.

En jouant sur les deux tableaux passé/présent, puis présent/futur, Robert Zemeckis ne cesse de titiller le spectateur et sa connaissance de l’histoire. Dans le passé, c’est une séquence d’anthologie qui montre Marty en train « d’inventer » le rock ’n’ roll pour le rendre à Chuck Berry (heureusement), tandis que dans le futur, le film s’amuse à imaginer la destinée du monde, le nôtre, celui de 2015, à coups de voitures volantes et de robots serveurs. Des idées certes excitantes mais bien loin de la réalité, puisque c’est un truc qui s’appelle Internet qui a changé notre vie

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47. Dallas Buyers Club (2013)

De Jean-Marc Vallée avec Matthew McConaughey, Jennifer Garner et Jared Leto.

Dallas Buyers Club, l’histoire très hollywoodienne et pourtant vraie d’un cowboy homophobe devenu militant LGBT (sic), qui paradoxalement frappe par sa sobriété. Loin du tire-larmes sirupeux qu’il aurait facilement pu devenir, DBC, tourné en une vingtaine de jours caméra à l’épaule, fait preuve d’une surprenante pudeur. Le film décrit la trajectoire d’un homme ignorant et intolérant qui, diagnostiqué séropositif en 1986, se lance dans la contrebande de médicaments. Rapidement, il se crée un réseau d’abonnés (« buyers club »), qui paient une cotisation mensuelle en échange d’un traitement alternatif. Pour survivre, il se retrouve donc obligé de s’instruire et de côtoyer les mêmes « tarlouzes » qu’il méprisait jusqu’alors...

Jean-Marc Vallée, à qui l’on doit la comédie québécoise C.R.A.Z.Y., évite avec soin tout sentimentalisme, grâce à un scénario plein d’humour et surtout, surtout, un montage efficace et direct. Les moments les plus poignants du film – une embrassade, la mort d’un personnage – ne durent que quelques secondes, ne laissant même pas le temps aux plus sensibles d’entre nous de laisser échapper une larme.

Quant à Matthew McConaughey, l’ancien abonné aux navets romantiques, il est devenu en deux petites années, après Killer Joe, Magic Mike et Mud – sans oublier ses cinq minutes de gloire dans Le Loup de Wall Street – un des acteurs les plus fascinants du cinéma indépendant américain.

48. Grease (1978)

De Randal Kleiser, avec John Travolta, Olivia Newton-John et Stockard Channing

Un an après La Fièvre du samedi soir, qui révéla au grand public le déhanché disco (et le slip en contre-plongée) de John Travolta, Grease ressemble à une sucrerie délicieusement idiote et vintage, sortie en 1978, mais résolument tournée vers l’âge d’or US des années cinquante – de la même manière que American Graffiti de George Lucas lorgnait, en 1973, vers le début des sixties. Alors… réactionnaire, Grease ? Non, rassurez-vous. Adapté de la comédie musicale homonyme de Jim Jacobs et Warren Casey, créée à Broadway en 1972, Grease évoque plutôt l’insouciance de la série télé Happy Days ; d’ailleurs, avant que John Travolta n’endosse le rôle de Danny Zuko, étudiant grande gueule et faux dur au grand cœur, c’est Henry Winkler (l’interprète du fameux Fonzy de Happy Days) qui était pressenti pour le rôle. Face à Travolta, donc, une pétillante Olivia Newton-John interprète Sandy (« Sa-an-dy ! »), son amour de vacances qu’il retrouve à la fac et dont le chassé-croisé amoureux débouchera sur une fête foraine qui donnerait presque envie de refaire un tour d’auto-tamponneuses. Tout en fredonnant des chœurs doo-wop.

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49. Les Amants du Pont-Neuf (1991)

Par Leos Carax avec Juliette Binoche et Denis Lavant.

Il aura fallu cinq années à Leos Carax pour unir à nouveau Juliette Binoche et Denis Lavant, après un Mauvais Sang qui bouscula les années 80. Dans ces Amants parisiens, Michèle presque aveugle se retrouve à errer et rencontre Alex, un sans domicile fixe mourant. Ils s’aiment d’abord parce qu’il n’y a plus d’espoir. Le Pont-Neuf en est le décor, sauf que : “Toi aussi tu cherches de l’amour comme les autres, mais tu n’as pas la vie pour, alors oublie.” C’est alors qu’ils décident de changer leur vie pour s’aimer comme il faut : ils volent, ils voyagent, ils amorcent un horizon (la plage, sans les immeubles parisiens qui bouchent la vue)... Une formidable histoire d’amour entre deux clochards, sur fond d'ivresse et de destruction. Un film unique et mystèrieux, qui recevra un accueil très mitigé à sa sortie. Carax, éternel maudit ?

50. Snow Therapy (2015)

Par Ruben Östlund avec Johannes Kuhnke et Lisa Loven Kongsli.

En Suède, une blague courante veut que le maître local de la comédie ne soit autre qu’Ingmar Bergman. Avec autant d’esprit et d’autodérision, il peut paraître étonnant que le pays d’origine du grand dramaturge ait aussi longtemps patiné dans le domaine du comique et de la satire. Ou, tout du moins, jusqu’à ce que ce Snow Therapy et son humour grinçant ne reparte du dernier Festival de Cannes avec le prix du Jury dans la catégorie Un Certain Regard.

L’histoire du film de Ruben Östlund est celle d’une boule de neige inversée, qui au lieu de rouler et s’amplifier dans sa chute, commencerait directement par l’avalanche. Ou comment une famille quelconque, en vacances aux Arcs, se retrouve ensevelie par le doute face à une catastrophe, et comment les relations au sein d'un schéma familial stéréotypé s’en retrouvent complètement bouleversées. A l’instar des films danois de Vinterberg et de Von Trier, Ruben Ostlünd propose une satire sociale et philosophique prenant racine dans l’interrogation même de la nature humaine, filmée avec beaucoup de malice au creux d’un décor des plus spectaculaires. Ruben Östlund démontre une ici toute l’ingéniosité lui permettant d’aller filmer l’intimement humain au cœur de paysages grandioses, et d’obtenir, à l’image du Mépris de Godard, l’histoire d’un déchirement sur un arrière-plan éclatant. Transposée dans un station de ski, celle-ci nous montre l'Homme tel qu'il est : sans fart.

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