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24 heures pour découvrir l'âme de Montmartre (mais sans trop suivre les touristes)

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Si, contrairement à Bruno Lopes dans un fiévreux morceau des années 1990, vous ne disposez pas d’une caisse pour vous rendre aux Abbesses, vous ferez probablement comme tout le monde. Vous prendrez le métro. Là, dès la station Abbesses, barbotant à plusieurs mètres de profondeur dans les couloirs de la RATP, le cirque quotidien du quartier le plus touristique de Paris se formera sous vos yeux. Attendant l’ascenseur qui vous ramènera à la surface, vous tomberez sur une meute de visiteurs, d’adolescents portant des tee-shirts Nirvana, tandis qu’un type jouera une vieille scie de Cat Stevens à la guitare acoustique. Sachez alors que vous n’avez pas fini de croiser ces spécimens au cours de vos pérégrinations montmartroises.

10h : Arrivée place des Abbesses

A la sortie du métro, un manège tournicote. Vous pourrez faire un tour, il vous en coûtera deux euros. Méfiez-vous seulement si vous avez bu la veille – ça tourne quand même. A côté, un duo contrebasse-saxophone interprète « Les Feuilles mortes » pour la onze-millième fois. Et derrière, d’un sourire narquois, le petit square Rictus vous invite à jeter un œil à ce mur de la mièvrerie, où « je t’aime » se trouve inscrit dans un paquet de langues et qui semble fonctionner comme un aimant à touristes, avec ou sans canne à selfies.

Alors, c’est plutôt à gauche de la sortie du métro, en prenant la rue Yvonne le Tac, que commencera votre itinéraire. Vous voilà devant la devanture de la Librairie des Abbesses. Entrez-y. Après avoir flâné quelques minutes, vous hésiterez entre une édition de poche du ‘Paysan de Paris’ et ‘Le Voleur de voitures’ de Theodore Weesner. Prenez les deux. Vous continuerez ensuite tout droit, croiserez la rue des Martyrs (qui abrite d’ailleurs une autre librairie tout à fait recommandable), tout en pensant aux paroles d’une fameuse chanson de François Hadji-Lazaro.

10h20 : Au Progrès.

Poursuivez jusqu’au croisement avec la rue des Trois Frères : à l’angle, vous pousserez la porte du café Le Progrès. A peine quelques mètres plus bas, la rue débouche sur la place Charles Dullin, où, en 1922, Antonin Artaud jouait, à ses débuts, au Théâtre de l’Atelier.

Antonin Artaud et la troupe du théâtre de l’Atelier dans 'M. de Pygmalion', cliché anonyme, février 1923 (D. R.)

Après quelques bonnes dizaines de pages dans le cadre vintage du café, vous vous sentirez peut-être d’aplomb pour affronter la montée qui vous attend. Car vous ne l’ignorez pas : Montmartre est une butte. Avec une sacrée pente ! – les fumeurs ont tout intérêt à bien prendre leur souffle…

A l’intersection de la rue des Trois Frères et de la rue Androuet, vous reconnaîtrez sans doute l’épicerie d’Amélie Poulain. Il fallait bien que ça vous arrive, un jour ou l’autre. Plus loin, au croisement avec la rue Ravignan, c’est une jolie petite place qui s’offre à vous, où vous pourrez grignoter au soleil, et pourquoi pas déguster un verre de vin blanc sur la terrasse du Relais de la Butte. Juste derrière, place Emile-Goudeau, jetez peut-être également un œil au fameux Bateau-Lavoir, dont Picasso, Braque, Matisse, Apollinaire, Jarry ou Cocteau firent l’un des hauts-lieux historique des arts au tournant du siècle dernier.

Le Relais de la Butte

12h30 : Déjeuner italien

Si la faim commence à se faire sentir, descendez alors la rue Ravignan, devant vous. Sur le trottoir de gauche, vous croisez un truculent magasin d’antiquités industrielles (baptisé Zut !), ainsi que l’ancien immeuble où vivait le poète Max Jacob, au rez-de-chaussée duquel trône désormais une agence immobilière. Vous tomberez alors sur la rue des Abbesses, que vous prendrez à droite jusqu’à la rue Audran, où vous pourrez pousser sans crainte la porte du restaurant italien Al Caratello – dont on vous conseille en particulier les Calamaretti Saltati in padella.

Pour digérer, rien de tel alors qu’une petite balade flâneuse. L’estomac apaisé, reprenez donc la rue des Abbesses. Sur la première à gauche (rue Aristide Bruant), vous pouvez faire un tour dans le joyeux bazar vintage de Rose Bunker, tandis que la rue Tholozé, un peu plus loin sur la droite, vous mènera jusqu’au légendaire Studio 28. Dans son jardin ombragé, vous prendrez bien un café ou un thé, avant d’aller découvrir la programmation impeccable de ce charmant cinéma, véritable havre de paix du quartier.

