Theodora, une era à la limite du mysticisme. En quelques mois, la rappeuse du 93 aura pris le pouvoir sur l’époque, faisant infuser son univers unique dans toutes les strates artistiques, musique, mode, vidéo. Dernière pierre en date – outre les trois concerts au Zénith complets en 20 minutes –, la sortie la semaine dernière du clip du morceau « Fashion Designa ». Réalisé par Melchior Leroux, ce clip a immédiatement marqué les rétines et les esprits avec son esthétique léchée mêlant afrofuturisme, Jean-Paul Goude et… Monstres et Compagnie.
Histoire de décrypter ce clip amené à entrer dans la légende du genre (oui oui), on a interviewé son réalisateur pour un échange qui plaira autant aux fashionistas qu’aux lecteurs des Cahiers du Cinéma. C’est aussi ça, la force de la team Theodora.

Comment s’est faite la connexion avec Theodora ?
Melchior : Elle date de plusieurs années, de l’époque où elle venait de sortir « Le paradis se trouve dans le 93 ». Juste après, avec mon équipe, on avait fait le clip pour son morceau « Besoin d’aide ». Une super expérience puisqu’elle et son équipe avaient validé la première version. Forcément, ça m’avait donné envie de retravailler avec elle. Récemment, ils m’ont recontacté pour les Flammes pour faire les visuels de sa prestation, qu’ils voulaient très épurés. Le soir de la cérémonie, son manager Noé m’a demandé si j’étais d’accord pour faire le clip de « Fashion Designa » sur un timing très serré de quelques jours. A nouveau, ils m’ont laissé une vraie liberté.
Quelles étaient tes références pour ce clip ?
Grace Jones et Jean-Paul Goude. Ma mère m’a toujours montré beaucoup d’images de Goude, tant ses pubs que ses clips, qu’il voyait comme un terrain d’expérimentation. Il avait aussi la chance d’avoir Grace Jones comme compagne et muse. C’est un imaginaire qu’il fallait mêler à la seule indication de Theodora : l’afrofuturisme. Un thème suffisamment large sur le fond et la forme pour trouver plein de références et assez flou pour mettre ma patte.
Y a-t-il des références cachées dont tu peux nous parler ?
Sur celles que les gens ont captées, il y a Michel Ocelot. Ensuite, il y en a plusieurs que personne n’a vues que j’emprunte à des génériques. Je suis très fan de Saul Bass, qui, avec sa femme Elaine, a fait les premiers films d’Otto Preminger et disait que « le générique devait être l’extension d’un film ». Il a beaucoup travaillé sur l’expérimentation 2D sur pellicule, avec du papier découpé par exemple. A 1 minute 53, le plan des portes fait référence au générique de Monstres et Compagnie. L’autre ref cachée touche au générique d’OSS 117 n° 2, qui m’a permis d’utiliser la technique du split screen, ces images qui se scindent en plusieurs.

Comment a été conçu le clip ? Tous les tableaux étaient préparés ?
L’écriture s’est principalement faite en postproduction, sans story-board. Je fonctionne toujours de la même manière : j’aime pouvoir shooter le plus de matière sur fond vert, de plain-pied de préférence. Ensuite, j’essaye de créer des découpes en postprod. Le story-board enlève une pression mais ce qui était bien sur ce tournage, c’est qu’on ne contrôlait pas tout, comme ses tenues, avec parfois de une à trois heures pour chaque changement. Il y avait des refs qui donnaient le ton, mais je n’avais pas conscientisé tous les tableaux à l’avance.
C’est un clip hyper-contemporain avec un côté rétro. Comment as-tu obtenu cet effet ?
C’est quelque chose que je fais un peu machinalement. Je travaille pour une boîte d’effets spéciaux en parallèle, et ce que demandent les clients le plus souvent, c’est d’avoir un rendu plus organique, donc j’ai appris à reproduire ce grain un peu vintage. On a recréé un studio des années 1980 mais en postprod.

Le clip cartonne. Est-ce qu’on commence à parler de toi ?
J’ai rarement eu autant de retours pour un clip et vu autant d’engouement. J’ai pris 5 000 followers depuis la sortie et ça me dépasse un peu. J’ai eu bien plus que ce que je pouvais espérer et je dirais même que ça ouvre mon style à quelque chose de moins sombre. Mais ce qui me rend fou, c’est qu’il y a des gens qui en font des fan arts, et je trouve ça exceptionnel.