Omar Souleyman,'Wenu Wenu'


2013 tire sa révérence au terme de douze mois saturés de concerts, de festivals, de gueules de bois à répétition et de fins de mois difficiles. Et puisque le mois de décembre s'impose naturellement comme un moment rétrospectif où l'on se rappelle larme à l'œil tout ce qui a été beau, voici notre petit bilan de Time Outiens. Des spectacles, des films, des restos, des albums qui nous ont plu pendant l'année et que l'on écoutera/reverra volontiers en 2014.
Le cœur serré, nous disions au revoir en 2012 au Paris-Villette. Un théâtre à la programmation exigeante, dirigé avec passion par un Patrick Gufflet pourtant visionnaire. Mais que les amateurs se consolent, le théâtre a rouvert ses portes le 13 décembre. Aux manettes, Valérie Dassonville et Adrien de Van auront la lourde tâche d’accueillir dans leur nouvel espace de jeu petits et grands (dès 2 ans). Devenu scène contemporaine jeunesse, le TPV proposera des contes, des marionnettes et des solos pour un tarif unique de 10 €.
C’est l’histoire d’un papier peint qui se décolle par endroit. D’une femme seule et tourmentée dans une ancienne chambre d’enfant. C’est l’histoire d’un spectacle à la croisée du théâtre et du cinéma. Mis en scène par la brillante Britannique Katie Mitchell, ‘Le Papier peint jaune. Die gelbe tapete' a offert, par sa scénographie complexe et son interprétation sensible, un spectacle virtuose. Présenté en septembre 2013 à l'Odéon aux Ateliers Berthier, il amorçait une saison prometteuse et riche en expérimentations.
Rock en Seine 2013. Il faisait encore chaud quand Fauve est entré sur scène. Dans la foule, partisans et détracteurs s’insultent. Certains essayant de parasiter le concert, d’autre de se repaître du flow de Quentin Postel. Mais que l’on aime ou pas Fauve, que les paroles touchent plusieurs cordes sensibles ou aucune d’entre elles, on ne peut passer à côté du phénomène. Constats éteints, messages d’espoir teintés de gris, ritournelles mélancoliques, Fauve donne pourtant envie de hurler contre la mer, de manger du sable, et de partir sans aucun bagage. La base.
Un vaccin contre le pessimisme, la pollution et la grisaille parisienne, c’est toujours bon à prendre. ‘Frances Ha’, le film de Noah Baumbach ressemble à s’y méprendre à une pilule de bonne humeur. On y (re)découvre que l’on peut être abonné à la lose, fauché et à côté de la plaque et rester, malgré tout, fort sympathique. Après avoir passé une heure et demie avec Greta Gerwig, l’envie de danser dans la rue, d’enfiler des chaussettes dépareillées et de se mettre une petite mine avec sa BFF revient comme par magie.
Parmi les centaines de disques sans caractère sortis en 2013, il y avait cette pépite, premier LP d’un rouquin à peine majeur venu nous botter les esgourdes en toute simplicité. Loin de recracher bêtement ses influences ou procéder à un métissage musical stérile, King Krule semble avoir assimilé une bonne part de la musique du XXe siècle (jazz, rock, ambient, trip-hop), et s’être rapidement trouvé une personnalité forte. Ajoutez une prod vivante et une voix qui met le frisson, et vous voilà accroché.
Remarquablement illustrée et mise en page, la revue Feuilleton fêtait en 2013 ses deux ans d’existence. Un numéro par saison (soit quatre à l’année) pour 192 pages de reportages et nouvelles signés par d’excellents écrivains et/ou journalistes étrangers (David Grann, Julian Barnes, William Vollmann, Dennis Lehane, etc.). Forcément, les sujets suivent, le tout se dévore avec plaisir et fait de Feuilleton un incontournable de librairie. Et bonne nouvelle : l’équipe de la revue lance sa maison d’édition en 2014 !
Une image irrésistible pour 2013 : la course folle d’un cheval au galop. Car oui, moi aussi ça faisait des années que je n’avais pas chialé comme un gosse devant un spectacle, mais comment retenir ses larmes devant autant de poésie, de frénésie et de joie pour traiter d’un sujet aussi lourd que la mort ? ‘Calacas’, c’est tout l’art d’un Bartabas au sommet de son talent, capable de soulever des vagues de bonheur ou de crainte dans son public, et d’installer une magie trop rare sur la piste ou la scène.