14h30 : Digestion filmique et déambulation

Une fois votre séance terminée, vous vous direz sans doute qu’il commence à être temps de passer aux choses sérieuses. Autrement dit, de gravir cette fichue butte jusqu’à son sommet. Poursuivez donc jusqu’au bout de la rue Tholozé, puis prenez la rue Lepic (à droite), qui débouche sur la place Jean-Baptiste Clément. Malgré le côté ultra-touristique du lieu, ses rues pavées, ses murs anciens continuent d’en préserver le charme pittoresque. Le tout est de réussir à éviter les troupes de touristes en shorts, chargés comme des mules de matériel photographique et de souvenirs de bric-à-brac.

A gauche, suivez la rue des Saulnes : à son croisement avec la rue de l’Abreuvoir, vous tombez sur la fameuse « maison rose » immortalisée par Utrillo. Plus loin, longeant les vignes du clos Montmartre, vous parviendrez au Lapin Agile, ancien cabaret d’Aristide Bruant et lieu mythique de la bohème parisienne, autrefois appelé « Au rendez-vous des voleurs » ou « Le Cabaret des Assassins ».

Les vignes du Clos Montmartre

Vue depuis le Lapin Agile

16h30 : Tourisme à fuir et expo d’art brut

Continuez alors à longer les vignes vers la droite, le long de la rue Saint-Vincent, et prenez les escaliers (à nouveau à droite) pour monter la rue du Mont-Cenis. A votre côté s’étend le magnifique jardin sauvage Saint-Vincent, qu’on vous conseille de visiter si l’occasion se présente – le jardin n’étant ouvert qu’occasionnellement. Une fois passée la rue Cortot, où vous pourriez faire une halte 100% touristique au Musée de Montmartre, vous arrivez véritablement au cœur du quartier avec le Sacré-Cœur, monument paradoxalement affreux, érigé pour célébrer l’écrasement de la Commune de Paris. Jetez-y quand même un œil de loin, caché derrière une fontaine Wallace. Et ne bouder pas votre plaisir : de cette hauteur, votre regard domine Paris. Et lorsqu’il fait beau, la vue est effectivement imprenable.

Enfin, laissez donc les touristes à leur fatigue (ils ne s’attendaient probablement pas à un tel dénivelé) et préférez descendre en traversant le square Louise Michel jusqu’à la Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard ; le temple montmartrois de l’art brut, où vous pouvez actuellement apprécier la troisième exposition collective ‘Hey !’.

18h : Dénicher des vinyles et choisir sa soirée

Ensuite, en suivant la rue Ronsard, vous tomberez sur la rue André del Sarte : au n°12, ne manquez pas de faire un tour au Rideau de Fer, l’un des meilleurs disquaires de Paris. A ce moment-là, deux options s’offriront à vous, dont l’alternative pourrait être exprimée en ces termes : d’un côté, la soirée « gentleman jazz » ; de l’autre, celle où l’on se bourre la gueule entre potes.

Evidemment, la première possibilité est un peu plus exigeante. D’abord, parce qu’elle va vous obliger à retraverser Montmartre. Mais une fois que la nuit tombe, l’atmosphère se modifie. Certes, il y a toujours un type avec une guitare et son répertoire de deux-trois chansons de Gainsbourg (« Les Petits Papiers », « La Javanaise »…). Seulement, Montmartre le soir peut avoir des airs de fête foraine.

20h et ensuite : les deux options du soir

Retournez alors vers la rue des Abbesses, puis la rue Lepic. Au 11, vous trouverez le club de jazz Autour de Midi… Et Minuit. Même si son nom a tout l’air d’une allusion tarabiscotée à un classique de Thelonious Monk, la boîte propose de réjouissants concerts. Et le Lux Bar, en face, un Chablis qui n’est pas mauvais du tout.

L’autre option, une fois sorti du Rideau de Fer, c’est de rester dans le quartier, mais de se rapprocher de la Goutte d’or, en empruntant la rue de Clignancourt puis la rue Keller, pour vous rendre au Soleil de la Butte – un dernier mot qui révèlent des significations étonnantes si l’on en modifie la première ou la deuxième lettre.

Là, vous pourrez boire longtemps, très longtemps, et danser complètement ivre jusqu’à vous faire virer du bar, sur les coups de deux heures du matin, parce que vous parlez trop fort. A ce moment, vous amis vous rejoindront et grimperont par les côtés sur une Mercedes décapotable diffusant assez fort du R’n’B sous autotune. Bref, ce n’est plus Montmartre. Et surtout, c’est la nuit...

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