S’il le fallait encore, Nicolas Winding Refn a prouvé cette année qu’il est l’un des réalisateurs les plus doués et les plus influents de sa génération. Conte moral empreint de philosophie asiatique, tragédie contemporaine sublimée par une réalisation somptueuse, ‘Only God Forgives’ questionne l’Occident dans ses replis les plus dérangeants. Et repart évidemment bredouille du Festival de Cannes, plus enclin à récompenser un ‘Drive’. Au royaume des aveugles…
On avait découvert les deux Anglais de Mount Kimbie en 2010 avec leur premier album ‘Crooks & Lovers’, sorte d’ovni électro-acoustique bourré de paradoxes instrumentaux, mais brillamment maîtrisé. Leur deuxième album ‘Cold Spring Fault Less Youth’ sorti cette année est encore plus magnétique, frappé de basses, caressé de ballades, et délicieusement dansant. Et puis, il nous a permis de découvrir le génie King Krule, qui pose sa voix sur deux morceaux de l’album et s’adapte à merveille à l’univers lo-fi du duo.
Une boutique au nom du chanteur des Cure, ça intrigue forcément. Si en plus elle est installée dans l’un des quartiers les plus cool de Paris – place Sainte-Marthe dans le 10e –, s’y aventurer devient carrément agréable. 90 m2 d’objets chinés à prix vide-grenier, bijoux et vêtements de créateurs, concerts intimistes, salon de tatouage, activités pour enfants, ateliers créatifs, et personnel passionné font de cette espace un lieu hors du commun, convivial et familial. On attend les surprises que ses propriétaires nous réservent pour 2014 !
A tous les phobiques de la chanson française qui ont subi le traumatisme de Cabrel à fond sur la route des vacances, on vous le dit et vous le redit : La Femme est un bel antidote. "Sur la planche" a dû attendre trois ans avant de finir sur ‘Psycho Tropical Berlin’, résultat d’un travail impeccable qui balaye les préjugés. Avec leurs riffs de guitare défiant les plus grands westerns, leurs mélodies enfantines, et leurs voix innocentes encerclées par des murmures malsains, ce jeune groupe a trouvé les ingrédients pour convaincre.
Un film bouleversant, qui dépasse tout ce que l’on a pu lire autour des méthodes de Kechiche après son passage à Cannes. ‘La Vie d’Adèle’ aborde avec justesse la cruauté d’un premier amour, immaculé et passionné. Plus que de jouer, la jeune Adèle Exarchopoulos incarne totalement son personnage, quitte à se confondre avec ; en témoignent des scènes d’amour plus vraies que nature, qui débordent littéralement le plateau de tournage pour simplement évoquer la vie. Certainement l’un des meilleurs films de 2013, qui a bien mérité sa Palme d’Or.
Sacré Frank Underwood… Machiavel 2.0, le politicien américain interprété par Kevin Spacey est une des raclures les plus prodigieusement classes qu’on ait vues depuis des lustres ! Trahi par les membres de son parti, Underwood ne recule devant aucune perversion dans le jeu d’échec du pouvoir contemporain. Réalisée par David Fincher et servie par des acteurs formidables, ‘House of Cards’ est une politique-fiction aussi crédible que terrifiante. On attend la deuxième saison avec impatience.
Ancien avocat pour déshérités chicanos, buveur invétéré rongé d’ulcères et mémorable compagnon de défonce d’Hunter S. Thompson : Oscar Acosta se révèle en outre l’un des auteurs les plus acides et brillants de la contre-culture américaine des années 1960. Tour à tour sensibles et désespérées, violentes et cyniques, ses ‘Mémoires d’un bison’ sont à mourir de rire, portées par un style où le sublime et le grotesque semblent forniquer dans l’arrière-salle d’un saloon, à l’orée du désert.
‘La Vie d’Adèle’, ‘A Touch of Sin’, ‘Blancanieves’… 2013 aura été dense, côté cinéma. Pourtant, si l’on ne devait garder qu’un événement, ce serait probablement la redécouverte de l’œuvre de l’immense Chris Marker, disparu l’an dernier. Avec une rétrospective à Beaubourg et la reprise en salles de ses films les plus incontournables (‘Le fond de l’air est rouge’, ‘Le Joli Mai’, ‘Sans soleil’…), Marker aura plané sur cette année comme un spectre familier. Et terriblement vivifiant.
Quand la chanteuse du délicieux groupe Arlt rencontre le guitariste expérimental du label Constellation, ça donne l’une des performances musicales les plus étonnantes et bluffantes de l’année. Vu dans la petite salle de la Loge, le duo y interprétait un répertoire de poèmes poignants et cruels, allant du XIIe siècle à Brigitte Fontaine, et gravés sur disques pour le label Okraïna. Un ensemble d’une cohérence folle, capable de vous glacer le sang en deux accords et trois quatrains. Diantre !
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